Le chef de la Bundesbank allemande a averti qu’il sera “pratiquement impossible” de décider si une divergence des coûts d’emprunt entre les pays de la zone euro est justifiée, arguant qu’il serait “mortel” pour les gouvernements de compter sur le soutien de la Banque centrale européenne.
Les commentaires de Joachim Nagel dans un discours lundi ont été le premier signe d’un désaccord sérieux au sein de la BCE sur son projet de développer un nouvel outil d’achat d’actifs pour contrer toute hausse “injustifiée” des rendements obligataires des pays les plus vulnérables une fois qu’elle aura commencé à relever les taux d’intérêt.
Nagel a déclaré qu'”il serait fatal que les gouvernements supposent que l’eurosystème sera finalement prêt à assurer des conditions de financement favorables aux États membres”, et que les responsables des taux pourraient se retrouver juridiquement “dans une situation désespérée” à propos de l’outil.
Les commentaires du chef de la banque centrale allemande reflètent l’inquiétude croissante parmi les pays d’Europe du Nord plus stables que la BCE risque de dépasser sa marque pour maintenir les rendements obligataires bas pour les États membres du sud les plus endettés. Certains responsables politiques craignent que si les gouvernements ne sont pas encouragés à freiner leurs dépenses, cela pourrait saper les efforts de la BCE pour lutter contre une inflation élevée.
Depuis que la BCE a annoncé son intention de commencer à relever les taux ce mois-ci, les rendements obligataires des pays les plus faibles comme l’Italie ont grimpé plus rapidement que ceux des pays plus stables comme l’Allemagne, ce qui l’a incitée à accélérer les travaux sur un “nouvel instrument anti-fragmentation”.
Il est contraire au droit de l’UE que la banque centrale finance les gouvernements et Nagel a déclaré que la BCE devrait mettre en place suffisamment de garanties pour éviter de s’égarer dans le “financement monétaire”.
La banque centrale a défendu ses achats d’obligations antérieurs contre de nombreuses contestations judiciaires en Allemagne, mais cela pourrait être plus difficile maintenant sans la justification de la lutte contre une inflation excessivement faible.
La BCE craint qu’une panique du marché obligataire ne fasse grimper les coûts d’emprunt des pays les plus faibles à un niveau qui les ferait basculer dans une crise financière. Elle estime qu’un nouvel outil pour contrer ce risque est justifié car il préserverait sa capacité à transmettre la politique monétaire de manière égale aux 19 membres du bloc de la monnaie unique.
La différence, ou écart, entre les coûts d’emprunt du gouvernement allemand à 10 ans et ceux de l’Italie a doublé, passant de 1 point de pourcentage il y a un an à environ 2 points de pourcentage ces dernières semaines.
Nagel a toutefois mis en garde contre “l’utilisation d’instruments de politique monétaire pour limiter les primes de risque, car il est pratiquement impossible d’établir avec certitude si un écart élargi est fondamentalement justifié ou non”.
“On peut facilement se retrouver dans une situation désespérée”, a-t-il dit, ajoutant “il est clair que des mesures de politique monétaire inhabituelles pour lutter contre la fragmentation ne peuvent être justifiées que dans des circonstances exceptionnelles et dans des conditions étroitement définies”.
Depuis que Nagel a pris ses fonctions à la Bundesbank au début de l’année, il est devenu de plus en plus inquiet car l’inflation de la zone euro a grimpé à un niveau record de 8,6 %. Il a déclaré que la BCE, dont il est membre du conseil des gouverneurs, devrait “concentrer tous nos efforts sur la lutte contre ce niveau élevé d’inflation”.
Le banquier central allemand a défini un certain nombre de paramètres pour tout nouvel instrument de la BCE, notamment qu’il soit “strictement temporaire” et conçu de manière à ne pas entraver ses efforts pour ramener l’inflation à son objectif. Il a ajouté qu’il devrait fournir aux gouvernements « des incitations suffisantes » pour atteindre des niveaux d’endettement soutenables.
Un tel outil devrait être “fondé sur des analyses complètes et régulières couvrant un large éventail d’indicateurs” et n’être utilisé que si les écarts de taux d’intérêt sont “le résultat d’excès sur les marchés financiers”, a-t-il ajouté.