L’installation monumentale de l’artiste canadien Stan Douglas à De Pont est d’une grande importance historique


L’installation 2011 ≠ 1848 de Stan Douglas (Vancouver, 1960), présentée l’année dernière à la Biennale de Venise et aujourd’hui au musée De Pont de Tilburg, est très ambitieuse. Avec cinq photos panoramiques (chacune de 150 x 300 cm), Douglas veut établir un lien entre les manifestations qui ont eu lieu dans divers endroits du monde en 2011 et les révolutions européennes menées pour les libertés démocratiques en 1848. L’installation zoome sur les émeutes dans quatre lieux : Tunis, Vancouver, Londres et New York.

Douglas a reconstitué les événements comme un détective légiste et avec la plus grande minutie. Le 23 janvier 2011, des gens se sont rassemblés en groupes dans les rues de Tunis, assis sur des tapis, discutant autour de bougies allumées et sous la surveillance étroite de la police et de l’armée. C’était le début du printemps arabe.

Le 15 juin 2011, des émeutes ont éclaté dans la ville autrement calme de Vancouver lorsque l’équipe nationale de hockey sur glace des Canucks a perdu un match contre les Bruins de Boston : des voitures ont été incendiées et des bâtiments ont été détruits. Les émeutes de Londres du 9 août 2011 ont fait suite à la mort par balle par la police d’un homme noir, Mark Duggan. Un sit-in sur le pont de Brooklyn à New York le 10 octobre 2011 marquerait le début du mouvement mondial Occupy Wall Street.

Stan Douglas, Tunis, le 23 janvier 2011. De la série 2011 ≠ 1848.
Photo Stan Douglas/Victoria Miro et David Zwirner

Distancé et froid

Trois des cinq photos de la série ont été prises seules en hauteur. Vancouver, le 15 juin 2011 a été photographié à hauteur des yeux. Quelle que soit la distance, les détails des photos sont d’une netteté remarquable, jusqu’aux lignes d’une chaussette ou d’un morceau de papier dans la rue. Les photos manipulées numériquement montrent une hyper réalité aliénante. Les événements sont figés dans le temps, ce qui est bien sûr toujours le cas avec les photos, mais ici à l’extrême. Malgré l’action violente des manifestants, ce monde photographique est distancié et froid.

Les personnes sur les photos sont des figurants dans une reconstitution dirigée par Douglas de scènes telles qu’il les a trouvées dans d’anciennes archives photographiques. Douglas a ensuite édité les scènes jouées en photographies des différents lieux, créant ainsi une composition photoréaliste.

Le résultat est absurde, les gens ressemblent à des personnages de Lego, les poings serrés, la bouche ouverte dans un cri muet.

Londres, le 9 août 2011 diffère légèrement du reste. Douglas a photographié lui-même le site londonien de Pembury Estate à Hackney, depuis un hélicoptère. Il a combiné les photos avec des images vidéo de Sky News. Par Londres, le 9 août 2011 sont deux photos. L’effet panoramique est ici encore plus fort que sur les trois autres photos et la distance de perspective est encore plus grande, mais les scènes londoniennes semblent toujours moins artificielles et aliénantes.

Stan Douglas, New York, le 10 octobre 2011. De la série 2011 ≠ 1848.
Photo Stan Douglas/Victoria Miro et David Zwirner

Révolutions

Les raisons des manifestations dans les quatre endroits sont variées, allant de l’antitotalitarisme et de l’antiracisme à l’anticapitalisme et, dans le cas de Vancouver, à une pure anarchie apparemment irrationnelle.

La question est alors de savoir ce que tout cela a à voir avec 1848, où, selon le titre, 2011 ≠ 1848 les événements de 2011 ne sont pas les mêmes, mais un peu. Les révolutions de 1848 ont largement échoué, tout comme le Printemps arabe. On ne sait pas vraiment si Douglas veut dire que les révolutions n’apportent pas d’amélioration, ou que nous vivons dans un monde instable, ou s’il veut encourager la réflexion sur les événements historiques.

Le spectateur n’a pas le temps pour une telle réflexion. Ces œuvres photographiques sont trop complexes pour cela, trop imposantes en termes de taille et de capacités techniques, et lourdes de toutes sortes de références historiques compliquées.

Ceci est encore renforcé par la deuxième partie de l’exposition, l’installation vidéo RNIS. RNIS est une fiction, éditée appel et réponserap de deux rappeurs anglais et de deux rappeuses égyptiennes. Tout comme pour les photos panoramiques, de nombreuses connaissances sont nécessaires pour comprendre quoi que ce soit à ce travail.

Stan Douglas, Londres, 9 août 2011 (Pembury Estate). De la série 2011 ≠ 1848.
Photo Stan Douglas/Victoria Miro et David Zwirner

Des paysages tranquilles

Dans le couloir de De Pont, derrière ce qu’on appelle Wolhokken, se trouvent des œuvres photographiques antérieures de Douglas, de plus petite taille, provenant de la collection du musée. Ce sont des images tranquilles de paysages et de zones résidentielles modernistes inachevées. Il n’y a personne sur ces photos. Le Usine de produits du bois Nootka à McBride Bay (1996), de la série Son Nootkareprésente une scierie et une exploitation forestière destructrice en Colombie-Britannique.

Son Nootka parle de la destruction du paysage par le colonisateur occidental et de l’exploitation de la population indigène. Ces premiers habitants n’ont jamais abandonné leur habitat sur la côte ouest du Canada et luttent toujours pour leur souveraineté.

Douglas thématise ici efficacement le Canada dans le double rôle de colonisateur et de pays colonisé. Il vise une analyse critique de la réalité et veut montrer comment le passé affecte le présent. Avec l’installation monumentale et globale 2011 ≠1848, il risque de rater cet objectif.

Lire aussi l’interview de Stan Douglas à propos de son installation 2011 ≠1848



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