L’UE tente de desserrer l’emprise des Big Tech


Big Tech a enfin des commandements à respecter. Parmi eux : tu ne regrouperas pas les produits, et tu permettras l’interopérabilité entre les différents systèmes. Les sanctions en cas de transgression comprennent une amende pouvant aller jusqu’à 20 % du chiffre d’affaires global d’une entreprise, voire un démantèlement des entreprises pour les récidivistes. L’avènement de la loi sur les marchés numériques dans l’UE, dont le texte a été finalisé la semaine dernière, signifie qu’un utilisateur du service de messagerie WhatsApp de Facebook pourrait envoyer un SMS à un ami qui utilise un autre service. Cela signifie qu’Apple doit permettre à ses utilisateurs de smartphones de choisir des applications au-delà de son propre App Store. Il s’agit de la plus grande refonte du marché numérique en 20 ans, et elle est la bienvenue.

L’établissement de ces règles de base – la soi-disant réglementation ex ante – est une rupture avec le système jusqu’à présent, où ce qui est considéré comme un comportement problématique est appliqué rétrospectivement en citant des infractions à la loi antitrust générale. Même si l’UE a adopté une vision beaucoup plus large du droit de la concurrence que les États-Unis, les lois antitrust traditionnelles qui définissent le préjudice pour les consommateurs à travers le prisme des prix n’ont pas suivi le rythme de l’économie numérique, où les données personnelles sont troquées contre des services apparemment gratuits, et où les principaux producteurs d’un marché sont aussi ses gardiens.

Le DMA est un volet de politiques jumelles visant à aider à rétablir l’équilibre en faveur des consommateurs et des concurrents ; la future loi sur les services numériques mettra l’accent sur la confidentialité et sur la manière dont les grandes technologies devraient utiliser les données personnelles. Les textes législatifs marquent un tournant décisif, notamment parce qu’ils placent les gardiens de la technologie dans le même camp que d’autres secteurs « utilitaires » tels que la finance, l’énergie et les télécommunications qui doivent suivre une réglementation ex ante en raison de leur taille et de leur importance pour le quotidien des consommateurs. vies. Cela montre également que la capacité de Big Tech à faire pression sur les législateurs est en déclin, malgré tous ses efforts ; Google a dû s’excuser pour la façon dont il a ciblé l’un des architectes en chef de la loi, Thierry Breton, dans le cadre de ses tentatives de repousser la loi. Les plaintes des lobbyistes selon lesquelles l’innovation pourrait être compromise et que la sécurité pourrait être compromise ont été largement ignorées; des arguments également déployés auparavant par les banques et avant qu’elles ne soient frappées par une réglementation qui change la donne.

Ce n’est pas un hasard si un marché dépourvu de gros producteurs, et donc où il y a moins de potentiel de captation politique, mais avec beaucoup de consommateurs, prend les devants dans l’élaboration de la réglementation. Ce n’est pas non plus une évolution négative. L’attitude des États-Unis est moins claire. Alors que des régulateurs tels que Lina Khan de la Federal Trade Commission ont exprimé leur volonté de limiter le pouvoir de Big Tech, la secrétaire américaine au Commerce, Gina Raimondo, a plaidé contre le ciblage « disproportionné » des entreprises américaines par Bruxelles.

Cela ne veut pas dire qu’une loi bruxelloise ciblant les monopoles numériques du XXIe siècle créera soudainement plus d’innovation ou de nouveaux champions européens de demain. Une refonte bien plus structurelle est nécessaire pour que l’UE commence même à concurrencer les États-Unis lorsqu’il s’agit de favoriser une culture de l’entrepreneuriat, où l’échec est accepté comme une condition préalable sur la voie du succès. L’accès aux capitaux est important et la réforme de l’UE des règles des marchés des capitaux pour permettre aux entreprises d’accéder plus facilement aux investisseurs reste lente.

Le DMA, en revanche, a été adopté avec une facilité et une rapidité inhabituelles à Bruxelles : le bloc doit être félicité pour sa ténacité à mener à bien une réforme radicale. En tant que tentative d’ouvrir le marché numérique à des concurrents plus petits qui risquaient jusqu’à présent d’être achetés puis enterrés par Big Tech, l’acte est plus que nécessaire.



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