ETC’était en 1974, il y a un demi-siècle. L’arrivée dans les cinémas de Emmanuelleextrait du best-seller d’Emmanuelle Arsana été salué comme le fruit de la libération sexuelle: à l’écran, enfin, une femme émancipée qui gère ses propres désirs et fait des hommes un objet… Blockbuster, réalisé – et non un détail secondaire – par un homme (Just Jaeckin, ancien photographe de mode), il a connu un tel succès que cela a déclenché une longue série de séquelles. Maintenant Audrey Diwan revenir à l’histoire – protagoniste Noémie Merlant – mais le transforme de manière authentiquement féministe.
Comme on pouvait s’y attendre après tout de la part du directeur de Le choix d’Anne-L’événement (Lion d’Or 2021 à la Mostra de Venise)un film sur le thème du droit à l’avortement d’après le roman de Annie Ernaux. Cette fois, Emmanuelle n’est pas l’épouse de dix-neuf ans d’un diplomate en voyage à Bangkok, mais une trentenaire en voyage d’affaires à Hong Kong : la découverte du plaisir par une fille a été remplacée par la quête du plaisir par une femme.
Noémie Merlant et l’érotisme
« Je suis partie d’une réflexion : comment s’opposer à la triste banalisation de la pornographie ? L’érotisme, c’est autre chose : il amène avec lui l’idée de beauté, de sensualité, il est entre ce qui se dévoile et ce qui reste caché” expliquait Diwan à la veille de la sortie de son Emmanuelle revisitéQue ouvrira le 20 septembre Festival international du film de Saint-Sébastien. La meilleure candidate pour le rôle était Sylvia Kristel ? Elle n’avait aucun doute : la trentenaire Merlant. “Depuis Portrait de la jeune femme en feu à Goudron chaque Les innocentsj’ai été conquise par la puissance du jeu de Noémie. Il embrasse l’essence du personnage, capable d’incarner à la fois l’autorité et la séduction. Cela redéfinit la femme française : l’attitude, le sourire, cette pointe d’insolence qui revient souvent… Et puis je suis attirée par l’idée de trouver en ma comédienne une partenaire intellectuelle.”
En fait, il n’aurait pas pu y avoir de meilleur « partenaire intellectuel » : Merlant n’est pas seulement une interprète sensible et empathique, elle est aussi fraîchement sortie de son propre projet en tant que réalisatrice et protagoniste – Les Femmes au balconprésenté en première à Cannes – qui partage de nombreux locaux avec le Diwan.
« Le résultat des deux films est complètement différent, mais en même temps – je l’avoue – il y a un grand lien : on parle du corps féminin, de la façon dont il est montré, de la manière dont les femmes peuvent se connecter à leur sexualité. Une coïncidence absolue : quand j’ai commencé mon scénario, il y a quatre ans, il n’était pas prévisible que le livre d’Arsan revienne à la mode. Et, en tout cas, je voulais souligner l’aspect des violences de genre” explique Merlant, sophistiqué avec une chemise blanche et un short en jean Louis Vuitton somptueusement brodé.
Elle sera la fille d’Eleonora Duse
La marque française n’a pas manqué de sa modernité, de son potentiel de parfait témoignage de cette époque où les filles peuvent légitimement aspirer à tout avoir. Un nouvel essai ? Noémie Merlant se lance déjà dans une carrière internationale riche et variée: on la verra bientôt toutes les deux dans le rôle de la fille d’Eleonora Duse (interprétée par Valeria Bruni Tedeschi) dans Duse par Pietro Marcello et à Hollywood La meurtrière Miss Highsmith. Il n’est pas conventionnel même dans son CV : il ne s’est pas battu avec ses parents – comme cela arrive habituellement – pour suivre la voie du métier d’acteur. Au contraire, ce sont eux (agents immobiliers de la banlieue nantaise) qui l’ont poussée à s’inscrire au prestigieux Cours Florent. De son côté, même si elle dansait depuis toute petite et rêvait d’imiter Céline Dion, elle aurait choisi de manière plus pragmatique l’économie et les affaires.
Qu’est-ce qui a inspiré l’intrigue de Les Femmes au balcon? Trois amis vivent ensemble à Marseille les jours de canicule et jouent à “espionner” le beau voisin d’en face depuis la fenêtre. Qui est d’ailleurs Lucas Bravo, le beau Gabriel de Emilie à Parisdans une version inquiétante.
(sourit) Il fallait un acteur capable d’attirer et de terrifier. Bref, une personne vraiment capable, et Lucas a une présence incroyable et – une qualité que j’apprécie le plus – n’a pas peur du ridicule. Il y avait effectivement un voisin qui m’avait frappé à l’époque où, après avoir rompu une relation insatisfaisante, j’avais déménagé chez mon amie Sanda (Sanda Codreanu, qui en Les Femmes au balcon se faire passer pour Nicole, éd).
En vérité, c’est lui qui nous observait, curieux de notre liberté, de la nudité sans tabous. Une nudité qui n’a rien de séduisant. Plutôt vindicatif : pourquoi les hommes peuvent-ils se promener sans chemise ni t-shirt et les femmes pas ? Ce n’est pas un hasard si dans la dernière scène, en bord de mer, elles sont seins nus et sans complexes. J’ai été mannequin et je connais bien la dictature d’Instagram, l’obligation des corps d’apparaître sexualisés et lisses.
“J’ai été violée”
Les dialogues font-ils référence aux vôtres ?
Oui, entre moi, Sanda et ses sœurs, alors que dans le film j’ai présenté la figure de Ruby, une camgirl (qui se produit contre rémunération via une webcam, interprétée ici par l’actrice Sohueila Jacoub, éd). Nous nous sommes confiés sur nos aspirations, nos traumatismes (j’ai moi-même subi un viol), nous avons évoqué l’oppression sociale. Après avoir tourné Portrait de la jeune femme en feu avec Céline Sciamma (qui m’a aussi généreusement proposé de m’aider pour le scénario) et après #MeToo, ma conscience de conscience a grandi de façon exponentielle.
Quels résultats voyez-vous par rapport à il y a sept ans, lorsque le mouvement est né ?
Beaucoup de nouveaux récits – même s’ils ne suffisent peut-être pas encore – et une nouvelle sensibilité. Même le regard a changé, mais je ne veux pas généraliser : un homme peut avoir un regard féminin et une femme un regard masculin. Être féministe convient à tout le monde : de nombreux hommes qui n’ont pas réussi à s’adapter à la dynamique du patriarcat ont désormais un espace pour faire entendre leur voix. L’intention n’était pas de créer un petit essai, j’ai donc abordé le sujet en mélangeant comédie, thriller, sang, fantastique, horreur, absurdité. Avec une forte dose d’humour : cela permet de prendre du recul par rapport aux drames, de mieux les gérer, tout en redonnant un peu d’espoir.
Un curieux mélange. Comment en êtes-vous arrivé là ?
Adolescente, je regardais des films japonais et coréens avec ma sœur, qui a deux ans de plus que moi : ils ont un mélange similaire, éclaboussures comprises. Le chasseur par Na Hong-jin o Ichi le tueur de Takashi Miike, ou Quentin Tarantino de Grindhouse – Preuve de mort… Je me suis permis une “exubérance” qui envisage même la vulgarité.
«J’ai libéré Marilyn Monroe»
Ici, la vulgarité. Peut-être qu’à côté de la nudité sans faille, cela représente une déclaration féministe en soi.
La vulgarité, c’est la liberté, c’est la vérité, c’est la sincérité : elle est cathartique, étant donné que nous, les femmes, ne sommes pas « autorisées » à l’exprimer.
Il y a même une scène dans laquelle elle, habillée en Marilyn Monroe, a une crise de flatulences…
(rires) J’ai décidé dès le début que mon personnage serait une actrice qui quitte un plateau, et pas simplement parce que je suis actrice, mais parce que, historiquement, les femmes ont invariablement dû jouer des rôles. J’imaginais qu’elle serait blonde, et un jour j’ai eu une idée : “Ça pourrait être Marilyn !”. L’une des stars les plus objectivées au monde se libère… Oui, c’était symbolique pour moi : je voulais racheter Marilyn Monroe !
Comment vous êtes-vous préparé à l’univers des camgirls ?
J’ai créé un compte sur l’un des sites avec Souheila et Sanda. Malheureusement je suis tellement maladroit que je l’ai fait avec mon identité… (rires) C’était surprenant.
«Il m’arrive de chercher mon nom sur Google»
Dans quel sens ?
Nous avons dû abandonner nos oeillères, découvrant que certains aiment ce métier et ne sont pas soumis à des contraintes. Ils décident, c’est un choix. Ce qui était le plus drôle – et terrible à la fois – étaient les commentaires : certains gentils et intéressants, beaucoup durs et vils. Pas très loin de ceux que l’on lit quotidiennement sur les réseaux sociaux.
Elle cherche son nom sur Google ?
Ah oui, bien sûr ! Pas par narcissisme, pour essayer de comprendre. Si vous avez une marque, vous voulez voir le niveau d’appréciation de ce que vous vendez. Je ne vends rien, évidemment, mais j’ai l’ambition de proposer quelque chose au public, de dialoguer à distance et donc je dois me rendre compte : les problématiques que j’aborde intéressent-elles les gens ? Qu’est-ce qui vous intéresse le plus ? Qu’est-ce qui ne vous intéresse pas du tout ?
Qu’attendez-vous de votre avenir : plus de jeu d’acteur ou plus de réalisation ?
J’aime les deux. Pourquoi choisir ?
Oui, pourquoi choisir ? Pensées auto-limitantes des baby-boomers… vous aurez les deux. Comme cette blague de Le grand froid: «Ma fille, fais attention à ce que tu souhaites, tu l’obtiendras».
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