Les plus cruels ne sont jamais ceux qui ne te veulent pas, ce sont eux qui ne te veulent pas toujours


cara Esther,

Comment allez-vous? Je pense que c’est la question à se poser en premier, puisque vous êtes un martyr en lisant les milliers d’histoires enchevêtrées qui vous parviennent.

Je m’appelle L. : le cas que je vous soumets est encore une autre histoire sans espoir de guérison. Du moins avec les hypothèses que je vais vous énumérer. J’ai terminé un PAQ de presque quatre ans il y a deux ans avec un homme qui voulait un avenir avec moi mais que je n’aimais pas assez.

Dès lors commence une véritable obsession avec le Dorian Gray de l’histoire, l’homme qui avec des regards et des sourires me donne quelques nuits de feu et m’exclut de sa vie sans trop d’explications.

Mon existence continue sans sens : depuis un an, j’ai eu plusieurs coups de cœur avec des hommes dont je n’ai aucun souvenir, si ce n’est mon envie de m’amuser. En attendant je revois aussi mon ex, consciente que ses conditions continuent d’être un obstacle pour une (éventuelle) soupe chauffée : il (toujours amoureux de moi) veut vivre ensemble, moi je n’en ai juste pas envie.

Mais l’obsession du narcissique devient platonique, sans ambiguïté et alors qu’il me traite de « paranoïaque, lourde et incapable de prendre des précautions personnelles pour les choix que je fais » (texte cit.) je n’arrête pas de penser à ces nuits passées Ensemble. Des soirées où, évidemment, il n’avait besoin que de moi pour gonfler un peu son énorme ego sans jamais songer à s’impliquer le moins du monde avec moi. Je sais bien qu’il a une ex dans son passé qu’il aimait beaucoup, qui l’a quitté sans combat. Il se pavane avec plaisir, s’autoproclame divinité sur Terre (aussi) avec moi. C’est juste son air sournois qui me convainc, chaque fois que je le vois.

Je n’arrête pas de penser à « ses » conditions, que j’ai bêtement acceptées de l’avoir : aucune implication, « je vais franchir cette porte et tout oublier » (deuxième cit.). Le lendemain au travail, j’ai été dévastée, surtout suite à certaines de ses confessions personnelles et intimes auxquelles je ne m’attendais pas lors d’un réveil ensemble.

Amour et couple : les avantages d'être ensemble dans des maisons séparées

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Je sais que tout est faux, je sais que je me suis fait dire des choses que personne n’a jamais pensé à me dire étant donné la dure et forte armure de femme que j’ai construite. Mais je n’arrête pas de penser à cet individu, au fait que j’étais son jouet et que ses mensonges et ses messages incessants (« on boit une bière demain ? » ; j’ai bu des dizaines de bières sans lui, bien sûr) n’étaient destinés qu’à garder moi calme et aux abois, au cas où je pourrais le servir à nouveau. Attention, si ça peut aider : nous sommes (aussi) collègues.

Il y a beaucoup de confusion, surtout parce que j’ai encore en tête ce petit bonhomme qui peut-être aussi dévaste mon personnage (d’ensoleillé, sympathique je suis devenu de plus en plus nerveux et piquant avec la faune mâle).

Certain de lire votre infâme diagnostic et quelques mots de réconfort, je vous remercie par avance Esther.

L

La réponse d’Esther Viola

Cher L., je vais bien, et tu vas bien aussi. Ou tu iras mieux bientôt, ça suffit.
Vous savez quoi? Ceux-ci sont devenus imbattables. Ils ont toujours été imbattables au désintéressement. Les plus cruels ne sont jamais ceux qui ne te veulent pas, ce sont eux qui ne te veulent pas toujours. Les chances d’échapper au piège sont nulles.

Dans les relations non réciproques, réciproques à la volée, comme la vôtre, la force est nécessaire. Pas l’amour, force. Des réserves d’énergie que l’on peut certainement demander à une personne de vingt ans. Alors vous comprenez que plus vous avancez, plus vous feriez mieux de mettre de côté le courage de défier tous les fronts. Même si vous avez ce courage, surtout si vous l’avez.
Comment est-ce que ça se finit? Avec une réduction volontaire du potentiel de rêve. Et à partir de là, il ne faut rien pour bien vivre.

La situation à propos de laquelle vous m’écrivez est la suivante : vous n’en pouvez plus, mais vous le pouvez toujours.
Possibilité? Disparaître, L. Tout le monde aimerait ça, mais c’est très rare que ça réussisse. Où disparaissez-vous ? De quel côté te caches-tu ? Où allons-nous quand nous voulons partir ? Sous le lit? Il faut Internet là aussi, les notifications arrivent. Se cogner la tête ne suffit pas.

Les possibilités se résument aux deux habituelles. Dois-je vous les écrire ?

1) Je résiste encore.
Résister est un travail d’artiste. Des sacrifices de travailleurs et de maigres récompenses attendent ceux qui vont à l’encontre des chances du destin. Le mur des faits est presque invincible, mais il y a toujours une fissure. Ce crack appartient aux héros et à ceux qui ne s’arrêtent pas devant les amours non partagées. Si vous tombez cent fois, relevez-vous cent et une : c’est quand vous n’en pouvez plus que vous découvrirez que vous avez des réserves de patience insoupçonnées. Il n’y a qu’un seul foie mais on s’en fout : avancer sans crainte. Je sais qu’à l’hospice, les histoires d’amour tenues pour acquises refleurissent.
La perspective de perdre quarante ans vous effraie-t-elle ? Gagner quand on est vieux, c’est gagner un peu moins ? En attendant, ce ne sera pas une aventure. Cet amour ne sera fait que de poésie (bien sûr, vous avez une sciatique). Bref, qui est destiné et qui ne l’est pas, nous ne le saurons qu’en vivant, il est inutile de s’exciter, il suffit d’attendre.
Il n’y a pas d’autres remèdes pour tomber amoureux un jour. Il n’y a que la médecine d’être là, confirme aussi Safran Foer.

2) Je pars.
Ce type de solution a un postulat : la prise de conscience qu’il n’y a rien à faire devant un être cher si ce n’est pardonner et rendre quelqu’un seul pendant quelques mois. Nous nous rendons compte que le désir va vers ce qui est le plus opposé, alors quels espoirs avons-nous, qui sommes des laquais éphémères et dévoués.
Assez, d’ailleurs.
Ce serait bien, et pourtant qui abandonne, si le cœur commande de continuer ? Un tir ami contre vous-même ?

Cher L., le fait est que les gens comme lui tombent plus amoureux que des gens comme toi. Pouquoi? Pourquoi les indifférents sont-ils aussi récompensés ?
Les gens qui ne se soucient pas trop de l’effet que certaines de leurs légères méchancetés auront sur nous sont généralement assez charmants. De petites doses de poison qu’ils sont bons à administrer. Ce qui est un aveu que nous souffrons tous de très peu d’estime de soi. Qui l’appelle insécurité, qui dit qu’il est victime de narcissique, qui l’appelle faible estime de soi, quelqu’un d’humanité.

Mais le finir n’est pas un exploit impossible, croyez-moi. Cela se produit alors que vous pensez que rien ne se passe. L’oubli est une douleur à libération lente, une douleur de maçon, celle qui ajoute une brique chaque jour. Bientôt, vous reviendrez à vos sens, nouveau nouveau. A la place de la fille avec beaucoup d’amour, il y en aura une avec des boîtes cassées de malaise. Qui prend des décisions rigoureuses et plus essentielles. Un peu plus froide, un peu plus calculatrice, un peu plus capable de se défendre et aussi capable de se moquer de l’autre. « On n’est jamais aussi fort que lorsqu’on passe de l’autre côté du désespoir », écrit Alice Munro. Bref, on dit adieu à un certain esprit naïf, celui qu’on dit si propre à nous faire tomber amoureux. Cet émerveillement et cette tendresse qu’il faut garder et plutôt par charité. Cela semble une perte de poésie, de beauté, au contraire c’est du caractère. Parce que vous vous rendez compte – vous l’avez peut-être déjà compris – qu’il est plus facile de désirer une personne distante qu’une personne insupportablement affectueuse. On apprend à se faire aimer par la somme des déceptions, avant on ne ressent pas l’amour, on peut le supporter. Veuillez lire attentivement ces dernières lignes jusqu’à ce que vous les trouviez optimistes et agréables.

iO Femme © REPRODUCTION RÉSERVÉE



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