Être fan, cette folie bienheureuse
Coupe d’Europe cette année, première finale depuis 1980. Il faut y penser : 42 ans, c’est la moitié d’une vie si tout se passe bien. Vous pouvez appeler cette finale une époque et n’exagérez pas, l’importance du jeu dépasse tout ce que la grande majorité des fans ont jamais vécu et le feront. C’est pourquoi ces crépitements bruyants, ces yeux constamment mouillés, ces mains si agitées. C’est une tension qui s’est accumulée au fil des semaines et qui pourtant remonte à des décennies. A Barcelone, contre West Ham, et bien plus tôt, à Meppen, contre Burghausen. Comme si tous les fans avaient espéré quelque chose ensemble depuis si longtemps, des années, des décennies, que cela s’est réellement manifesté sous leurs yeux, soudain tangible et à portée de main : une Coupe d’Europe. Cette année.
Vous voyez ce sens dans les yeux des gens. La lueur, les larmes, les regards qui se soutiennent mutuellement. Être fan, cette folie bienheureuse. Les milliers à Barcelone, une mer de bras tendus, devant lequel Filip Kostic se tenait debout et souriait. Du Coup de sifflet final contre West Ham, à laquelle, comme sur commande, les adultes ont commencé à pleurer. Des fans qui ont creusé de petits morceaux d’herbe dans le champ pendant la tempête, puis les ont portés toute la soirée dans la paume de leurs mains, avec précaution, comme les trésors qu’ils sont.
Nous te donnons nos cœurs et tu nous donnes la victoire
L’Eintracht Francfort est en finale de la Coupe d’Europe, cela aurait été une phrase qui n’aurait eu aucun sens pendant de nombreuses années. Un mensonge, une mauvaise blague, une chimère qu’il aurait été ridicule de rêver. Mais la réalité ? Certainement pas. L’Eintracht Francfort a trop souvent été le club auquel vous avez accroché votre cœur et a récupéré un match nul 0-0 en Bundesliga. Nous vous donnons nos cœurs et vous nous donnez la victoire, c’est ce que les fans chantent depuis si longtemps. La deuxième partie de la phrase restait souvent un vœu pieux. Et maintenant?
Francfort est la ville de la respiration profonde. Les regards incrédules. La ville du grattement de tête, de la question : que s’est-il réellement passé ? – qui reste sans véritable réponse. Car que s’est-il passé sinon quelque chose d’inexplicable, d’imprévisible ? Le club s’est chamboulé en quelques années, rien que ça, et parce que personne ne l’avait vu venir, la vie de ses supporters avec. La ville de la route rocheuse. De l’alambic. Celui déclaré mort. La course Run Mijat.
Les fans attendent la victoire depuis 30 ans, et c’est la moitié d’une vie si les choses ne se passent pas si bien. Le temps qui glisse entre vos doigts sans que vous vous en rendiez compte. Mais c’est comme ça, vous montez les escaliers du stade et vous les redescendez. Revoit les siens, fait la connaissance de nouveaux, d’autres partent, des jours, des semaines, des années, la vie ici et là. Perd ici et gagne là. Regarde les matchs, agace et se réjouit, parle à ses proches, père, mère, amis, enfants, as-tu vu l’unité ?
Un jour de plus, Coupe d’Europe cette année, le crépitement se fait plus fort
Et bien sûr ils l’ont fait. C’est comme ça qu’en ressort la vie, avec une passion commune, quelque chose qui est là comme une balustrade et auquel on peut s’accrocher, même si le chemin qu’on emprunte devient parfois accidenté. Et il l’est souvent, dans la vie et dans le sport. Rostock, Heynckes, un traumatisme collectif. Descentes, des ascensions, des années comme au ralenti, puis courez, Mijat, courez. Un but qui a divisé la vie de tant de fans en un avant et un après. Avant, quand tout ce que vous vivez maintenant semblait impossible. Et puis, quand Francfort est soudainement devenue la ville du trophée. Quand toute l’attente en valait soudain la peine, juste comme ça. La ville des rêveurs qui avaient déjà oublié comment rêver. Et dans lequel il ne semble pas impossible que bientôt, très bientôt, toute la ville se réunisse à nouveau sur le Römerberg.
Un jour de plus, Coupe d’Europe cette année, le crépitement se fait plus fort. Francfort est la ville de l’anticipation, des chansons fredonnées à soi-même. Ville de la peur et de l’espoir, des frissons dans le dos, du toucher du bois, ville des porte-bonheur et des rituels des jours de match, des regards furtifs, est-ce vraiment possible ? Une ville de fièvre, comme dans une transe, il y a deux de chaque fan ces jours-ci parce que chacun est seul. L’Eintracht Francfort est en finale de Coupe d’Europe, une douche de dopamine qui est devenue une pensée, des centaines de milliers de fois par jour. Un état d’urgence contre lequel rien n’y fait.