L’humanité devient de plus en plus prospère grâce à la recherche incessante du profit de tous ces égoïstes.

Paul De Grauwe est professeur à la London School of Economics. Sa chronique paraît bihebdomadaire.

Paul De Grauwe

Les bénéfices record enregistrés par les banques l’année dernière soulèvent la question du rôle du profit et de sa motivation dans la vie sociale. Pour beaucoup dans le camp de gauche, le profit est la cause de la plupart des problèmes sociaux. C’est la base de la grande inégalité entre les peuples, de l’exploitation des pauvres par les riches, de la violence et de la guerre. Plus on s’éloigne dans le débat, plus le profit et la motivation du profit semblent répréhensibles.

L’économiste pense différemment. Pour lui, le profit et la recherche du profit sont les moteurs du système social. La perspective du profit est le moteur qui pousse les gens à produire de nouveaux biens et services, à explorer de nouveaux marchés et à développer de nouvelles technologies. Ceux qui se lancent dans ces nouvelles activités ne visent pas en premier lieu à améliorer le monde, mais plutôt à remplir leur portefeuille.

L’économiste, à la suite d’Adam Smith, va ici encore plus loin. Tous ces gens avides de profits veillent à ce que le monde s’améliore, même si l’amélioration du monde ne fait pas partie de leurs priorités. L’humanité devient de plus en plus prospère grâce à la recherche incessante du profit de tous ces égoïstes.

Il y a certainement du vrai là-dedans. En effet, les profits éhontés qui sous-tendent le capitalisme ont alimenté une explosion de la production de biens et de services dans le monde, ainsi qu’une série de révolutions technologiques qui ont rendu possibles ces explosions productives.

Mais revenons aux profits des banques. A la suite du discours de cet économiste, faut-il se réjouir que les banquiers se soient encore enrichis l’année dernière ? Sommes-nous dans une meilleure situation parce que les banquiers et leurs actionnaires ont réalisé des bénéfices fantastiques l’année dernière ? Il peut y avoir un doute là-dessus. Et cela pour plusieurs raisons.

Réaliser des bénéfices est le signe que les biens et services produits sont achetés par des consommateurs satisfaits. Mais cela n’est vrai que s’il y a de la concurrence. L’entreprise A qui réussit mieux à fournir de bons produits et services que l’entreprise B réalisera plus de bénéfices. Mais lorsque la concurrence est faible, les entreprises réalisent également davantage de bénéfices en facturant des prix plus élevés, sachant que les consommateurs n’ont pas d’autre choix. Le profit n’est alors plus le signe d’un bien-être social supérieur. C’était également le cas des banques l’année dernière. La faible concurrence dans le secteur bancaire a permis aux banques de maintenir des taux d’épargne bas et d’augmenter ainsi leurs bénéfices. Cela n’a pas profité aux épargnants. Pas d’encouragement sur ces bancs.

Réaliser un profit n’est pas non plus un bon signe de bien-être social lorsque ce profit est réalisé en transférant une grande partie des coûts de production à des personnes extérieures à l’entreprise qui réalise les bénéfices. C’est le cas des entreprises qui nuisent à l’environnement. Ils gonflent leurs profits au prix d’une perte majeure de prospérité pour le reste de l’humanité.

Même si cela n’est pas immédiatement applicable aux banques, qui développent elles-mêmes peu d’activités peu respectueuses de l’environnement, un problème subsiste. Une partie des bénéfices des banques provient également des prêts qu’elles accordent aux entreprises qui causent des dommages à l’environnement. Les bénéfices des banques surestiment donc leur contribution au bien-être social. Une deuxième raison de ne pas se contenter de ces bénéfices.

De nombreuses entreprises reçoivent de nombreuses subventions gouvernementales. Leurs bénéfices sont donc en partie alimentés par le contribuable. Ce dernier n’en est pas plus content. Ici, ce sont les banques qui prennent le gâteau. Dans leur lutte contre l’inflation, les banques centrales ont commencé à transférer d’importantes sommes d’argent aux banques commerciales depuis 2022. En Belgique, cela représente un transfert annuel de 8 milliards d’euros ; dans l’ensemble de la zone euro, 140 milliards d’euros. C’est presque trois fois plus que le soutien de l’Union européenne à l’Ukraine. Ici non plus, les bénéfices records des banques ne sont pas un signe de réussite sociale. Au contraire, ces transferts sont source d’appauvrissement pour les contribuables que nous sommes.

Le profit et la motivation du profit sont des moteurs extrêmement puissants du progrès économique. En même temps, ils ne suscitent pas d’acclamations partout. C’est certainement le cas dans le secteur bancaire, où des bénéfices records ne signifient pas que nous avons tous progressé.



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