Le retour de la Pologne dans le courant dominant est une aubaine pour l’UE


Débloquez gratuitement Editor’s Digest

L’écrivain est directeur éditorial et chroniqueur au Monde

Donald Tusk est revenu à Bruxelles hier en tant que « fier Polonais », « fier Européen » et probablement prochain Premier ministre polonais, après avoir renversé le gouvernement d’extrême droite de son pays lors des élections du 15 octobre. En entrant dans le bâtiment du Berlaymont, il s’est peut-être souvenu de l’âpre bataille qu’il y avait perdue contre Angela Merkel et Jean-Claude Juncker il y a huit ans en tant que président du Conseil européen.

À l’été 2015, l’Allemagne était aux prises avec un grand nombre de réfugiés syriens et la chancelière Merkel souhaitait l’aide de ses partenaires européens. Avec Juncker, alors président de la Commission européenne, elle a imaginé un système selon lequel chaque État membre accueillerait un quota de réfugiés. Tusk l’a suppliée de retarder le vote, en vain.

De retour en Pologne, son parti de centre-droit risquait de perdre le pouvoir au profit du Parti droit et justice (PiS), eurosceptique et anti-immigration, lors des prochaines élections. Il savait qu’accepter des quotas de réfugiés fournirait à ce parti un argument puissant contre Bruxelles et les démocrates libéraux. Mais Merkel avait ses propres priorités. Le gouvernement polonais a accepté d’accueillir 7 000 réfugiés, mais a été crucifié par l’opposition et a perdu les élections.

La Pologne est devenue un irritant persistant pour l’UE, qui a pris la mesure sans précédent de geler 35 milliards d’euros de fonds de relance du Covid en raison des violations de l’État de droit par le PiS. Ce mercredi à Bruxelles, Tusk a parlé du déblocage de ces fonds. Mais la victoire de sa coalition ce mois-ci signifie bien plus pour l’Europe. Mettre fin à la querelle autour de l’État de droit, pilier du projet européen, permettra à la Pologne de retrouver son rôle d’acteur crucial à une époque de défis énormes pour l’UE, profondément ébranlée par la guerre en Ukraine.

Un bénéfice immédiat devrait être une amélioration des relations germano-polonaises, qui ont été empoisonnées par les énormes demandes de réparations de la Seconde Guerre mondiale de la part du gouvernement PiS et par une campagne anti-allemande vicieuse pendant la saison électorale. La France trouvera également de meilleures perspectives pour ses relations avec Varsovie.

Une renaissance du triangle de Weimar – Paris, Berlin, Varsovie – semble même possible. Cela ne va pas seulement apaiser l’atmosphère à Bruxelles ; cela donnera un nouvel élan à la dynamique est-ouest en évolution au sein de l’UE, où la guerre en Ukraine a donné plus de poids aux voix de l’Europe centrale et orientale.

La Pologne a toujours aspiré à devenir le leader de l’Europe centrale. Elle cherchera désormais à jouer ce rôle de manière plus respectable, sans se laisser lier aux caprices de Viktor Orbán, le premier ministre hongrois, ou de Robert Fico, son collègue de Bratislava, tous deux désormais isolés et incapables d’utiliser le groupe de Visegrád (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) comme tremplin.

Le tour de la Hongrie de présider la présidence tournante de l’UE pendant six mois, qui débutera le 1er janvier 2024, sera désormais moins difficile pour ses partenaires. Le retour de la Pologne dans le courant dominant, après le récent échec électoral en Espagne du parti d’extrême droite Vox, prive également l’Italienne Giorgia Meloni d’alliés potentiels à Bruxelles et pourrait l’encourager à poursuivre une ligne pro-européenne.

La dimension la plus importante du renversement politique à Varsovie concerne cependant le futur élargissement de l’UE. L’intégration de l’Ukraine, de la Moldavie et des pays des Balkans occidentaux est un projet d’une ampleur sans précédent, qui nécessitera des changements dans la manière dont l’union est organisée. La Pologne, frontalière avec l’Ukraine, occupe une position charnière. Sa propre expérience en adhérant à l’UE en tant que nouveau membre en 2004 sera précieuse.

Le gouvernement PiS a réussi à ruiner les relations entre la Pologne et le président ukrainien Volodymyr Zelensky sur la question des importations de céréales. Cela devrait changer, même si l’impact des produits ukrainiens sur les agriculteurs polonais – et français – constituera un autre problème pour la politique agricole commune.

Mais surtout, à une époque de transformations historiques pour l’UE, la valeur d’un gouvernement pro-européen aux commandes à Varsovie – et d’une administration qui n’est pas obsédée par le règlement des comptes avec le passé – est énorme.

Lors d’un entretien avec le Premier ministre estonien Kaja Kallas au début de l’année, j’ai été frappé par la manière dont nous percevons différemment l’histoire de l’UE. Les enfants français apprennent à l’école qu’elle a été fondée par six nations en 1957, avec en son cœur la réconciliation franco-allemande. Cela fait partie de leur ADN. Mais pour les hommes politiques de la génération de Kallas et de sa partie de l’Europe, l’UE est une aventure bien plus récente, avec 27 États membres, contre 35. C’est un animal très différent, et il est désormais le leur autant que celui de la France et de l’Allemagne. C’est aussi à eux de façonner. C’est pourquoi une perspective nouvelle et ouverte en Pologne est si importante.



ttn-fr-56