L’opéra ‘Pique Dame’ de Tchaïkovski à Bruxelles est un régal sans précédent

Profiter d’un grand, grand opéra russe basé sur un texte de Pouchkine – est autorisé avec une bonne décence tant que la guerre de Poutine fera rage? Et dans ce contexte, qu’en est-il d’une chorale d’enfants chantant « Se rassembler pour intimider l’ennemi de la Russie… hourra, hourra, hourra ?

Quelle que soit la boussole morale, la politique actuelle est loin d’être la vision du réalisateur hongrois David Marton (1975) sur l’œuvre de Tchaïkovski. Pique-Dame pour l’opéra Brussels Munt. L’inconfort des voix guerrières des enfants est habilement évité en les faisant retentir à travers une radio, écoutée par le vrai chœur – les mains sur les oreilles. Cette production ne parle pas de la guerre, mais d’un autre ennemi, transfrontalier : notre obsession pour la matière, incarnée chez le drogué du jeu Hermann. Il perd tout à cause de son obsession pour les « trois cartes » qui doivent mener à une victoire heureuse et à la richesse.

Béton équitable

L’opéra se déroule dans le bloc communiste de l’Est des années 1970. Pantalon terlenka beige cadavre, jupes raides jusqu’au mollet, spencers et jaquettes – vous ne serez pas épargné par l’horreur de la mode dans le hall de gare brutaliste qui sert de décor principal (avec des sièges en béton honnête). En son cœur se trouve un piano à queue de concert noir saisissant et inhabituel. Le livre du programme explique pourquoi; Le réalisateur Marton chérit les souvenirs de son professeur de piano Ferenc Rados (1934) au Conservatoire de Budapest, qui est resté fidèle à sa concentration sur la musique après 1989 et ne pouvait accepter les frais de scolarité que les yeux baissés.

Le concept de Marton fait le lit de jolis extras, comme un drôle d’entre-acte d’alcooliques mélangeant du gel pour les mains à de l’alcool. Le pianiste concertiste (hommage à Rados) qui joue parfois avec l’orchestre est un joli gadget. Mais la puissance de la mise en scène réside surtout dans la mise en scène des personnages, et la façon dont de nombreux personnages sur scène donnent une profondeur supplémentaire à des scènes, comme une salle remplie de couples intimement mélangés sur le ravissant air d’amour de Jeletski Ya vas lyublyu – chanté ici avec un peu trop peu d’agilité vocale par le ténor Jacques Imbrailo.

Comme des éclaboussures

Il y a d’excellents chantés par 12 solistes en alternance, fins, vraiment bons ou de caractère. Dans cette dernière catégorie tombent les vécues Pauline de la mezzo Charlotte Hellekant et de la starzzo Annie Sofie von Otter dans le rôle de l’ancienne comtesse. Von Otter n’a jamais eu une grosse voix et ici aussi savoure l’intimité de son timbre. Mais ça marche : la scène fatale dans laquelle Hermann tente de lui voler le secret des trois cartes est belle – précisément à cause de sa vulnérabilité vocale. Dmitri Golovnin chante un Hermann plein de manie et de solitude et de Lisa de la soprano Anna Neachaeva est forte et rayonnante.

Sous la direction de Nathalie Stutzmann (ex-chanteuse), une finesse musicale de chambre monte de la loge qui vous donne régulièrement des genoux mous ; les cordes chantent et se lamentent. La scène fatale de la chambre est orchestrée par le contraste entre un rythme mécanique et une mélodie gracieuse. Parfait aussi : la coordination avec le grand chœur chantant. Même les engrenages les plus audacieux restent éclaboussants ; un régal sans précédent. Celui-ci est particulièrement adapté au chœur et à l’orchestre Pique-Dame vaut le détour à Bruxelles.



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