Les jeunes de Nanterre ne voient pas d’autre solution que de « mettre le feu »


« Nous l’avons appelé Nahnah. » Zyed (26 ans) roule une cigarette. Ça sent le charbon de bois et le plastique brûlé sur l’esplanade Charles de Gaulle dans la banlieue parisienne de Nanterre. Il est déjà midi, mais le sol brûle encore des émeutes de la nuit précédente. Zyed, qui, comme la plupart des autres habitants, ne veut pas donner son nom complet, est assis avec un groupe d’amis sur le bord de la place et fait signe aux slogans dont presque tous les bâtiments ont été enduits. « Justice pour Nahel », écrit-il en grosses lettres noires, et « Nahnah 92000 », une référence au code postal de Nanterre.

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Nanterre est le quartier de Nahel M., dix-sept ans, abattu par un policier mardi matin 27 juin, après avoir refusé d’obtempérer à un ordre d’interpellation. Après qu’une vidéo de l’incident soit devenue virale, des manifestations ont éclaté dans toute la France, se transformant souvent en émeutes. Bien que l’intensité des affrontements ait diminué depuis vendredi, des dizaines de milliers de policiers ont été mobilisés et plus de trois mille personnes ont été arrêtées. Le président Emmanuel Macron a reporté samedi une visite d’État prévue en Allemagne en raison des troubles. Nahel a été inhumée le même jour à Nanterre sous un grand intérêt public.

« Ils ont mis le feu à l’école primaire et à la pharmacie ici », raconte Tina (45 ans). Elle pose son sac à provisions et secoue la tête. « C’est pire que la dernière fois. » Les affrontements violents entre les habitants des banlieues et la police sont un phénomène récurrent en France. « Je me souviens encore des émeutes de 2005 », confie Sofiane (31 ans), l’un des amis de Zyed, « rien n’a changé ». Cette année-là, il y a eu des semaines d’émeutes dans plusieurs banlieues après la mort de deux adolescents en essayant de se cacher de la police. Mais des affrontements similaires ont lieu depuis les années 1980, et les manifestations ont repris en 2017 après des brutalités policières.

Les habitants ne sont guère surpris par un communiqué du syndicat de la police qui parle de « vermine » et de « hordes sauvages »

« Il se concentre sur la police, mais le flics [smerissen] ne sont qu’une partie du problème », déclare l’Algérienne Samia Chabane. Elle vit à Nanterre depuis les années 1990 et a vu les tensions monter en banlieue. « Certains des jeunes qui descendent dans la rue appartiennent déjà à la quatrième génération, mais ils ne sont toujours pas considérés comme français. » Les résidents ne sont guère surpris par un communiqué de presse du syndicat de la police vendredi qui parlait de « vermine » et de « hordes sauvages ».

Taudis

Zyed et ses amis se sentent également éloignés de Paris. Zyed pointe du doigt les tours de verre du quartier d’affaires de La Défense, qui jouxte Nanterre et où la construction bat son plein. « Ils ont construit un nouveau stade là-bas il y a quelques années », explique Zyed, « dans notre quartier, presque rien n’a changé dans l’infrastructure au cours des quinze dernières années. » Dans la ligne d’horizon, les nouveaux bureaux contrastent fortement avec les appartements du complexe résidentiel Pablo Picasso qui ont formé le cœur des manifestations à Nanterre la semaine dernière.

Un manège dans un parc à Nanterre a été détruit par un incendie lors d’émeutes qui ont éclaté la semaine dernière en réponse à la brutalité policière meurtrière.
Photo Jeanne Franck
Un bâtiment de banque incendié à Nanterre.
Photo Jeanne Franck
Pendant les émeutes de Nanterre plusieurs bâtiments ont pris feu.
Photos Jeanne Franck

Jusque dans les années 1970, Nanterre était l’une des dernières Villes-bouteilles de Paris, un bidonville où la communauté algérienne vivait dans des conditions précaires. Les bidonvilles ont été remplacés par des immeubles de grande hauteur, mais « les événements de ces derniers jours sont une vieille histoire », explique un habitant de Chabane. Néanmoins, comme dans d’autres banlieues, Nanterre abrite encore de nombreuses personnes issues de l’immigration et les revenu moyen est, à 21 000 euros, environ 10 000 euros de moins que dans les communes voisines comme Courbevoie et Puteaux.

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Cela met Sofiane en colère. « La seule solution qui nous reste est de mettre le feu », dit-il. « Parce que nous ne pouvons pas rivaliser avec la police, nous n’avons pas d’autres armes. » Lui et ses amis suivent de manière obsessionnelle les événements dans d’autres villes françaises en ligne depuis des jours. C’est en partie grâce aux médias sociaux que les émeutes se sont propagées si rapidement dans tout le pays. Les garçons sont impressionnés par l’ampleur des émeutes à Marseille et rient et se montrent une photo du bâtiment de la ‘Caf’ (Caisse d’allocations familiales). « Le seul bâtiment qui ne brûlera pas Nanterre », dit-il. C’est une demi-blague. De nombreuses familles du quartier dépendent des prestations ou des prestations.

La famille de Nahel, qui a été abattue, en est un bon exemple, selon son ancienne institutrice Pascale (63 ans) : « Sa mère était seule dans son éducation, dans des circonstances très difficiles. Pascale a vécu toute sa vie à Nanterre : « C’est un vrai problème dans ces quartiers, je vois beaucoup de femmes seules avec enfants qui ont un travail et ne peuvent pas donner à leurs enfants toute l’attention dont ils ont besoin. »

Des quartiers comme Nanterre ont aussi souvent des taux de criminalité relativement élevés. « Au complexe Pablo Picasso, les marchands font la loi », explique Chabane. « Puis-je être honnête? Je ne me sens pas en sécurité dans le quartier la nuit », dit Tina avec les sacs à provisions.

Samia Chabané vit à Nanterre depuis les années 1990 et a vu les tensions monter en banlieue. « Certains des jeunes qui descendent dans la rue appartiennent déjà à la quatrième génération, mais ils ne sont toujours pas considérés comme français. »

Photo Jeanne Franck

Nedjma (74 ans) sent à quel point la communauté subit une pression croissante. L’inflation récente a particulièrement touché des quartiers comme Nanterre, dit-elle, et « les fermetures ont affecté les réseaux sociaux ». En France, la pandémie a exacerbé les inégalités existantes en banlieue augmente. Nedjma s’étonne que ce genre de manifestations n’existe qu’en France et elle s’inquiète pour l’avenir. « C’est beaucoup plus profond que les gens ne le pensent. »

Sur la place, Zyed regarde les journalistes se rassembler devant le banc incendié. Il sourit. « Ils auraient dû être ici il y a des mois. »





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