Les structures déséquilibrées du pouvoir en France accumulent les problèmes


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L’écrivain est chercheur principal au Conseil allemand des relations extérieures

Depuis la décision du président Emmanuel Macron de convoquer des élections législatives anticipées, les marchés ont pris conscience des risques économiques et politiques qui couvaient en France depuis des années. Alors que la France est placée cette semaine sous procédure de déficit excessif par la Commission européenne, la pression s’intensifie. La question centrale est désormais de comprendre dans quelle mesure la politique économique pourrait tourner mal sous un gouvernement dirigé par le Rassemblement National d’extrême droite.

Marine Le Pen, figure dominante du parti, laisserait très probablement le poste de Premier ministre à Jordan Bardella, son protégé, pour se présenter à la présidence en 2027. Elle éviterait ainsi la « malédiction de Matignon », qui postule qu’aucun Premier ministre sortant Le ministre a une chance de remporter une élection présidentielle.

Donner un sens à la politique économique du RN est un défi, et évaluer comment elle évoluerait sous l’influence d’un partenaire de coalition comme le parti conservateur Les Républicains, ou serait contenue par le Parlement, est un exercice difficile. Depuis sa défaite à l’élection présidentielle de 2017, Le Pen cherche à normaliser le programme économique du RN. Le parti a en effet abandonné son appel à quitter la zone euro ou l’UE, présentant un programme économique plus modéré en 2022. Il a contesté la réforme des retraites de Macron mais a renoncé cette semaine à l’idée de l’abroger.

Sa proposition la plus radicale est désormais de réintroduire un impôt sur la fortune qui, selon la manière dont il est conçu, pourrait tout simplement ramener la France à l’ère pré-Macron. L’incertitude en matière de politique économique reste très forte, compte tenu du manque d’expérience de l’équipe du RN et des va-et-vient sur de gros postes de dépenses comme les baisses de TVA ou les subventions aux prix de l’énergie. Mais alors que le gouvernement Macron met en garde contre une calamité économique si le parti de Le Pen remporte le second tour des élections le 7 juillet, la plus grande menace réside ailleurs.

La comparaison avec l’Italie est instructive. L’arrivée au pouvoir en 2022 de Giorgia Meloni et de son parti d’extrême droite Frères d’Italie n’a pas perturbé l’économie. L’Italie est une démocratie parlementaire avec des freins et contrepoids moins évidents dans le système présidentiel français. En outre, Meloni, contrairement à Le Pen ou Bardella, avait une réelle expérience du gouvernement avant de devenir Premier ministre.

Meloni a été quelque peu contrainte par ses partenaires de coalition, qui ont des liens profonds avec les centres industriels du nord de l’Italie, et par un système politique où les acteurs du pouvoir local comptent. Enfin, elle a compris que le maintien de relations solides avec l’UE, les États-Unis et l’OTAN était essentiel à sa position internationale et à sa survie, et que le lobby des affaires italien pourrait être son meilleur ambassadeur si elle résistait à ses impulsions les plus populistes.

La France, en revanche, connaît un système profondément dysfonctionnel, marqué par l’étendue du pouvoir exécutif de la présidence et par la centralisation du pouvoir. Si Le Pen remportait l’élection présidentielle en 2027, elle obtiendrait probablement une majorité parlementaire avec ses alliés et pourrait gouverner sans contrôle. De même, si un état de « cohabitation » prévalait au cours des trois prochaines années – avec Macron et un gouvernement d’extrême droite en désaccord – alors sa capacité à restreindre le RN serait limitée, malgré les pouvoirs constitutionnels de la présidence.

Le groupe parlementaire de Macron, qu’il a constamment ignoré, serait trop petit, trop faible et isolé pour exercer une grande influence. Cela le pousserait à une confrontation ouverte avec son Premier ministre, utilisant et potentiellement abusant du droit limité de la présidence de veto sur la législation et de contester les politiques gouvernementales. Macron aurait tout intérêt à saboter les actions de son Premier ministre, afin de démontrer l’inaptitude du RN à gouverner. Pendant ce temps, le RN s’inspirerait des précédents troublants établis par Macron lui-même. Il pourrait tenter de contourner les débats parlementaires en invoquant des procédures d’urgence, en recourant à l’article 49.3 de la Constitution pour adopter une législation ou même en contestant les décisions de l’UE et les arrêts de la Cour de justice européenne.

La dernière « cohabitation » de la France, avec Jacques Chirac comme président et Lionel Jospin comme Premier ministre, ne représentait aucun danger réel pour la stabilité de l’UE. Mais si Macron et Bardella siégeaient aux côtés d’autres dirigeants lors des sommets européens, chacun représentant la France mais avec des vues diamétralement opposées sur l’UE, cela nuirait non seulement à la position de la France, mais menacerait également les processus politiques fondamentaux du bloc.

Ce qui est préoccupant dans la crise française, c’est moins le changement potentiel des politiques économiques nationales que le fait que le système politique est incapable de générer des compromis. La Cinquième République reste un système où le vainqueur rafle tout. Il ne peut être maîtrisé que par une « cohabitation » si le président et le Premier ministre sont prêts à choisir le compromis plutôt que le chaos. À l’heure actuelle, les perspectives ne sont pas prometteuses.



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