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Les histoires qui comptent sur l’argent et la politique dans la course à la Maison Blanche
L’auteur est un contributeur du FT
On peut sentir le soulagement dans les capitales européennes à l’annonce de l’entrée de Kamala Harris dans la course à la présidence des États-Unis. Certes, Joe Biden avait été un bon ami du continent après la guerre de Vladimir Poutine contre l’Ukraine. Mais l’Europe ne peut pas se montrer sentimentale sur ces sujets. Les sondages d’opinion n’ont-ils pas dit que la femme de 81 ans était quasiment certaine de perdre la Maison Blanche au profit de Donald Trump ?
Les Européens ont tendance à osciller entre complaisance et insécurité, entrecoupées de moments de ressentiment. Pendant la majeure partie de cette année, la deuxième des trois émotions qui a dominé les débats a été la peur de voir Trump gagner et de faire la leçon sur la garantie de sécurité américaine. Le danger est désormais que la candidature de Harris ait réintroduit la complaisance dans le débat.
Le cauchemar, vous diront les diplomates, est celui d’un Trump fraîchement reconduit au pouvoir qui convoquerait un sommet de l’OTAN en février 2025. En arrivant au siège de l’OTAN à Bruxelles, il annonce qu’il se rend à Moscou pour des entretiens avec son vieil ami Vladimir Poutine. Là, se vante-t-il, les deux hommes forts des affaires mondiales fixeront les termes d’un cessez-le-feu en Ukraine.
Pour encourager Volodymyr Zelensky à accepter, Trump dira au président ukrainien que s’il persiste à tenter de reconquérir le territoire occupé par la Russie, il coupera l’approvisionnement en aide et en matériel militaire américains à Kiev. Ses collègues de l’OTAN se trouvent alors face à un choix. Ils peuvent soit soutenir une capitulation envers Poutine (et dire adieu à un ordre européen post-guerre froide fondé sur l’inviolabilité des frontières nationales), soit voir les États-Unis se retirer de l’alliance la plus réussie de l’histoire. Face, Poutine gagne, face, l’Europe perd.
On ne sait pas grand-chose de la vision du monde de Harris, mais ses déclarations publiques ont été rassurantes. « Pour le président Biden et moi, notre engagement sacré envers l’OTAN reste inébranlable », a-t-elle déclaré lors de la Conférence sur la sécurité de Munich cette année. Il en va de même pour son soutien à l’Ukraine. Son principal conseiller en politique étrangère, Philip Gordon, est un fervent partisan des relations transatlantiques qui a fait sa carrière diplomatique en s’engageant auprès des alliés européens de l’Amérique.
L’Europe aurait tort de se précipiter. Il ne suffit pas de se mettre au niveau de Trump trois mois avant le scrutin. L’enthousiasme pour Harris n’est pas non plus une garantie suffisante. Hillary Clinton a obtenu une majorité de près de trois millions de voix lors du vote populaire de 2016. Harris doit gagner dans les bons États. La Pennsylvanie, le Wisconsin et le Minnesota me viennent à l’esprit.
La tentation européenne de considérer la candidature de Harris comme un moyen de sortir de prison ne tient pas compte d’un changement sous-jacent. Quel que soit le résultat de novembre, Biden était le dernier atlantiste viscéral de la Maison Blanche. Il a été élu pour la première fois au Sénat en 1972, l’année où Washington a ratifié son premier traité sur les armes nucléaires avec l’Union soviétique. Sa boussole personnelle était donc fixée par l’alliance de la guerre froide avec l’Europe. Cet engagement a été aussi bien émotionnel que stratégique.
Même si Harris peut apprécier l’importance de l’OTAN pour la sécurité nationale américaine (Trump n’a jamais compris que céder à Poutine sur la question ukrainienne affaiblirait gravement les États-Unis dans une confrontation avec la Chine), Biden, en raison de son âge, était une exception. Barack Obama a annoncé le virage américain vers l’Asie avant que Trump n’arrive à la Maison Blanche.
Les courants politiques aux États-Unis sont orientés dans deux directions. La première penche vers un isolationnisme traditionnel qui veut que l’Amérique renonce à tout rôle de leader mondial ; la seconde affirme que l’ennemi est la Chine et que les Européens doivent être laissés à eux-mêmes. Ces opinions ne sont pas l’apanage de la droite populiste. De nombreux démocrates se demandent si les États-Unis ne devraient pas adopter une vision plus étroite de l’intérêt national. Si elle est élue, Harris ne sera pas à l’abri de ces pressions.
La conclusion à laquelle les Européens doivent faire face est que tôt ou tard, ils devront assumer la responsabilité de leur propre sécurité, que ce soit par la construction d’un véritable pilier européen au sein de l’OTAN ou, si Trump est élu, à partir de ce qui reste de l’Alliance. Emmanuel Macron appelle cela l’autonomie stratégique ou la souveraineté. Il a raison, même si le président français n’est parfois pas aidé par la connotation gaulliste de ses déclarations.
Le point de départ est une augmentation progressive des dépenses de défense. Ajoutez à cela une stratégie industrielle de défense de l’UE visant à constituer des forces armées compétentes, des structures politiques pour une prise de décision conjointe qui désamorcent les vetos de ceux qui préfèrent se ranger du côté de Poutine, et des institutions pour appliquer des sanctions contre les agresseurs et fournir un soutien militaire et une aide financière aux alliés.
L’Europe a pris des mesures dans ce sens pour soutenir l’Ukraine. Les gouvernements se sont parfois étonnés de leur capacité à réagir rapidement face à une crise. Les combats en Ukraine ne sont toutefois pas un événement isolé. Ils montrent plutôt que le monde émerge, où le droit du plus fort prime sur les hypothèses confortables de l’ordre de l’après-guerre froide.
Une victoire de Trump à l’élection présidentielle américaine constituerait une menace immédiate pour la cohésion des démocraties avancées occidentales. Les répercussions de son mépris pour l’OTAN dépasseraient largement l’Europe en remettant en question les garanties de sécurité dont bénéficient les alliés des États-Unis, comme le Japon et la Corée du Sud. On peut pardonner aux Européens d’espérer le meilleur. À condition qu’ils se préparent également au pire.