Le suicide d’un père, l’oubli d’une famille. Lorenzo Tosa part à la recherche de son père disparu alors qu’il n’avait que deux ans


LOrenzo Tosa, 40 ans, est un journaliste à large audience sociale. Dans Je voudrais te poser des questions sur ce jour (Rizzoli) reconstitue le jour où son père l’a accompagnée jusqu’à la porte de la crèche puis s’est suicidé. La mort violente et auto-infligée a privé Lorenzo de tous les autres souvenirs relatifs à son père. Ils ont été réduits au silence, supprimés, adoucis. Jusqu’à ce que l’auteur ressente le besoin de faire la lumière sur le suicide de son père et de commencer à reconstruire sa silhouette. Construire un roman qui soit aussi dénonciation de la stigmatisation qui entoure encore la maladie mentale.

Fedez en larmes à

D’où vient-il Je voudrais vous poser des questions sur cette journée ?

«J’ai commencé à écrire ce livre il y a 2 ans, mais en réalité son origine remonte à il y a 38 ans, à ce jour où mon père m’a pris par la main et m’a accompagné jusqu’à la porte du jardin d’enfants puis a disparu à jamais. Sa présence est devenue sulfureuse dont je n’ai plus jamais rien su. Pour l’omission convenue de la famille, par pudeur, honte, désir de protection. Mais aussi par la responsabilité de la société qui considère les maladies mentales et le suicide comme des sujets tabous. Pour que la stigmatisation incruste la vie de ceux qui en sont affectés », répond Lorenzo.

De quelle histoire s’agit-il ?
«Quand je suis devenu père à 35 ans, j’ai ressenti cela à mon tour responsabilité, pour mon fils, mais aussi pour moi, de rechercher la complexité de l’être humain Bruno Tosa. Entre autres, c’est une histoire de pères, en fait. L’histoire de lien à trouver entre moi et Papabruno, comme je l’appelais. L’histoire de moi et de mon fils Ludovico, qui m’a demandé de donner corps à ces photographies de son grand-père qu’il voyait partout dans la maison. Devant une photo de mon père, qui lui ressemblait tellement, un jour il m’a demandé de lui dire qui était son grand-père. Je trouvais naturel en tant que père de chercher les éléments pour lui répondre. Mais c’est aussi l’histoire de mon grand-père Teresio et de son fils, qui se sont affrontés durement, dans une saison où la distance politique entre deux mondes opposés, et conceptions irréconciliables de la vie, s’incarnait dans un conflit familial. Un affrontement qui a marqué chaque instant de leur vie d’adulte mais ne les a pas empêchés de se chercher et de se poursuivre à chaque instant. Toute leur vie, ils se sont aimés et haïs avec la même force. »

Lorenzo Tosa auteur de Je voudrais te poser des questions sur ce jour (Rizzoli, 18 euros). Crédits photos : Gianni Ansaldi

Vous êtes journaliste. Est-ce une enquête ?
« Sûrement il y a une partie enquête, avec les outils d’investigation du métier J’ai collecté des sources, des adresses de ceux qui avaient connu mon père pendant les années de militantisme politique dans les mouvements d’extrême gauche, j’ai acquis des lettres, des journaux intimes, analysé des dessins à la plume, des tableaux de conception de meubles – je suis allé à la rencontre des personnes clés, Nina, Rebecca, Antonio, l’autre Bruno, ses cousins, ses compagnons Lutte continue, dans les années 60 et 70, à Gênes…. Le militantisme et le spectre des Brigades rouges jouent tous un rôle ils m’ont permis d’avoir une idée plus précise des connaissances et des affections de Bruno. Mais Je voudrais te poser des questions sur ce jour c’est aussi un roman, la reconstitution de dialogues, de rencontres que je ne pouvais qu’imaginer. Comme ce dernier jour de mon père qui ne pouvait prendre forme que dans la fiction. C’est un livre non-fictionnel qui trouve ses racines dans la fiction. »

Fausses idées sur le suicide

Le livre consacre beaucoup d’espace à la reconstitution de l’histoire naturelle de la maladie mentale de votre père. Une reconstitution qui semble parsemée de modes d’emploi pour quiconque se retrouve à retracer le même itinéraire, ou des parties de cet itinéraire, comme lui et ses proches. Cette semaille d’indices était-elle intentionnelle ?
«Non, je ne voulais laisser aucune instruction à personne parce que je suis journaliste. Je laisse aux autres le soin de soutenir les personnes vivant avec une maladie mentale., a des envies suicidaires ou vit à côté d’une personne malade. Cependant, j’ai voulu reconstituer l’effondrement du moi de mon père composé de plusieurs étapes. Aujourd’hui encore on entend parler du suicide comme d’un fait déconnecté des lieux, comme un geste soudain. L’histoire de Bruno montre que ce n’est pas le cas. Comment cette décision (et la dynamique du geste de Bruno le montre, ndlr) était le résultat de multiples facteurs complexes. Mais c’est certainement aussi l’histoire de la naissance et du développement de la détresse mentale à une époque où cette pathologie n’était pas considérée avec attention et était tenue en marge. »

Aux côtés du Progetto Itaca

« Aujourd’hui on a le courage de parler de suicide à la télé aux heures de grande écoute, dans les meilleurs programmes, je pense à celui de Fazio. Le suicide est un phénomène qui touche aussi beaucoup de jeunes, je pense à ceux qui ne supportent pas la pression d’avoir inventé un parcours universitaire inexistant et qui s’effondrent face à la réalité. Mais je suis heureux si j’ai pu donner une photographie de la chute d’un être humain dans sa fragilité, briser ce silence. C’est pourquoi je le voulais dans chacune de mes présentations dans chaque ville les bénévoles de Projet Ithaquequi se consacrent depuis de nombreuses années à briser les stigmates liés à la maladie mentale et à soutenir les personnes qui vivent ou ont vécu des souffrances psychiques. ».

Bruno aurait-il été sauvé aujourd’hui ? À un moment donné, la question surgit dans le livre, après avoir mis en lumière les nombreuses inactions qui ont laissé gonfler le fleuve de la maladie. Il y a des médecins qui n’ont pas compris la gravité de la détresse mentale, des membres de la famille qui n’ont pas su gérer cette maladie, la vision même du traitement qui considérait les médicaments comme une solution à éviter…
«J’ai volontairement laissé cette question sans réponse, dans un livre plus fait de questions que de réponses. J’ai retenu mon jugement pour laisser l’histoire parler d’elle-même. Il raconte l’histoire d’un être humain comme tant d’autres et a du sens s’il laisse chacun tirer ses propres conclusions. En vérité, j’ai essayé d’obtenir une réponse d’Antonio, l’ami psychiatre de mon père. Il m’a expliqué à quel point la maladie mentale est aujourd’hui très contrôlable. Et il a contextualisé le fait que, au contraire, le refus de prendre mais aussi de prescrire des médicaments faisait partie d’une position politique contre la médicalisation de la « folie ». Même aujourd’hui, les médicaments peuvent éliminer le risque de réalisation d’impulsions suicidaires, mais ils ne peuvent pas l’exclure complètement. »

Le devoir de savoir

Vous soulignez dans plusieurs passages de Je voudrais vous interroger sur ce jour-là comment vous vous sentiez animé par un « devoir de savoir ». Et en même temps vous évoquez un « silence familial rassurant » qui vous protège depuis plus de trente ans. Comment ces deux aspects cohabitent-ils ?
«Dans ce livre, j’ai laissé libre cours à un torrent de pensées, pour qu’on puisse penser que l’écrire a été une libération. J’ai certainement perçu mon droit de raconter cette histoire, qui n’est pas seulement la mienne, seulement celle de mon père, mais aussi celle de mon fils. Mais j’ai aussi senti qu’il était de mon devoir de le reconstruire, car j’ai toujours vu cette omission qui nous affectait tous comme une forme de complicité de ma part. Bien sûr, celui qui a raconté cette histoire d’une certaine manière (faire du père un saint », lit-on dans le roman, ndlr), l’a fait pour protéger les enfants, pour ériger un mur contre la honte, par pudeur. Mais j’ai accepté cette version pour me protéger. À un moment donné, cependant, j’ai fortement ressenti cet appel à démolir et à piocher cette version. Bien sûr, même ignorer comment savoir est une forme de salut, mais le salut de ceux qui savent est définitif. »

Qu’est-ce qui la lie désormais à son père ?
«Aujourd’hui, je peux dire que je suis en paix, en paix avec l’histoire et la figure de mon père. Au moment où j’écris, j’en suis arrivé à ce point, reconstruisant la figure de Bruno au-delà des mensonges, au-delà de « la carte sainte » également animée par des doutes pressants. Par exemple : ma naissance a-t-elle été une cause de la dépression mentale de mon père ? N’étais-je pas « assez » pour arrêter sa décision de se suicider ? Reconstituer le tissu d’amour donné et reçu par mon père, ses contacts, l’immensité de ce réseau m’a permis de rencontrer non pas une théorie mais la complexité de la figure d’un être humain. Il est probable que, d’une part, ma naissance ait éloigné Bruno de ses ambitions professionnelles, en raison des pressions concrètes qu’elle exerçait sur sa vie familiale. Ce qui l’a empêché de rédiger sa thèse, de devenir architecte, le grand architecte qu’il pensait pouvoir devenir. Mais d’un autre côté j’ai compris que j’étais désiré comme fils et aimé, comme il voulait et partageait tous les choix qu’il avait faits dans sa vie – la politique, Nina, ma mère, ses enfants – même si alors une force supérieure l’obligeait à le faire. qu’elle les quitte. »

«Ce n’était pas une marionnette»

«Aucun de ses amis et compagnons n’a vraiment compris le suicide de Bruno Tosa. Tout le monde se reprochait de ne pas avoir compris à temps. Mais cette attribution de blâme collectif a fini par peindre une image de mon père comme une marionnette dominée par les autres.. De Nina, de la politique, de la défaite de la politique. Au lieu de cela, avec Je voudrais te poser des questions sur ce jouren restituant la complexité de Bruno, je crois que, sans préjudice de la coresponsabilité d’autrui, j’ai aussi restitué l’intention personnel de tous ses choix, Nina, ma mère, les enfants. Pas seulement celui douloureux et définitif. C’est la chronique d’une mort inopinée. Dans ce sens aussi, la photographie d’une époque où la défaite de la politique a conduit beaucoup de personnes autour de lui à se réfugier dans d’autres projets pour aller au-delà de la politique. Bien que mon père n’ait jamais accepté cela, il n’était pas apte à une nouvelle vie et cela m’a été répété par ceux qui avaient combattu avec lui.

Les présentations : Gênes, Milan…

La tournée des présentations commence. Comment s’est déroulée la rencontre à Gênes ?
«J’étais assez intimidé, c’était dans la salle du Grand Conseil, au Palais Ducale de Gênes, celle où ont lieu les présentations des livres d’Alessandro Barbero et d’autres best-sellers, pour ainsi dire. Mais pour le mien Je voudrais te poser des questions sur ce jour c’était plein jusqu’à la dernière place. Beaucoup de monde est venu, il y a eu une puissante vague d’amour et de partage de la part de ceux qui ont vécu cette histoire avec mon père, et ils l’ont vu au premier rang dans une saison où les luttes d’hommes comme mon père ont conquis de nombreux droits, qui sont peut-être aujourd’hui remis en question. Voici, Je suis fier d’être le fils d’un homme qui traverse la saison la plus douloureuse pour Lotta Continuacelui où il fallait décider s’il fallait continuer le combat avec les outils de la politique ou avec ceux du terrorisme, il n’a pas accepté le raccourci de la lutte armée». Après Gênes, le livre sera présenté le mercredi 31 janvier à la Librairie Rizzoli, Galleria Vittorio Emanuele à Milan, à 18h30, puis dans toute l’Italie.

Info: @lorenzotosa, @progettoitaca.

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