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L’auteur est chercheur principal au Council on Foreign Relations.

Il n’y a pas si longtemps, il y avait un quasi-consensus sur le fait que l’intervention du Japon sur le marché des changes ne fonctionnerait pas parce que le différentiel de taux d’intérêt du pays avec les États-Unis – qui a propulsé le yen à des niveaux historiquement bas – était tout simplement trop important.

Ce consensus s’appuie sur des recherches quelque peu dépassées montrant que, sans contrôle des capitaux, l’intervention ne fonctionne que si elle est coordonnée et appuyée par des changements plus larges de politique monétaire et budgétaire. Cette idée reçue est ancrée dans le modèle de base du FMI pour évaluer l’impact de l’intervention. Ce modèle suppose que l’intervention est totalement inefficace pour les grandes économies ouvertes et avancées.

L’intervention japonaise a pourtant fixé le prix plancher du yen cet été. L’intervention du pays en octobre 2022 a eu le même effet. Les théories sur l’inefficacité générale de l’intervention doivent être actualisées.

Il y a trois raisons pour lesquelles une intervention pourrait être plus efficace que ne le prétendent les idées reçues sur le marché financier. Tout d’abord, dans le cas du Japon, le gouvernement est un acteur majeur sur le marché. La plupart des analystes examinent l’intervention par rapport au taux de rotation du marché, mais ce taux de rotation quotidien est souvent largement fonction des échanges entre les acteurs du marché en réponse à des flux réels plus modestes.

Le gouvernement japonais dispose d’une tonne d’actifs étrangers : le ministère des Finances dispose de 1 200 milliards de dollars de réserves et le Fonds de pension du gouvernement dispose d’environ 800 milliards de dollars supplémentaires. Ces actifs ne sont pas couverts et représentent plus de la moitié de la position nette totale des actifs étrangers du Japon. Le gouvernement japonais est donc le principal bénéficiaire financier de la faiblesse du yen.

Envisagez les choses ainsi : si le gagnant d’un gros pari financier ne prend jamais de bénéfices, cela a un impact sur le marché – car les gains du gouvernement sont importants par rapport aux 50 à 100 milliards de dollars d’achats étrangers qui proviennent souvent d’investisseurs japonais « privés ». Il existe un autre corollaire : lorsque le ministère japonais des Finances vend des dollars achetés à 80 ou 100 ¥ pour 1 dollar à 150 ou 160 ¥, il réalise un bénéfice considérable. Ce bénéfice va quelque peu à l’encontre de l’opinion courante du marché selon laquelle l’intervention « gaspille » des devises étrangères rares.

Deuxièmement, de nombreuses études sur l’inefficacité des interventions se concentrent sur la mauvaise variable. Les interventions ont tendance à fonctionner non pas en renforçant durablement une monnaie, mais en fixant de manière crédible un plancher sous le marché. Par exemple, si l’on s’attend à ce que le gouvernement intervienne à 162 ¥ contre le dollar et que la monnaie japonaise s’échange actuellement à 160 ¥, la distribution des rendements probables est biaisée : une mauvaise nouvelle pour le yen n’entraînera pas de dépréciation significative du yen, mais une bonne nouvelle pour le yen pourrait conduire à une forte appréciation.

Les interventions visant à fixer un plafond à l’appréciation d’une monnaie fonctionnent de la même manière : le marché sait que la monnaie ne pourra pas s’apprécier davantage, mais rien ne s’oppose à une dépréciation. C’est pourquoi tant de pays asiatiques ont pu de s’engager, avec succès, dans une « non-appréciation compétitive » pendant la décennie de manipulation des devises étrangères de 2003 à 2014.

Troisièmement, dans le cas du Japon, les mesures prises par le gouvernement peuvent envoyer un signal à un groupe beaucoup plus large d’institutions réglementées qui doivent décider de couvrir partiellement ou totalement leurs avoirs en obligations étrangères. Les institutions quasi publiques – la Japan Post Bank, la Norinchukin Bank et le fonds d’investissement pour les petites caisses d’épargne (Shinkin Central Bank) – détiennent collectivement près de mille milliards de dollars d’obligations étrangères. Le degré de couverture de ces obligations a un impact sur les marchés. Il en va de même pour les neuf grandes compagnies d’assurance-vie, qui sont passées d’environ 360 milliards de dollars d’obligations couvertes et 240 milliards de dollars d’obligations non couvertes au cours de l’exercice clos le 31 mars 2020 à environ 185 milliards de dollars couverts et 215 milliards de dollars non couverts à la fin de l’exercice 2023. Alors que le gouvernement est resté à l’écart du marché, ces institutions ont laissé leurs ratios de couverture baisser pour réduire les coûts et augmenter les bénéfices.

Aucun de ces arguments ne nie que les différentiels de taux d’intérêt ont une importance pour les pays ayant des comptes financiers ouverts. Les taux à court terme élevés aux États-Unis rendent la couverture coûteuse. Les taux à long terme élevés aux États-Unis rendent les avoirs non couverts en obligations en dollars attrayants. Mais le gouvernement japonais est potentiellement un acteur important, et son intervention peut encore façonner la répartition à court terme du risque et du rendement.

Les interventions non coordonnées sur les marchés des changes sont plus difficiles à mettre en œuvre pour les grandes économies ouvertes et avancées, en particulier celles qui ne disposent pas de l’énorme puissance de frappe du gouvernement japonais. Mais après l’expérience récente, c’est une erreur de penser que cela ne peut jamais fonctionner.



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