L’opportunité pour la Grande-Bretagne


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Les plaques tectoniques de la politique britannique se sont déplacées comme cela ne se produit qu’une fois tous les vingt ans. En une seule législature, le Parti travailliste est passé du statut de parti d’extrême gauche défait à celui de vainqueur écrasant du centre gauche. Cette percée reflète, en vérité, davantage un rejet humiliant à travers le Royaume-Uni des 14 années de pouvoir des conservateurs qu’une adhésion enthousiaste au parti de Sir Keir Starmer. Mais l’ampleur de la majorité qu’il a obtenue dans le cadre du système électoral britannique offre au Parti travailliste une opportunité extraordinaire et une grande responsabilité : rétablir l’intégrité de la politique britannique et démontrer qu’un gouvernement compétent et modéré peut encore répondre aux attentes des électeurs.

Les plus de 400 sièges du parti travailliste lui offrent une ouverture cruciale pour mettre un terme à des années de règne chaotique et égoïste, notamment lors du dernier mandat des conservateurs sous Boris Johnson et Liz Truss. Une période de calme et de stabilité, de respect des conventions et de l’État de droit, de ce que Starmer a appelé un gouvernement « libéré de toute doctrine », pourrait commencer à débloquer les investissements si essentiels pour relancer la croissance. La force parlementaire du parti lui donne la possibilité de mettre en œuvre son programme sans être englué dans son aile gauche dure.

Le retournement de situation du Parti travailliste face au Parti national écossais est une occasion de renforcer l’union avec l’Écosse. Et, alors que le président Emmanuel Macron est affaibli en France et que Donald Trump cherche à revenir à la Maison Blanche, l’élection écrasante d’un dirigeant modéré et non eurosceptique peut aider le Royaume-Uni à retrouver son rôle de voix du rationalisme démocratique sur la scène internationale.

Le tourbillon d’enthousiasme qui avait accueilli le New Labour de Tony Blair, qui avait une majorité comparable, en 1997, n’a plus rien à voir avec celui de Starmer. Le parti travailliste est confronté à un électorat épuisé et résigné, qui ne croit guère à une amélioration rapide de la situation. L’héritage du nouveau gouvernement est plus délicat que celui de Tony Blair ou que celui de la coalition conservatrice-libérale démocrate post-crise financière de 2010. La pression sur les finances publiques est plus forte, la charge fiscale et les emprunts sont bien plus élevés, et les services publics sont en bien pire état.

Le parti travailliste doit également faire face à un électorat plus volage et moins tribal, plus habile au vote tactique. Un gouvernement avec une majorité de plus de 170 voix pouvait autrefois être sûr de rester au pouvoir plus d’un mandat. La renaissance du parti travailliste lui-même en un seul mandat prouve que cette époque est révolue. Si la montée en puissance du parti Reform UK de Nigel Farage reflète en grande partie la division du vote conservateur et son discours populiste trompeur, le parti nationaliste est désormais deuxième dans près de 100 sièges.

Le Parti travailliste doit donc saisir sa chance et gouverner de manière décisive depuis le centre. Il doit être prêt à faire des choix difficiles dans l’intérêt national. Il doit actionner rapidement les leviers qu’il a choisis comme priorité pour relancer la croissance, en particulier la réforme de l’aménagement du territoire. Il doit accélérer l’adoption de lois visant à rétablir l’intégrité et l’éthique au sein du gouvernement. Il doit rester ferme dans sa promesse d’être le parti de la création de richesses et résister à une envie contre-productive de faire porter tout le fardeau de la relance des services publics aux riches et à ceux qui créent des richesses.

Les conservateurs, eux, devraient tirer les bonnes leçons de leur effondrement. Leurs votes ont chuté non pas parce qu’ils n’étaient pas suffisamment à droite, mais parce que les électeurs les ont perçus comme arrogants et incompétents. Comme l’a montré le parti travailliste, le chemin du retour au pouvoir ne passe pas par un glissement supplémentaire vers les extrêmes, mais par un retour au centre.

Starmer arrive au pouvoir avec une part de voix plus faible que n’importe quel gouvernement d’après-guerre. Pourtant, avec la renaissance des Libéraux-démocrates, on peut se rassurer en constatant qu’après toute la tourmente des années conservatrices post-Brexit, le centre en Grande-Bretagne – contrairement à ce qui se passe de l’autre côté de la Manche – a globalement tenu le coup. Le véritable critère de réussite du Parti travailliste sera de savoir s’il y parviendra encore dans cinq ans.



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