“L’Europe perd un père fondateur” avec la mort de Jacques Delors (98)


Mise à jourJacques Delors, ancien président de la Commission européenne, fondateur de l’euro et homme politique de gauche en France, est décédé mercredi dans son sommeil à son domicile à Paris, à l’âge de 98 ans. Sa fille Martine Aubry l’a annoncé.

Delors, membre du Parti Socialiste français, a joué un rôle clé dans l’élaboration de l’Europe contemporaine : la création du marché unique européen, la signature des accords de Schengen, l’Acte unique européen, le lancement du programme d’échange étudiant Erasmus, la réforme de la politique agricole commune et de l’Union économique et monétaire qui mèneront à la création de l’euro, introduit en 1999.

Avec Jacques Delors, l’Europe perd un père fondateur. C’est ce qu’a écrit mercredi le Premier ministre Alexander De Croo sur X, anciennement Twitter. “Il a été l’architecte de l’Union européenne dans les moments difficiles, convaincu qu’une Europe unie était dans l’intérêt de ses citoyens”, a déclaré le Premier ministre. « Son projet pour une union plus forte et plus sûre reste extrêmement pertinent pour l’Europe de demain. »


Commentant la mort de son compatriote, le président français Emmanuel Macron a qualifié Delors d’« architecte infatigable de notre Europe ».

Carrière

Né à Paris en 1925, dans une famille originaire de Torhout, en Flandre occidentale, Delors a débuté sa carrière professionnelle à la Banque de France, la banque nationale française. C’est là qu’il a gravi les échelons jusqu’à ce qu’il soit élu député au Parlement européen en 1979.

À partir de 1981, Delors s’est fait connaître comme ministre des Finances dans le premier gouvernement du président François Mitterrand. Après une politique budgétaire expansionniste infructueuse, trois dévaluations du franc français et une menace de sortie du Système monétaire européen (SME), le gouvernement n’a pu remettre l’économie sur les rails qu’avec une politique budgétaire plus stricte. Delors fut l’artisan de ce changement de cap en 1983. Cela a donné à Delors la renommée nécessaire pour être nommé nouveau président de la Commission européenne un an plus tard.

Image d'archive.  Le président français François Mitterrand (à gauche) et le ministre des Finances Jacques Delors lors du G7 à Williamsburg.  (29/05/83)
Image d’archive. Le président français François Mitterrand (à gauche) et le ministre des Finances Jacques Delors lors du G7 à Williamsburg. (29/05/83) ©AFP

Diplomate ambitieux

Immédiatement après sa nomination à la présidence, le Français cherchait un projet majeur pour relancer ce qui était alors la Communauté économique européenne. Il a opté pour l’achèvement du marché intérieur, qui était le seul domaine sur lequel les États membres de l’époque étaient d’accord. Tous estimaient que le commerce mutuel présentait trop d’obstacles. Les négociations ont abouti à la signature de l’Acte unique européen en 1986, qui non seulement promettait la libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux d’ici le 1er janvier 1993, mais donnait également un nouvel élan à l’intégration européenne.

Cela a été fait en donnant plus de pouvoirs au Parlement européen et en réformant la procédure de prise de décision au sein des Conseils des ministres européens. Désormais, l’unanimité n’est plus requise sur divers sujets, mais les décisions peuvent être prises par vote à la majorité qualifiée. De cette manière, l’équilibre des pouvoirs dans le processus décisionnel européen s’est en partie déplacé en faveur de la Commission, car davantage de propositions ont été approuvées qu’auparavant.

La nouvelle procédure a été introduite pour garantir l’adoption en temps opportun d’un total de 297 propositions législatives nécessaires à l’achèvement du marché unique. Delors doit donc être considéré comme l’homme politique qui a donné au marché intérieur sa forme définitive, mais aussi comme le diplomate qui a senti que le contexte politique était propice à la réussite du projet.

Le chancelier allemand Helmut Kohl (à gauche) et le président de la Commission européenne Jacques Delors lors d'un sommet de la zone euro à Luxembourg.  (28/06/91)
Le chancelier allemand Helmut Kohl (à gauche) et le président de la Commission européenne Jacques Delors lors d’un sommet de la zone euro à Luxembourg. (28/06/91) ©AFP

Fondateur de l’euro

Delors a fait preuve de la même agilité lors du lancement de l’Union économique et monétaire (UEM). Le projet d’une telle politique coordonnée entre les États membres européens remontait au début des années 1970, mais Delors estimait également que le moment était venu. Dans le « rapport Delors », le président de la Commission a recommandé de réaliser l’UEM en trois étapes, l’introduction d’une monnaie unique étant une éventuelle étape finale. Mais il a fallu attendre la chute du mur de Berlin en 1989 et la réunification de l’Allemagne par le chancelier allemand Helmut Kohl pour que la décision soit prise d’introduire l’euro à partir du 1er janvier 1999. Cette intégration approfondie a été ancrée dans le traité de Maastricht en 1992.

Socialiste, mais aussi religieux, Delors a pu bâtir son palmarès grâce à sa bonne coopération avec les dirigeants chrétiens-démocrates tels que Kohl, le Premier ministre luxembourgeois Jacques Santer et le Belge Philippe Maystadt, qui en tant que ministre fut successivement responsable des Affaires économiques et des Finances. Wilfried Martens a salué Delors dans ses mémoires comme « la personnification du renouveau de la pensée européenne ». À ce jour, Delors est le seul président de la Commission à avoir accompli trois mandats.

Après Bruxelles

En 1995, alors qu’il était grand favori selon les sondages, il refuse de se présenter à la présidence française.

Avec ses groupes de réflexion « Club témoin » ou « Notre Europe », devenus par la suite « Institut Jacques Delors » à Paris, Bruxelles et Berlin, il prône jusqu’à la fin de sa vie un renforcement du fédéralisme européen et appelle à davantage de « courage » à l’époque du Brexit et des attaques de « populistes de toutes sortes ». En mars 2020, Delors a appelé les dirigeants européens à plus de solidarité alors qu’ils luttaient pour une réponse commune à la pandémie du coronavirus.



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