Après les colonies de sang-froid dans le milieu de la drogue bruxellois, la police enquête pour savoir si les gangs marseillais prennent pied dans la capitale. L’approche agressive envers les jeunes auteurs semble déjà s’être répandue depuis la ville portuaire française. Mais l’image de « Marseille sur la Zenne » est-elle tout à fait exacte ?
Il y a déjà eu plusieurs fusillades l’année dernière, il y a eu des nuisances dans les stations de métro, mais avec cinq fusillades en autant de jours, l’escalade des violences dans la capitale a atteint un paroxysme provisoire la semaine dernière. Alors qu’à Anvers, personne n’est plus surpris lorsqu’ils utilisent des grenades pour avertir leurs rivaux, les criminels de Bruxelles deviennent de plus en plus audacieux. La semaine dernière, trois personnes ont été grièvement blessées et mercredi, Mohamed J., un sans-papiers de 23 ans, a été abattu.
Il est clair pour la police qu’il existe une féroce guerre de territoire entre dealers, et un lien avec Marseille n’est pas à exclure. Dans la ville portuaire française, les forces de l’ordre ne parviennent pas à maîtriser la violence liée à la drogue et plusieurs victimes civiles ont déjà été enregistrées.
Peu à perdre
Ce n’est pas un hasard si la police regarde du côté de Marseille. Les faits à Bruxelles, où des personnes ont été abattues de sang-froid et parfois en plein jour, peuvent être comparés à ce qui se passe en France. Contrairement à Rotterdam et à Anvers, où les gangs marocains et albanais constituent le pilier, les auteurs de ces violences sont plus jeunes à Bruxelles et à Marseille. Ils sont souvent recrutés via les réseaux sociaux avec la promesse de gagner beaucoup d’argent en peu de temps.
«Ce sont des fantassins qui ont peu à perdre et qui ont souvent eux-mêmes des problèmes de toxicomanie», explique le criminologue Steven Debbaut (VUB). Leurs techniques semblent donc moins bien pensées que celles que font les plus gros poissons d’autres villes. Les dernières nouvelles a rapporté vendredi que de jeunes dealers s’étaient installés sur une place centrale de Saint-Gilles pour vendre de la drogue en public. Des curieux indésirables y ont été immédiatement envoyés s’y promener.
C’est une approche imprudente qui les met sur le radar de toutes sortes de forces de l’ordre et c’est un argument sans parler de l’infiltration directe de la mafia marseillaise à Bruxelles. “Leur comportement est assez violent et impulsif, alors qu’une organisation serrée ne gagne pas à attirer l’attention des médias et de la police”, explique Debbaut. Il voit bien d’autres signes d’un conflit entre des gangs plus petits pour savoir qui est autorisé à vendre de la drogue sur quelle place. Depuis plusieurs mois, les patrouilles et les actions policières se multiplient aux abords de la gare Sud. Cela a éloigné de nombreux revendeurs de leurs points de vente habituels. Il n’est pas surprenant que la recherche d’un nouveau marché de vente dans un monde aussi froid ne se déroule pas sans accroc.
Baron de la drogue marseillais
La question la plus importante est de savoir si les membres de gangs marseillais sont actifs en Belgique ou si les criminels locaux s’en inspirent simplement. En tant que chef de la police de Bruxelles-Sud, Jurgen De Landsheer ne peut pas commenter le contenu des dossiers judiciaires, mais il affirme suivre de près la situation en France. Car ce qui fonctionne pour les criminels d’un pays voisin, leurs homologues belges peuvent rapidement l’adopter.
Par ailleurs, il existe également des indications plus concrètes de connexions entre notre capitale et Marseille. Par exemple, la police bruxelloise a arrêté l’année dernière le baron de la drogue Kamel N.. Jusqu’en 2018, il était l’un des barons de la drogue les plus puissants de la ville française, mais il vivait caché en Belgique depuis des années. On ne sait pas encore s’il a également tenté d’étendre son réseau ici.
Mais la comparaison avec Marseille peut-elle être aussi directe ? La criminologue Letizia Paoli (KU Leuven) plaide pour la nuance. L’atmosphère dans le milieu criminel devient effectivement plus sombre et plus agressive, mais elle pense que cela pourrait aussi avoir une autre cause. « La popularité du crack augmente et cela a certainement un impact. Cela rend les gens plus confiants et plus violents », dit-elle.
Quoi qu’il en soit, il n’est pas facile de comparer immédiatement les situations dans des villes comme Anvers, Bruxelles ou Marseille. Debbaut souligne par exemple que les problèmes à Bruxelles surviennent spécifiquement dans les quartiers pauvres au tissu social dégradé. Les gangs se préoccupent beaucoup plus de la vente au consommateur final, tandis qu’Anvers se concentre davantage sur le processus de distribution logistique. « À Bruxelles, il y a toujours une combinaison de sans-abrisme, de toxicomanie et de la demande existante de drogues », dit-il.
La violence à Bruxelles n’a pas encore atteint le même niveau qu’à Marseille, mais la semaine dernière a déjà montré que les problèmes peuvent rapidement devenir incontrôlables. La situation dans la ville du sud de la France peut donc servir d’avertissement. Paoli souligne que davantage d’efforts et de collaboration sont nécessaires entre toutes les autorités compétentes, aux différents niveaux politiques. « Il faut un plan coordonné. Se rejeter la responsabilité ne résout rien.»