Magnifiques, immenses en taille et en perspective, sont les œuvres de Gregory Crewdson exposées à la Gallerie d’Italia de Turin. L’occasion d’un voyage en Amérique profonde


LESLe monde de Grégory Crewdson c’est un ensemble gigantesque. Chaque image contient une petite histoire dans laquelle des personnages immobiles comme des statues représentent les nuances d’humeurs de vies désolées. C’est la fresque d’une Amérique douloureuse qui tire sa souffrance d’une condition existentielle si profonde qu’elle fait oublier les problèmes sociaux. Crewdson, poète visuel, confie à la photographie le soin de composer son Pastorale américaine renvoient un monde de rêves perdus et d’illusions dissoutes dans lequel les personnages, inscrits dans le paysage, sont de petites figures dans le cadre de la grande province américaine, celle du Massachusetts dans laquelle vit l’auteur et qui a longtemps choisi le scénario de ses récits.

Une vision fantastique qui ne peut pas être plus réelle

La vision fantastique de Crewdson est sombre et douloureuse. S’il vous semble un travail sur le paysage, sachez qu’il vous trompe : son paysages ils sont beaux, les couleurs chaudes, le ciel bleu et la large perspective invitent à l’abstraction mais ce sont ces petites figures humaines aux regards étonnés, corps immobiles figés dans l’instant et poses plastiques, transformant chaque œuvre en prose existentielle.

Minutieux, raffiné, expert, cet auteur américain, né à Brooklyn en 1962, connaît son métier : du cinéma il a appris à inventer la lumière, à déplacer les acteurs, à construire le scénario pour tourner. Il a confié sa poétique à la photographie : ce qu’il affirme tout au long de son parcours, c’est sa vision, peut-être née d’un rêve ou inspirée par un rayon de lumière, cela ressemble à une simple intuition mais c’est bien plus, c’est la comédie humaine dans le scénario que l’artiste a imaginé, conçu et créé.

Eveningside : Présenter le côté obscur de notre monde

Gregory Crewdson. De la série An Eclipse of Moths: Starkfield Lane, 2018-2019.

Tout est vrai, terriblement réel et pourtant tout est inventé, terriblement construit. C’est là que réside la clé du pouvoir de la trilogie Gregory Crewdson désormais exposé à Turinà Galeries d’Italie jusqu’au 22 janvier 2023. « Gregory Crewdson. Côté soirée» s’intitule, en réalité Eveningside n’est que le troisième volet, commandé par Intesa Sanpaolo qui viendra désormais enrichir le fonds de la collection de la banque. Bonne nouvelle dans le désert de la production photographique commandée. Enfin une institution investit dans la narration visuelle de notre temps.

Sur l’affichage, en plus des trois grands corps de travail – Cathédrale des Pins (2012-2014), Une éclipse de papillons (2018-2019), Côté soirée (2021-2022) et aussi Fireflies de 1996 : la première œuvre vraiment minimale, poétique et enfantine, dans laquelle l’auteur, chassant les lucioles la nuit avec un film noir et blanc, crée de petites peintures qui nous accompagnent en séquence à la découverte de son monde. Un petit conte de fées qui précède la mise en scène qui lui a valu le succès.

Il y a une magie dans le regard de Crewdson qui restitue une réalité on ne peut plus réelle, qu’il s’agisse des forêts reculées de Cathedral of the Pines, des paysages d’An Eclipse of Moths ou de la vie quotidienne d’Eveningside. Cette magie naît de la capacité à mêler paysage et humanité dans une vision, confiant à chacun le rôle de protagoniste pour exprimer les sentiments, les peurs, les angoisses, les couleurs d’un présent opaque.

L’auteur nous invite à contempler mais ce que nous sommes appelés à observer est un scénario qui ne répond pas aux catégories du jugement esthétique de beauté ou de laideur : c’est une comédie humaine, un portrait de notre époque et de ses désillusions. La province américaine est un décor parfait dans lequel Crewdson laisse se déplacer sur scène ses acteurs, des ermites du troisième millénaire qui vivent dans des provinces post-industrielles. Ce sont les membres de sa famille, sa femme, ses lieux car Crewdson manie avec soin ce qu’il sait : ce qui compte pour lui, c’est ce qu’il exprime, témoin uniquement de ses émotions, créant un tableau vivant silencieux de notre temps, de ce monde – l’Amérique, l’Occident – ​​et ses modèles définitivement ratés. Dans le noir il n’y a plus de lucioles mais des lumières qui illuminent notre humanité désolée contemporaine.

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