Macron, isolé, peine à savoir ce qu’il va se passer ensuite


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L’écrivain est directeur de la rédaction et chroniqueur au Monde

Au milieu des réactions choquées, déconcertées ou exaltées suscitées par la montée de l’extrême droite aux élections législatives françaises de dimanche soir, une voix est restée inhabituellement silencieuse : celle d’Emmanuel Macron, dont l’erreur de calcul a conduit au bouleversement qu’il s’était engagé à éviter.

Lors de sa première élection présidentielle face à Marine Le Pen en 2017, Macron avait promis à ses électeurs qu’ils n’auraient « plus jamais la moindre raison de voter pour les extrêmes ». Sept ans plus tard, le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen a recueilli 11 millions de voix, portant son score à 33,2 % contre 17,3 % au second tour des législatives de 2022. Un large front de gauche est arrivé deuxième avec 28 %, tandis que l’alliance centriste de Macron est loin derrière avec 20,8 % des voix. Quelques minutes après la fermeture des bureaux de vote, l’Élysée a publié un court communiqué appelant les forces « démocratiques et républicaines » à se rallier contre le RN au second tour. Mais cet appel a été rapidement noyé par les interprétations contradictoires d’autres dirigeants opposés à l’extrême droite.

Bientôt, Marine Le Pen, triomphante, proclame que l’élection a « effacé le bloc macroniste ». Le macronisme, concept que son fondateur a eu du mal à définir, est déclaré mort sur les plateaux de télévision. Le reste de la soirée laisse à penser que Macron lui-même n’a pas été effacé : personne ne se soucie de le mentionner, pas même son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, jusque-là fidèle. L’un des rares à avoir approuvé la décision irréfléchie du président de dissoudre l’Assemblée nationale le 9 juin, Darmanin doit désormais se battre pour sauver son siège et a fait savoir qu’il ne resterait pas ministre « un jour de plus ».

D’autres alliés du président l’ont plus ou moins élégamment abandonné ces dernières semaines, à commencer par son ancien Premier ministre Edouard Philippe, qui l’a accusé d’avoir « tué sa majorité ». A l’approche de la présidentielle de 2027, Philippe a ajouté : « Il est temps de passer à autre chose. »

Gabriel Attal, l’actuel Premier ministre de Macron, a pris sur lui de mener la campagne de deux semaines, bien qu’il n’ait pas été informé de la décision d’organiser des élections anticipées. Les candidats de Macron ont refusé d’afficher le portrait du président sur leurs affiches électorales, ce qui, selon eux, était le meilleur moyen de perdre. Macron, qui était un dirigeant très solitaire, va désormais se retrouver de plus en plus isolé, mais cette fois, pas de son propre gré.

La situation politique inédite de la France, avec la possibilité d’un gouvernement d’extrême droite pour la première fois depuis 1944, pose même la question de la capacité du président à aller au bout de son second mandat, qui court jusqu’en 2027. En cas de « cohabitation » qui l’obligerait à partager le pouvoir avec Jordan Bardella, Premier ministre RN, le rôle d’Emmanuel Macron sera inconfortable. Si la Constitution française, rédigée par Charles de Gaulle, donne beaucoup de pouvoir au président, les juristes décrivent le chef de l’État comme un colosse aux pieds d’argile, dont le pouvoir découle plus de la pratique que du texte. Si son Premier ministre, soutenu par une majorité parlementaire, choisit la voie de la confrontation, il pourrait obtenir gain de cause dans de nombreux domaines, notamment en matière de défense, puisqu’il contrôle le budget.

En marge du sommet du G7 en juin, Macron semblait confiant. « Les dirigeants étrangers connaissent notre constitution », a-t-il déclaré à la presse. Mais lorsque deux semaines plus tard, Le Pen a déclaré que le poste de « chef des armées » était « un poste à part entière », il a déclaré : (chef des armées) Le titre honorifique que lui conférait la constitution n’était qu’un « titre honorifique » qui lui collait aux dents. Il s’est empressé de procéder à plusieurs nominations à des postes importants qui étaient en retard dans le secteur de la défense, signe qu’il entrevoyait des problèmes.

Le scénario d’un second tour de scrutin qui se tiendra dimanche prochain est différent : le Parlement ne serait plus majoritaire, aucun parti ne serait majoritaire, mais l’extrême droite serait forte. Cela ne simplifierait pas les choses, mais conduirait plutôt à une paralysie politique, et le RN exigerait la démission du président, seule solution à la crise. Dans une lettre adressée à ses concitoyens déçus le 23 juin, Macron s’est engagé à rester au pouvoir « pour protéger notre République et nos valeurs ». Mais sera-t-il toujours perçu comme un protecteur suffisamment fort ?

Dans une interview publiée en 2015 par le magazine Le 1, avant de devenir président, Macron avait évoqué la nostalgie des Français face à la figure du roi. Il prônait la « verticalité » dans l’exercice du pouvoir et dénonçait l’immobilisme. Une fois au pouvoir, il a adhéré à cette vision « jupitérienne », même s’il a ensuite déclaré en plaisantant que Vulcain, le dieu du feu et de la forge, lui convenait mieux. Icare, puni pour s’être approché imprudemment du soleil, pourrait désormais lui convenir davantage.



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