« L’éternelle tragédie de la gauche » : ces leçons que nos présidents de partis francophones tirent de la course présidentielle française

Quand il pleut à Paris, il pleut à Bruxelles, dit-on. La boussole de pas mal de compatriotes francophones est tournée vers le sud, vers son grand voisin la France. Socialement, culturellement, mais aussi politiquement. Cela signifie que les politiciens francophones de notre pays sont régulièrement inspirés et guidés par ce qui se passe en France. Plus qu’on ne le pense au nord de la frontière linguistique.

La question des leçons qu’ils tirent du premier tour des élections présidentielles du week-end dernier, alors que l’actuel président Emmanuel Macron (27,8 % des voix) et l’extrême droite Marine Le Pen (23,1 %) se sont qualifiés pour le second tour décisif, dit donc quelque chose sur la situation politique en France et en Belgique.

La tragédie

Pour le président du PS Paul Magnette c’est clair : les victoires de Macron et de Le Pen montrent « l’éternelle tragédie de la gauche ». Que les candidats progressistes, emmenés par l’ancien d’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon (22 %), suivis du vert Yannick Jadot (4,6 %) et d’Anne Hidalgo du PS (1,8 %) n’aient pas survécu au premier tour, attribue-t-il à la naïveté stratégique. « Beaucoup d’électeurs socialistes et écologistes ont voté pour Mélenchon parce qu’il est arrivé dans les urnes comme l’homme du ‘vote utile’† Mais cela n’a mené à rien », explique Magnette.

Dans un système électoral à deux tours, la gauche doit être unie dès le premier tour, plaide le socialiste. Sinon on organise sa propre défaite. « Si toutes les formations de gauche s’étaient ralliées à un seul candidat, Macron aurait entamé le second tour. »

La réponse de Magnette fait aussi en partie référence à l’évolution de l’équilibre politique des pouvoirs dans notre pays. Les derniers sondages montrent que l’extrême gauche connaît une forte poussée de croissance en Belgique. En Flandre, mais surtout à Bruxelles et en Wallonie. Là, le parti menace peu à peu la position dominante historique du PS. Dans la capitale, Ecolo est le premier parti dans les sondages. Le président du PS, Magnette, voit de mauvais augures dans le résultat français : si la gauche est divisée, la droite finit par triompher.

L’analyse de Magnette n’est pas nouvelle : c’est une façon classique de rejeter un vote pour le PVDA-PTB comme un soi-disant « vote perdu ». Ou plus : comme une voix qui ne profite qu’à l’opposition idéologique. Auparavant, le président de la N-VA, Bart De Wever, avait déjà statué sur le Vlaams Belang qu’un vote pour ce parti était un vote pour la gauche francophone.

Mélenchon

Il n’est pas surprenant que Raoul Hedebouw, le Liégeois qui dirige le PVDA-PTB, ait un autre regard sur les résultats français. « Je constate surtout que Mélenchon s’est jeté avec une campagne insoumise. C’est quelqu’un qui a séduit les quartiers populaires – il gagne à Roubaix – et les jeunes. Dans cette catégorie d’âge, il a marqué le meilleur de tous les candidats.

Hedebouw y voit une confirmation de son propre parcours. « Il y a beaucoup de colère parmi les gens et en tant que politicien de gauche, vous ne pouvez saisir cela qu’avec des idées fortes. Vous ne devriez pas seulement penser à ce qui est censé être pratiquement faisable. Et vous ne devriez certainement pas vous laisser prendre dans un néolibéralisme de gauche comme celui d’Hidalgo, qui subit une défaite écrasante. »

Pour Hedebouw, il n’est pas question de dérapages stratégiques au sein de la gauche. Mélenchon lui-même était contre un candidat de gauche au premier tour de scrutin et selon Hedebouw avec raison. « Sur le fond, céder lourdement à votre programme, notamment en abaissant l’âge de la retraite à soixante ans, pour embarquer les socialistes et les verts, ce n’est pas possible. Ensuite, vous obtenez simplement moins de votes que plus. La somme de Magnette est fausse. »

travaille toujours

A droite, le président du MR Georges-Louis Bouchez juge que les résultats du premier tour de scrutin montrent surtout que les électeurs recherchent des hommes politiques porteurs directs d’un projet de société. « Tous ceux qui se sont compromis ont beaucoup perdu, y compris le PS. De plus en plus, les partis traditionnels ne parviennent plus à comprendre ce que pense la classe moyenne. Pour leur offrir une histoire crédible. Vous voyez ce déclin dans de nombreux pays, pas seulement en France. Regardez notre propre pays : nous lançons une campagne qui encourage les citoyens à consommer moins de gaz, mais nous construisons deux nouvelles centrales électriques au gaz pour compenser la sortie du nucléaire. Les gens ne comprennent pas ça. »

Quant au score déprimant (4,8 %) de Valérie Pécresse, la candidate libérale des Républicains, le parti de l’ancien président Nicolas Sarkozy, entre autres : Bouchez lui reproche son faible profil. D’autres dirigeants libéraux auraient pu faire mieux, estime-t-il. « En tout cas, Macron est perçu comme libéral, c’est clair. Il aura encore du travail au second tour de scrutin, mais j’espère qu’il s’en sortira. »

Magnette est tout à fait d’accord avec ce dernier : « En tant que socialistes, nous devons nous pincer le nez et aller vers Macron, pour éviter le drame absolu d’une présidence d’extrême droite en France. »



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