Les différends commerciaux transatlantiques évoluent vers un nouveau rythme contrôlé par les États-Unis


L’écrivain est directeur de recherche au Conseil européen des relations étrangères et ancien fonctionnaire du département d’État américain.

Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, arrive à Washington vendredi au milieu de ce qui semble être un différend typique entre les États-Unis et l’UE. L’adoption aux Etats-Unis de nouvelles mesures de politique industrielle telles que l’Inflation Reduction Act et le Chips and Science Act a fait beaucoup grincer des dents à Bruxelles. De nombreux Européens ont le sentiment que les États-Unis, pour mieux s’armer dans leur concurrence avec la Chine, prennent des décisions sans trop prêter attention aux intérêts économiques européens.

En fait, plutôt que de ressembler à des disputes passées sur des questions telles que les subventions aux avions ou les normes sanitaires, ce débat est susceptible de suivre un nouveau rythme pour les relations économiques américano-européennes. Appelez cela « coordination ex-post ».

Voici comment cela fonctionne. Les États-Unis agissent sans consulter sérieusement leurs alliés européens. Il y a une réaction de colère prévisible de l’autre côté de l’Atlantique. Le gouvernement américain exprime sa surprise et son inquiétude quant au mécontentement des alliés et envoie divers envoyés de haut niveau dans les capitales européennes pour écouter attentivement les plaintes et s’engager à y répondre. Le président annonce alors qu’il a entendu et compris ces inquiétudes, qu’il peut faire une quantité limitée à ce stade, mais il offrira alors une concession symbolique. Les Européens se déclarent satisfaits de leurs efforts pour amener les Américains à régler leurs problèmes. Ce que personne ne semble remarquer, c’est que les États-Unis ont réussi à obtenir presque tout ce qu’ils veulent.

C’est le modèle que l’administration Biden a suivi lors du retrait de l’Afghanistan et lors du débat Aukus en 2021 lorsque les États-Unis sont allés dans le dos de la France pour conclure un nouveau pacte de défense avec l’Australie et le Royaume-Uni. Et cela semble être le rythme émergent de la réaction à l’acte IRA and Chips.

Pour voir ce processus en action, considérons plus en détail l’approche européenne de l’IRA. Une chose curieuse s’est produite sur le chemin de l’adoption de ce projet de loi au Congrès américain. Personne n’a considéré son impact sur l’Europe. Malgré les implications potentiellement dévastatrices des 369 milliards de dollars de subventions climatiques du projet de loi sur l’industrie européenne, le long débat à son sujet ne contenait pratiquement aucune mention de son effet sur les alliés de l’Amérique outre-Atlantique.

Encore plus étrange, ce manque d’attention à l’effet négatif du projet de loi sur les alliés européens s’est étendu aux Européens eux-mêmes. Le gouvernement canadien a vu les dangers que contenait le projet de loi et a réussi, grâce à une campagne de lobbying concertée, à obtenir une exception à ses dispositions « Buy America ». Il ne semble pas y avoir eu d’effort européen similaire.

Une fois le projet de loi adopté, il y eut un tollé dans divers milieux européens, notamment en France. Mais la commission de von der Leyen insiste toujours sur le fait que l’IRA est une contribution clé à l’effort de lutte contre le changement climatique. Plutôt que de défier les États-Unis de front à l’Organisation mondiale du commerce ou de chercher des représailles, la Commission européenne a choisi de vanter que l’UE gère déjà un programme de subventions vertes qui dépasse celui des États-Unis et de demander des exemptions.

« Ensemble », s’est vanté von der Leyen, « l’UE et les États-Unis à eux seuls mettent en avant près d’un milliard d’euros pour accélérer l’économie de l’énergie propre ». En d’autres termes, l’UE n’a pas besoin d’une réponse énergique à l’IRA ; il peut simplement augmenter ses subventions vertes actuelles.

Le gouvernement américain soutenu calmement cette réponse coopérative. L’administration Biden a décidé de « se plier légèrement à la pression européenne » et devrait permettre aux entreprises européennes d’accéder aux avantages de la nouvelle législation. Biden et von der Leyen annonceront probablement un tel compromis vendredi.

Au cours des années précédentes, les États-Unis n’auraient jamais envisagé des initiatives telles que l’IRA sans consultation, sachant que la sécurisation d’un partenariat européen sur les initiatives géoéconomiques était à la fois nécessaire et non négligeable. Les Européens auraient participé aux premières étapes de la formulation de ces politiques, occasionnant probablement de nombreuses négociations et compromis difficiles.

À l’heure actuelle, cependant, la coordination ex post fonctionne parce que l’UE dépendance sécuritaire profonde et croissante vis-à-vis des États-Unis signifie que les gouvernements européens n’ont d’autre choix que de s’en remettre à Washington sur les questions de sécurité. Et, d’un point de vue américain, l’intégration croissante des sphères de la sécurité et de l’économie, en particulier dans la lutte avec la Chine, signifie que presque chaque problème est un problème de sécurité. L’IRA, par exemple, est à la fois une politique économique intérieure et une arme pour les États-Unis dans la lutte contre la Chine. L’Amérique s’attend à ce que les Européens s’en remettent à ce dernier et ignorent surtout le premier. Jusqu’à maintenant, ça fonctionne.



ttn-fr-56