Les minorités françaises paient le prix d’une campagne électorale polarisante


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A en juger par les résultats des élections de dimanche, les hommes politiques français peuvent mettre de côté leurs divergences pour empêcher l’extrême droite d’accéder au pouvoir. Ils devront désormais faire preuve du même esprit d’unité pour réparer certains dégâts visibles au cours de la campagne : une augmentation des crimes haineux commis par des extrémistes.

Le Rassemblement national (RN), parti d’extrême droite longtemps méprisé car incompatible avec les valeurs de la République française, n’a pas réussi à prendre le pouvoir, mais a tout de même recueilli plus d’un tiers des suffrages exprimés.

Cette campagne a enhardi les extrémistes à un moment où les tensions dans la société française étaient déjà vives. Les minorités ont été les premières à en payer le prix, les signalements de crimes haineux se multipliant.

« Depuis le 9 juin, on assiste à une explosion de signalements de propos et d’actes racistes ou antisémites (…) Il y a une libération de la parole qui est directement liée au contexte politique », a déclaré Tina Théallet, porte-parole de la Licra, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme.

Un peu plus d’une semaine après l’annonce des élections, deux adolescents ont été accusés d’avoir violé une fillette juive de 12 ans. Les signalements d’actes antisémites avaient déjà augmenté après l’attaque du Hamas contre Israël en octobre et ont triplé entre janvier et mars par rapport aux trois premiers mois de 2023, selon le gouvernement.

D’autres crimes haineux sont également révélés. Karim Rissouli, journaliste à la chaîne publique France 5, a reçu à son domicile une lettre dans laquelle il était écrit : « La seule et unique raison fondamentale du vote RN, c’est que le peuple historique français en a assez de toutes ces bicots [a slur for north African]. . . Les vrais Français qui viennent de France ne vous accepteront jamais, ni vos frères, et malgré votre nombre, vous n’appartiendrez jamais à la France.

Mohamed Bouhafsi, un autre journaliste français d’origine maghrébine, a lui aussi été victime d’insultes sur les réseaux sociaux. « Ce genre de discours n’existait pas lors de la présidentielle de 2022, a-t-il confié à France 5. J’en ai déjà entendu avant le 9 juin, peut-être une fois par mois… Maintenant, c’est trois ou quatre messages par jour. »

D’autres incidents ont été signalés, notamment la tentative de noyade d’un adolescent français d’origine nord-africaine que ses agresseurs ont qualifié de « sale Arabe » ; la distribution de tracts « Stop aux Noirs » à Chatou, une ville près de Paris ; et le tournage de partisans du RN criant à leur voisin noir de « retourner à Paris ». [her] « chenil » comme « c’est notre maison ».

Avec la défaite de l’extrême droite, l’euphorie de ses partisans se transforme en frustration, qui n’est pas moins propice à la violence. Dimanche, le rugbyman Melvyn Jaminet a exprimé sa déception dans une vidéo sur les réseaux sociaux dans laquelle il disait qu’il frapperait avec son casque « le premier Arabe que je croise dans la rue ».

Le racisme envers les immigrés des anciennes colonies françaises existait déjà avant cette époque. J’ai récemment retrouvé une vidéo de ma mère interviewée sur la montée de l’extrême droite en 1986 à Marseille. On pouvait y voir les inscriptions « Front national » et « Mort aux melons » – insulte envers les Nord-Africains – sur les murs des banlieues qui abritaient et abritent encore de nombreux immigrés.

Les politiciens exploitent depuis longtemps les tensions raciales pour gagner des voix. Plus récemment, Jean-Luc Mélenchon, le leader de la gauche radicale, a minimisé la hausse des crimes antisémites pour courtiser les électeurs musulmans.

Mais avant le second tour, un gouvernement d’extrême droite semblait tout à fait envisageable. Il a généré une peur et une confusion que certains psychologues français ont comparées à l’angoisse généralisée chez leurs patients après les attentats de Paris en 2015.

Le climat de confusion risque de perdurer, la France étant désormais confrontée à un parlement sans majorité absolue, sans voie claire quant à la manière dont il sera gouverné jusqu’aux prochaines élections, qui pourraient avoir lieu l’année prochaine.

La campagne a vu manifestations Les électeurs ont été nombreux à soutenir l’extrême droite à Paris et dans d’autres villes. Mais le tableau est globalement sombre. Selon un sondage de l’institut Ipsos, plus de la moitié des électeurs ayant soutenu l’extrême droite au premier tour de l’élection ont avoué être « assez » ou « un peu » racistes.

Le pari risqué du président Emmanuel Macron a peut-être non seulement mis en évidence, mais aussi élargi les fractures au sein de la société française. Les responsables politiques doivent de toute urgence commencer à travailler à les combler. Cela pourrait déterminer le sort de la France après les prochaines élections.

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