MAir de France est un nom de reine. Et Chiara Mercuri, dans l’essai qu’elle lui a consacré, La naissance du féminisme médiéval (Einaudi 2024), il est certain que Maria, née en 1145, est la fille aînée du roi Louis VII, célèbre souverain croisé, et que elle peut être définie comme l’une des toutes premières féministes. Une double peine ? Le professeur Mercuri est le premier à le reconnaître : « Maria est féministe, même si utiliser ce terme pour le Moyen Âge est clairement anachronique, car à l’époque, même parmi les femmes, on ne savait pas qu’elles avaient le droit d’occuper le terrain. mêmes positions des hommes.
Marie de France, féministe ante litterem
Les historiens discutent depuis des siècles de l’identité de la poète appelée Marie de France, auteur de célèbres compositions en vers dans la langue vernaculaire appelée Lais, c’est-à-dire les lamentations. Dans l’épilogue de son œuvre, l’écrivaine médiévale se présente : Marie aux chiffres, oui à la France (« Je m’appelle Maria et je viens de France ») dit-elle. Les hypothèses se sont donc multipliées, mais sans doute la plus pertinente et la plus intrigante est celle présentée dans cet ouvrage : la fille d’un roiCertain, mais surtout la fille de cette Aliénor d’Aquitaine capable de résonner « à une époque où les prénoms féminins ne résonnent plus du tout. Elle fut duchesse du comté le plus riche et le plus avancé de France et ses contemporains s’accordent à lui attribuer une beauté singulière, ainsi qu’une vaste culture ».
Le bon sang ne ment pas
Et tout reviendrait. Ce sont aussi les expériences de l’enfance et de la petite jeunesse de Maria qui façonnent sa sensibilité. Car même les princes et les princesses pleurent : grande femme, mère Eleonora, reine de France puis d’Angleterre, mais dont on parle beaucoup, comme on dirait aujourd’hui. Celle qui ne sait pas rester à sa place dans la société du XIIème siècle où, comme nous l’explique le Professeur Mercuri «tout a été modernisé et réformé: les arches sont devenues plus étroites, le soc a changé de direction, la rotation des champs cultivés a doublé les temps de repos de la terre […]. Le seul domaine dans lequel aucun progrès n’a encore été enregistré est le domaine sentimental.. Dans ce domaine, les femmes et les hommes sont restés collés aux coutumes germaniques remontant à l’époque de l’installation en Europe de ces peuples définis par les Romains comme « barbares ».
Maria le dira noir sur blanc: «Quand dans un pays il y a/ des hommes ou des femmes de grande valeur,/ ceux qui les envient beaucoup/ les diffament souvent,/ pour diminuer leur mérite».
Le triomphe de l’amour courtois
C’est arrivé à sa mère, capable de diriger des armées, de faire des croisades en Terre Sainte, de favoriser les poètes, d’épouser deux rois, de donner naissance à une douzaine d’enfants, de conspirer contre son mari, de tomber amoureuse d’autres hommes, de finir en prison, de devenir régente. , se retire au couvent à quatre-vingts ans et survit à presque tous ses enfants couronnés. Une vie longue et très aventureuse pour une femme née dans un siècle où «le mari acquérait, à compter du jour du mariage, tous les droits, y compris celui de vie et de mort, sur sa femme et sur les fils et filles qui naîtraient de leur union» avec le part du principe que «les fiançailles ou le mariage ne nécessitaient pas le consentement de la femme, mais seulement celui du père de la mariée», écrit Mercuri.
Maria sera également promise alors qu’elle est encore enfant et épousera Henri, comte de Champagne et de Brie, dit le Libéral, d’une vingtaine d’années son aîné et ami de Bernard de Clairvaux. Elle lui donnera quatre enfants et dirigera à sa place les territoires de ses comtés.car le bon comte Henri sera souvent en guerre : en Terre Sainte à plusieurs reprises, mais aussi contre les Plantagenêt et contre ses parents perfides, jusqu’à ce qu’il la laisse veuve à trente-huit ans. Comme maman Eleonora (ou comme nous les femmes modernes) notre Maria devra jouer sur plusieurs tables : épouse, mère, puis veuve, régente, mais aussi mécène et écrivaine.
Chrétien de Troyes et André le Chapelaine
De plus, là où sa plume ne parvenait pas à raconter la réalité quotidienne des relations entre les deux moitiés du ciel, à dénoncer leur retard, il s’assura que quelqu’un d’autre le fasse, chargeant ainsi deux grands noms qui fréquentaient sa cour, de représentations populaires. des textes qui touchèrent le plus grand nombre possible de lecteurs, rédigés en langue vernaculaire, et diffusèrent sa pensée avancée. La première plume fut celle de Chrétien (Christian) de Troyesréminiscence d’école pour beaucoup d’entre nous, auteur du célèbre Lancelot (Le Chevalier à la charrette), qui mentionne explicitement Marie dans le prologue : « Puisque ma dame de Champagne veut que je me lance dans l’écriture d’un roman, je le ferai volontiers […]. Cristiano commence le livre du cavalier de charrette ; le sens et le sujet lui furent donnés par la comtesse ; il se met au travail, sans y mettre rien d’autre que sa plume et son engagement à raconter l’histoire.
La deuxième plume est celle d’André le Chapelaineauteur d’un célèbre traité sur l’amour courtois pour apprendre « l’art très difficile d’aimer », où est théorisé la nécessité d’un sentiment « désintéressé, sans attente de réciprocité ou de récompense » et où est rédigé un dodécalogue des commandements de Cupidon, le premier qui dit : « Ne soyez jamais avare en amour. Soyez toujours généreux avec ceux que vous aimez : généreux avec votre temps, votre argent, vos pensées, vos secrets et tout ce que vous avez » et le dernier recommande : » Soyez toujours noble et loyal en toutes choses. Ne faites pas de petits gestes mesquins ou lâches. N’oubliez pas qu’en amour, tout ce que vous faites à votre bien-aimé, vous le faites à vous-même. »
Le chevalier courtois ne commet pas d’abus ou de harcèlement sexuel
C’est le triomphe de l’amour courtois comme réponse à une réalité d’oppression quotidienne, où chacun est contre tout le monde et les femmes sont toujours victimes de quelque chose ou quelqu’un dans un monde où si l’on n’est pas le plus fort, on succombe, comme Maria l’explique abondamment dans ses compositions. «Le chevalier courtois est celui qui ne commet pas d’abus ou de harcèlement sexuels, ni sur « ses » femmes ni sur celles des autres. Le chevalier courtois est celui qui empêche le viol d’une femme, sans lui demander aucune corvée ou soumission sexuelle en retour » explique Chiara Mercuri.
Comme dans l’histoire de Lancelot qui devient « un modèle d’homme et d’homme armé – que l’on définit comme un « chevalier » – qui fait passer la défense des femmes avant son propre avantage. Maria veut protéger les femmes du viol, légal ou illégal, car elles ne peuvent pas le faire seules.: la disproportion des forces physiques et le temps consacré par les femmes aux grossesses et au sevrage de leurs enfants sont trop importants pour pouvoir s’organiser en légitime défense. Ne pouvant les inviter à la rébellion et aux armes, Marie invite les hommes à prendre conscience d’eux-mêmes et de quel crime horrible c’est d’être aimé contre son gré. »
L’émancipation née des idées de Marie de France
Mais dans quel sens l’adjectif « courtois » est-il utilisé ? La formule que nous utilisons tous aujourd’hui a été inventée par un médiéviste français du XIXe siècle, Gaston Paris. « L’amour qu’il qualifie de « courtois » n’est cependant pas tel qu’il le décrit : un amour joué avec des rôles inversés par rapport à ceux en vigueur dans la société de l’époque, avec la femme en haut et l’homme en bas. Un jeu sadique dans lequel la femme s’amusait, peut-être pour se venger d’être toujours maintenue dans une position subordonnée, en soumettant l’homme à des tests fous – dont beaucoup étaient mortels – et en le récompensant ensuite d’un simple regard. En réalité, ce n’est ni la femme « courtoise », ni l’amour – comme le prétendait Gaston Paris – qui sont soumis aux épreuves les plus dures, mais la vie des femmes médiévales.
L’amour courtois n’est pas une sorte d’amour, c’est l’amour
La diffusion de l’attitude « courtoise » est la seule issue pour nos ancêtres, selon Marie de France. «Les philologues s’accordent désormais pour dire que la formule de l’amour courtois[…] il faut le repenser dans le hendiadys utilisé par Cristiano, qui ne parle pas d' »amour courtois », mais d' »amour et courtoisie »[…]. Amour courtois pour Maria, André et Cristiano ce n’était pascomme le pensait Gaston Paris, une des déclinaisons possibles de l’amour, mais l’amour lui-même, qui en est un, et par définition toujours soumis aux lois de la noblesse d’âme et de la courtoisie. Aujourd’hui, on l’appelle « romantique » car ce sont eux, les Romantiques, qui l’ont fait sortir des codes médiévaux. Les romantiques, eux, la qualifiaient de « courtoise » », explique le professeur Mercuri.
«L’ensemble de la société française, qui pendant les siècles de féodalité avait été divisée en armés et non armés, en riches et en indigents, se pensait alors divisée en courtois et paysans, habitants de cour et habitants de village. Faire preuve de bienveillance et de respect envers le sexe opposé était alors considéré comme un signe d’émancipation accomplie.. Hors de France, on a progressivement commencé à considérer ce laboratoire social comme une étoile polaire. […] La nouvelle aristocratie […] qui n’était ni du sang ni de l’épée, comme au début des siècles médiévaux, mais de l’âme et des voies. […] Le Lancelot de Cristiano est considéré comme le manifeste de l’amour courtois. Le manifeste de cette révolte vient pourtant d’une femme : il est de Marie de France. »
© TOUS DROITS RÉSERVÉS
iO Donna © TOUS DROITS RÉSERVÉS