L’empathie s’échappe de la Wetstraat : Vooruit, cd&v, Open Vld et N-VA ciblent les « passifs »

À travers des conférences et des propositions, les partis tentent de conquérir une position unique sur le marché des électeurs. Fil rouge : l’empathie devient une denrée rare dans la politique flamande.

Bart Eeckhout

D’abord une nuance. Bon nombre de commentateurs qualifient de « ballons » les nombreuses nouvelles propositions des congrès du parti. Une analyse négligente. Le fait que les partis essaient de convaincre les électeurs d’idées, nouvelles ou non, n’est pas du tout une chose négative. C’est l’essence même de ce que devrait être la politique des partis : rassembler les citoyens autour d’un ensemble d’idées partagées.

Par coïncidence, N-VA, Open Vld et Groen ont explosé ensemble au même moment, alors que CD&V l’a déjà fait en mars et Vooruit planifie sa conférence et sa journée familiale à Plopsaland au début du mois prochain. Alors que, soit dit en passant, en Belgique francophone tout reste calme et tranquille. En Flandre, où les sondages prédisent une nouvelle radicalisation de l’électorat, la nervosité est plus grande. D’où l’envie impatiente de reprofiler.

service publique

Ce qui est frappant : alors que le chant des sirènes de la radicalisation attire de plus en plus les électeurs flamands vers les extrêmes (VB et PVDA totalisent ensemble 34 % des voix lors du dernier sondage VRT et De Standaard, contre 24 % aux élections de 2019), tous les autres partis semblent vouloir se battre pour une place au centre. Un centre qui, sous la pression de la radicalisation, bascule vers la droite.

Même Groen évolue un peu, même si ce parti suit clairement des chemins idéologiquement différents des autres. Pourtant, le désir d’être perçu comme un parti centriste « ordinaire », progressiste, loin du cliché du dogmatisme écologique, dominait également au Congrès des Verts. Le « nouveau » Vert reste donc loin des règles ou des obligations qui pourraient déranger l’ensemble de la classe moyenne. Cela conduit à braver des positions comme « ne dites pas que vous êtes en faveur de moins de voitures, dites que vous êtes en faveur de plus de vélos ».

Cette réticence à façonner la société avec des normes exécutoires est frappante car elle semble contraster fortement avec le vent général de l’enchevêtrement et de l’obligation. Ce n’est qu’une apparence. Tous ces systèmes d’amendes et de restrictions resserrants, menaçants que l’on peut trouver chez N-VA, Vooruit, mais aussi chez CD&V et même chez Open Vld, touchent particulièrement ceux qui n’appartiennent pas au groupe large de la classe moyenne (ou supérieure). De manière générale, ce groupe comprend la majorité des actifs flamands en âge de travailler. Pour servir cette large classe moyenne, ceux qui n’en font pas partie sont plus strictement ciblés.

C’est le président de la N-VA, Bart De Wever, qui, en marge de la conférence de son parti, a résumé ce groupe de « parias » en un seul terme : les « passifs ». Bref, des gens qui ne contribuent pas activement à la prospérité de la communauté. De Wever a déjà utilisé le terme « passifs », toujours dans un sens péjoratif. Le terme est suffisamment vague pour être largement compris. Les chômeurs de longue durée (principalement francophones), les préretraités, les nouveaux arrivants et les malades inactifs peuvent se sentir interpellés.

Même les jeunes doivent surveiller leur compte. Par exemple, le congrès de la N-VA a approuvé une proposition de la figure de proue Theo Francken d’obliger les jeunes à faire un an de service communautaire. Une conscription générale non militaire, pour inculquer une certaine discipline et un esprit communautaire à la jeunesse d’aujourd’hui. Parce que cela va très loin – et parce qu’il n’y a aucun début d’idée sur la façon dont cela devrait être organisé concrètement – le parti rassure qu’il ne veut qu’« enquêter », ce qui est généralement le langage politique pour : enterrer tranquillement.

Mais l’idée s’inscrit parfaitement dans la poursuite générale, plutôt autoritaire, de discipliner ceux qui ne font pas partie de la norme de la classe moyenne adulte. C’est la conséquence d’une réflexion communautaire excessive. Il faut toujours définir qui appartient à la communauté et qui n’en fait pas partie, les critères moraux, sociaux ou parfois ethniques s’entremêlant.

N-VA, mais aussi Open Vld, voient la discipline comme une « incitation » à faire travailler ceux qui ne travaillent pas et donc à les intégrer dans la communauté. La différence entre travailler et ne pas travailler doit s’accroître, lit-on unanimement dans les deux programmes. Pour atteindre cet objectif, ce n’est pas tant le travail qui doit être mieux payé, mais le non-travail qui doit être puni plus sévèrement. Les allocations de chômage seront limitées dans le temps, les syndicats auront moins leur mot à dire, ceux qui sont malades se verront dire sur l’avis du médecin quel travail fonctionnera encore… Les gens doivent d’abord s’aggraver avant qu’ils ne recherchent automatiquement, avec discipline, l’amélioration de leur sort.

La critique sous-jacente est que les personnes qui vivent des allocations dues à l’accumulation des prestations sociales se retrouvent souvent proches du revenu de celles qui travaillent pour un salaire modeste. A y regarder de plus près, cette hypothèse est complètement fausse. En principe, le revenu disponible d’un travailleur est en effet supérieur à celui d’un allocataire, selon un fact check de l’expert en pauvreté Wim Van Lancker (UA). La trappe à chômage ne guette que lors du passage de l’inactivité au travail à temps partiel.

Propre faute

Ce n’est peut-être pas un hasard si le mythe du « chômeur riche endormi » a émergé tout à l’heure, après que le gouvernement fédéral a principalement soutenu les revenus les plus bas avec un système de compensation pendant la crise énergétique. Cette politique était apparemment un coup de pied dans la jambe endolorie d’une partie de la classe moyenne, elle-même subitement confrontée aux conséquences d’une consommation d’énergie imprudente.

Sous Conner Rousseau, Vooruit va aussi loin dans l’idée que la punition encouragera les personnes vulnérables à aller de l’avant. Les migrants qui arrivent ont moins de droits, il y a un travail de base obligatoire pour les demandeurs d’emploi de longue durée et l’État prend en charge une partie des allocations familiales pour apprendre aux parents à mieux élever leur progéniture. Au nom du CD&V, Sammy Mahdi s’est retourné contre cette politique paternaliste. Cela n’empêche pas le même Mahdi de plaider pour la suppression totale de la retraite passerelle SWT, qui toucherait particulièrement les personnes peu qualifiées exerçant une profession lourde.

C’est ainsi que l’empathie s’échappe de la Wetstraat. Le nouveau « cadre » est déjà solidement ancré dans le débat politique. Prenez l’éducation. Lorsque les nouveaux résultats carrément désastreux pour la Flandre pour les compétences en lecture ont été connus, vous pouviez prévoir que le ministre compétent Ben Weyts (N-VA) concentrerait rapidement la conversation sur la responsabilité des parents et sur les possibilités de punir ces parents. Les parents ont un rôle à jouer, mais de cette façon, la politique transfère très facilement leur propre responsabilité sur les épaules de chacun. Pendant ce temps, l’enseignement professionnel tire la sonnette d’alarme sur la conversion obligatoire de l’enseignement à temps partiel en apprentissage en alternance. Une catastrophe, prédit-on, qui frappera les élèves les plus vulnérables. Et bientôt, le moment venu, ce sera de leur faute.

Il en va de même pour la politique du travail. Le problème crucial de l’activation – d’ailleurs une compétence flamande – ne réside pas dans les chômeurs de longue durée délibérés, mais dans un service gouvernemental et une politique incapables de s’adapter à des profils plus difficiles. Mais bien sûr, il est beaucoup plus simple de rejeter la faute sur l’individu et de le punir.

Cela ressemble à une nouvelle forme de politique vaudou : ça ne marche pas, mais ça sonne bien et bien et fort envers « l’autre ». C’est la guerre contre les passifs. Cela pourrait également fonctionner si la grande classe moyenne peut être convaincue que ses frustrations ne proviennent pas d’un gouvernement défaillant, mais de concitoyens ayant moins d’opportunités. Appelez cela la politique de l’envie inversée. Ce n’est pas l’envie de ceux qui ont moins envers ceux qui ont plus qui est suscitée, mais celle de ceux qui pensent que ceux qui ont déjà moins reçoivent encore trop.



ttn-fr-31