Après un sommet « historique » de l’OTAN à Madrid, l’alliance recevra des ressources supplémentaires et deux nouveaux États membres. Néanmoins, des tensions internes subsistent et la Russie compte sur une pression supplémentaire de la part de la population occidentale. Selon l’expert militaire Luc De Vos, « un monde instable avec d’autres alliances nous attend ».

Paul Notelteirs2 juillet 202203:00

La ministre néerlandaise de la Défense, Kasja Ollongren, a déclaré que l’OTAN était « plus grande, plus forte et plus unie que jamais » depuis le sommet. À quoi ça sert?

De Vos : « Les États membres ont en effet pris des décisions importantes. La force d’intervention rapide est en pleine expansion, passant d’environ 40 000 à plus de 300 000 hommes. Ces troupes en attente en Europe de l’Est seront soumises au contrôle central de l’OTAN et c’est une bonne nouvelle. Aujourd’hui, les hommes sont souvent bien entraînés, mais leur équipement et leurs munitions sont insuffisants. Les États membres s’engagent en outre à doubler le budget annuel de 2,5 milliards d’ici 2030. Cet effort sera partagé entre tous les pays participants, même si certains feront plus d’efforts pour atteindre les objectifs. La Belgique est l’un des pires élèves de la classe et n’investit que 1 % de son produit intérieur brut dans la défense. Le Premier ministre promet de porter ce chiffre à 2 % d’ici 2035, mais Elio Di Rupo a déjà déclaré en 2014 que ce serait en règle avant 2024. Ce que Vivaldi promet, d’autres devront le réaliser. Ce serait comique si ce n’était pas aussi tragique.

L’urgence est désormais plus grande car une guerre fait rage en Europe.

« C’est vrai, mais il y a aussi eu des avertissements dans le passé. La Crimée a été annexée en 2014. Les pays européens ont longtemps pensé que la guerre n’était plus possible, mais la situation en Ukraine a été un signal d’alarme. En tout cas, il faudra encore dix ans avant que nous puissions amener nos armées à un niveau adéquat. C’est pourquoi il est bon que la Finlande et la Suède souhaitent rejoindre l’OTAN. Ce sont deux pays dans lesquels le service militaire s’applique toujours et ils disposent également d’avions, de chars et d’artillerie modernes. Ils avaient longtemps défendu leur propre sécurité, tandis que les petits pays occidentaux se réfugiaient sous l’égide de l’OTAN.

La Turquie a longtemps résisté à l’adhésion. Pourquoi le pays s’est-il retourné ?

« La Suède et la Finlande étaient si impatientes d’adhérer que le président turc Recep Tayyip Erdogan a sauté sur l’occasion de forcer un accord. En échange d’un soutien à leur candidature, il voulait que les pays reconnaissent qu’ils considéraient le mouvement séparatiste kurde PKK comme une organisation terroriste. C’est une grande victoire pour Erdogan. Aussi les organisations liées et le mouvement Gülen (que le président blâme pour le coup d’État manqué de 2016, PN) sont ciblés. Les Kurdes qui vivent sur le territoire des pays et sont politiquement actifs devront faire profil bas. L’accord est peut-être vague, mais Erdogan l’utilisera comme un gros bâton.

Luc De Vos : « Je ne pense pas que la violence contre les civils fasse partie des plans militaires du Kremlin. »Statue Éric de Mildt

Comment Poutine réagit-il aux plans de l’OTAN ?

« Lors d’une conférence de presse, il a dit avec résignation que les pays pouvaient adhérer s’ils le voulaient, mais je ne pense pas qu’il soit content. Par exemple, si la Suède et la Finlande rejoignent, la mer Baltique deviendra une mer de l’OTAN. Il doit évidemment trouver un moyen de vendre cette nouvelle à l’opinion publique russe, ce qui explique son attitude. De plus, je ne pense pas qu’il puisse déployer rapidement des troupes entraînées supplémentaires aux frontières en représailles. Il a les mains pleines avec la guerre en Ukraine et les armes que l’Occident envoie. Cet équipement a chassé ses troupes, par exemple, de Snake Island, à quelque 30 kilomètres au large des côtes ukrainiennes. Cette zone est stratégiquement très importante. Ainsi, les déclarations des Russes selon lesquelles ils ont quitté la région parce qu’ils sont de bonne volonté ne sont pas correctes.

Natalia, la veuve d'un soldat ukrainien, pleure son mari.  ImageREUTERS

Natalia, la veuve d’un soldat ukrainien, pleure son mari.ImageREUTERS

Cette semaine, les images d’un attentat à la bombe contre un centre commercial à Krementchouk ont ​​fait le tour du monde. Poutine utilise-t-il la violence contre les civils pour exercer une pression supplémentaire ?

« Je ne veux pas défendre les Russes, mais je pense que c’était un faux pas technique là-bas. Le pays est doué pour le piratage et peut gérer les logiciels, mais il est en retard sur l’Occident en termes de matériel. Ils utilisent de vieilles fusées équipées de systèmes GPS qui ne sont pas toujours à jour. De plus, de nombreux russophones et Russes de souche vivent en Ukraine, avec qui Poutine veut juste être ami. Je ne pense donc pas que la violence contre les civils fasse partie des plans militaires du Kremlin, bien qu’il y ait bien sûr des soldats individuels qui sont coupables de crimes de guerre. »

Il y a une grande unanimité au sein de l’OTAN. Cela va-t-il continuer si le marasme économique se poursuit ?

« C’est ce qu’espère Poutine, bien que ses sujets puissent également faire pression sur lui en pointant le nombre élevé de victimes de guerre du côté russe. Alors que la guerre ukrainienne menace d’atteindre une impasse, nous devrons attendre et voir où la pression monte le plus rapidement. Un monde plus instable avec d’autres alliances arrive de toute façon. La Russie et la Chine pourraient rechercher un rapprochement, complété par le soutien des pays en développement que les États membres de l’OTAN tiennent pour responsables de la famine qui a éclaté ces derniers mois. Le monde avec deux blocs de puissance du passé cédera la place à une situation où il y a trois ou quatre alliances majeures.



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