UL’exercice de ceux qui s’inquiètent d’attribuer les choix de sélection à droite ou à gauche est un peu ridicule. Dans quelle boite mettre Riefenstahlle documentaire sur le « réalisateur d’Hitler » de l’Allemand Andres Veiel. Dans la boîte des films à voir (si, comme nous l’espérons, il trouve une distribution italienne) parce que c’est un beau film, qui contient des matériaux précieux et parce que c’est un film utile. Il sert à comprendre une parabole unique, celle de une femme née en 1902 à Berlin, danseuse, comédienne, puis réalisatrice d’œuvres qui étaient aussi de la propagande (Le triomphe de la volonté, Olympia) pour le Troisième Reichphotographe, mais surtout manipulateur hors du commun.

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Les recherches menées par Veiel – études de psychologie et cours de cinéma avec Krzysztof Kieślowski – apporte des images et beaucoup d’audio à l’air libre (Riefenstahl enregistrait de manière obsessionnelle toutes les conversations téléphoniques qu’il avait avec les fans et les détracteurs, en particulier les fans…), et reconstitue une histoire coïncidant tragiquement avec celle du 20e siècle (Riefenstahl est décédé à 101 ans en 2003) et qui a essayé intelligemment (mais pas toujours avec succès) de changer sa propre image.

Après la fin de la guerre Riefenstahl a fait tout son possible pour forger son passé à partir de zéro, niant avoir rejoint le nazisme ou, lorsqu’on lui insistait, minimisant sa responsabilité (« nous étions tous des nazis en Allemagne » a-t-elle répété lors d’une interview télévisée) et se réinventer enfin comme documentariste et photographe (dans les années 1960 en Afrique chez les Nouba du Soudan).

Une des photos du film Riefenstahl : le réalisateur et Adolf Hitler.

De plus, cela s’est produit pendant la phase de dénazification en Allemagne jugé quatre fois et toujours acquitté. La motivation ? Elle n’avait pas directement participé aux activités visant à l’extermination (Riefenstahl soutiendra en effet qu’elle n’en a jamais eu connaissance et qu’elle n’a connu la solution finale qu’à la fin de la guerre). Le documentaire projeté aujourd’hui à Venise hors compétition montre comment le réalisateur était au courant de la décision du Reich d’exterminer les Juifs et comment, au moins une fois, cela fut la cause directe d’un massacre.

L’une des conversations enregistrées révèle ensuite comment Riefenstahl a continué à entretenir des relations avec l’architecte du Reich Albert Speer qui, contrairement à elle, a écopé de vingt ans de prison. A sa sortie, il s’est retrouvé lui aussi, comme tout le monde, saints et pécheurs, dans les salons de télévision. Riefenstahl lui demanda un jour combien il demandait pour les invités et il répondit en citant une somme assez modeste. Elle répond que pour moins de 5 000 dollars, elle ne bougera pas de chez elle. Capacité extraordinaire à gérer son imageloin d’être clair malgré les efforts.

Le sens esthétique de Leni Riefenstahl

Mais ce qui frappe douloureusement dans le film et dans l’histoire de Leni Riefenstahl, c’est l’étendue de son talentmis au service de la pire des causes et de la plus atroce des machines de propagande. Dans une scène où le réalisateur est au ralenti Olympieexplique avec enthousiasme à ceux qui le filment quelles décisions ont été prises à l’époque pour créer les plans les plus spectaculaires du film, les défilés filmés d’en haut à bord d’un petit avion, mouvements de caméra pour accompagner le flux de la foule. Beau, impeccable, innovant pour l’époque. Nous le voyons maintenant. Mais malheureusement, elle l’a toujours su.

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