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Roula Khalaf, rédactrice en chef du FT, sélectionne ses histoires préférées dans cette newsletter hebdomadaire.
L’auteur est associé directeur et responsable de la recherche chez Axiom Alternative Investments.
Les marchés sont tellement habitués aux craintes récurrentes de fermetures à Washington que les obligations d’État américaines augmentent parfois dans de telles tensions, ne serait-ce que parce que les bons du Trésor sont considérés comme un refuge en période de troubles. Mais il est peu probable que les marchés accordent de telles largesses à la France si l’impasse actuelle sur le budget national conduit à son rejet par le Parlement.
Nous avons eu un avant-goût d’une réaction possible avec l’élargissement de l’écart de rendement du gouvernement français par rapport à la dette allemande jusqu’à atteindre ses plus hauts niveaux depuis la crise de la zone euro. À un moment donné, les rendements des obligations françaises de référence ont brièvement dépassé ceux de la Grèce.
Mais d’abord, un arrêt de la France est-il un scénario probable ? Compte tenu des calculs politiques alambiqués, je ne sais pas si le budget français obtiendra l’approbation du Parlement. Le Premier ministre Michel Barnier pourrait bien devoir recourir à la procédure constitutionnelle « à prendre ou à laisser », le fameux article 49.3, qui permet au gouvernement de passer outre les législateurs. Mais cela déclencherait un vote de censure au Parlement et, en cas de défaite, le budget serait rejeté.
Que se passerait-il si le budget était rejeté ? Il y a un débat juridique considérable en France à ce sujet – et c’est le premier problème majeur. Les marchés détestent les scénarios sombres. Si personne ne peut expliquer clairement quel est le processus à suivre pour s’en sortir avec le paiement des dépenses de l’État, c’est une préoccupation.
Le nœud du problème est que les éléments clés de la constitution – l’article 47 et l’article 45-4 de la loi de finances – traitent pour la plupart des retards dans la proposition ou le vote du budget. Il n’existe pas de règle claire concernant les budgets rejetés, sauf qu’aucune dette ne peut être contractée sans l’approbation du Parlement. Le seul cas globalement similaire s’est produit en 1979-1980 et a été résolu grâce à une loi de dernière minute et à une décision de la Cour constitutionnelle.
De toute évidence, le coût politique du rejet des budgets augmentera avec la crainte d’un défaut de paiement, mais avec les manigances politiques en cours, les risques et les enjeux sont élevés.
Il existe cependant une carte permettant de « sortir du budget sans prison ». En vertu de l’article 16 de la Constitution, le président Emmanuel Macron pourrait — probablement — affirmer que la continuité de l’État français est en jeu et imposer un budget par décret présidentiel. Cette « menace » pourrait suffire à garantir qu’aucun arrêt ne se produise et que le Parlement soit incité à trouver une solution, même à court terme.
Mais rien de tout cela ne sera bien accueilli par les marchés. Deux agences de notation ont déjà placé la France sous perspective négative. Une crise constitutionnelle pourrait déclencher une dégradation anticipée. Les obligations françaises notées double A moins par S&P se négociant déjà à égalité avec la dette souveraine grecque notée triple B moins, je m’attends à ce que l’impact d’une réduction soit atténué.
Quant aux banques françaises, j’estime qu’environ 93 % de leurs expositions sont comptabilisées « au prix coûtant » et sont donc immunisées contre la volatilité des marchés. Les banques peuvent donc se permettre d’attendre une solution à plus long terme au lieu de cristalliser leurs pertes en vendant.
Je ne pense pas non plus que la Banque centrale européenne ou la Commission européenne changeront de cap. La commission a soutenu le projet de budget français et je ne m’attends pas à ce qu’elle commente formellement jusqu’à ce qu’un nouveau budget soit pleinement adopté par le Parlement. Quant à la BCE, l’arbitre final des marchés des obligations d’État de la zone euro, les craintes d’une fermeture fourniraient une justification à une intervention sur le marché et à un soutien des prix des obligations. Mais la BCE pourrait très bien attendre un peu de volatilité pour aider les politiques français à se ressaisir avant d’intervenir.
Les investisseurs sont une autre histoire. Les investisseurs à long terme en « argent réel » dans les obligations d’État notées double A (pensez aux compagnies d’assurance-vie, aux banques japonaises, etc.) détestent l’incertitude. Ils veulent des rendements ennuyeux et prévisibles. Et les investisseurs spéculatifs à court terme adorent jouer sur ces craintes et ces préjugés. Le principal problème en cas d’échec budgétaire sera la simple complexité de la situation. Les troubles politiques, sans gouvernement stable, rendront la communication extrêmement difficile et les marchés volatils. Les dommages à long terme à la crédibilité du marché pourraient être importants.
Alors ne nous trompons pas : aborder la nouvelle année sans budget, et avec un gouvernement intérimaire essayant d’expliquer que les dettes seront payées d’une manière ou d’une autre, rappellera aux Français une citation célèbre du film de Mathieu Kassovitz : La Haineracontant l’histoire d’un homme tombant d’un immeuble de 50 étages : «Jusqu’ici, tout va bien. Mais ce qui compte, ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage.« La bonne nouvelle est que l’UE a toujours mieux géré le débarquement que l’automne.
Axiom dispose de positions d’investissement sur les marchés obligataires européens et français