Le parc à thème où la France réécrit son histoire


L’aigle plonge si bas que les bras tendus du public reculent momentanément. De près, l’oiseau est effrayant et son bec semble fixé en un air renfrogné. Il s’installe tandis qu’un maître lui propose une friandise. Nous avons à peine le temps d’applaudir qu’un autre arrive.

En cet après-midi de juin en sueur, des familles françaises et quelques groupes de touristes âgés ont rempli une arène ornée de bannières héraldiques pour un spectacle fantastique sur le thème historique avec une touche aviaire. Il y a une demoiselle blonde avec de longues mèches de princesse qui porte une tunique aux manches bouffantes. Une autre jeune femme en parure médiévale est rejointe par plusieurs cigognes dans une fosse en terre en contrebas. Les oiseaux se promènent maladroitement, ravissant un groupe d’écoliers aux casquettes de baseball fluorescentes au premier rang.

Une bande-son épique, alors que des chasseurs portant des casquettes en cuir et des bottes hautes distribuent de petits morceaux de viande pour garder les oiseaux en mouvement. Au moment où la foule sort une demi-heure plus tard, je suis étonnamment captivé par le spectacle du parc à thème historique très populaire de France, le Puy du Fou.

Situé à environ une heure de route de la ville d’Angers, dans l’ouest de la France, le parc propose des reconstitutions plutôt que des montagnes russes. Les visiteurs peuvent regarder des épisodes de l’histoire de France ancienne, des courses de chars aux combats de gladiateurs dans une arène romaine en passant par les mousquetaires croisant l’épée. Le parc est situé dans la campagne vendéenne, entouré de bois profonds. Lorsque je remarque l’étendue de la forêt, une réceptionniste en tunique gauloise m’informe : « Il y a eu deux millions d’arbres plantés ici au fil des années. »

Alors que je commence à parcourir le terrain, je suis frappé par d’autres détails cultivés. Les installations comprennent des restaurants à thème, où les serveurs encouragent les invités à se joindre à de copieux chants médiévaux. Dans une hutte au toit de chaume sur pilotis, faisant partie d’un village du Ve siècle soigneusement reconstruit, où je passerai la nuit, c’est censé être AD481. Une inscription dans les toilettes m’apprend que dans ce monde, Clovis 1er, premier monarque chrétien à régner sur le royaume des Francs, est roi.

Le parc est depuis quelques temps une référence culturelle en France. Il a été visité par feu Jacques Chirac lors de la campagne présidentielle en 1987. Le président Emmanuel Macron est arrivé en 2016, alors qu’il était encore ministre du gouvernement. Depuis le début de l’année, il a accueilli un nombre record de 2,5 millions de visiteurs, ce qui en fait le deuxième parc à thème le plus visité de France, après Disneyland Paris.

Lorsqu’un ami avec deux jeunes enfants lui a récemment rendu visite, il est revenu plein d’éloges. Les enfants ont adoré les spectacles, dit-il. Mais il y avait autre chose ; moments dans certaines productions où il a commencé à ressentir un sous-texte, à savoir que le christianisme était le moteur du récit de l’histoire de France. « Au bout d’un moment, vous vous demandez : que se passe-t-il ici ?


Le Puy du Fou est l’œuvre de Philippe de Villiers, homme politique français connu pour ses opinions nationalistes, son catholicisme convaincu et sa critique de l’islam. C’est l’une des voix les plus fortes épousant le sentiment anti-immigration partagé par Marine Le Pen d’extrême droite et son rival Éric Zemmour, soutenu par de Villiers lors des élections de l’année dernière.

De Villiers a fondé un mouvement politique nationaliste dans les années 1990 et s’est présenté deux fois à la présidence, remportant à chaque fois moins de 5 pour cent des voix nationales. Mais il a cultivé une personnalité politique chimérique. Il est le fondateur du Puy du Fou et a été secrétaire à la Culture à la fin des années 1980 ; un aristocrate qui est aussi populiste ; un anti-avortement enragé avec des plaisanteries toujours prêtes. Ces dernières années, il a comparé les écologistes aux Khmers rouges et affirmé s’être remis du Covid-19 en buvant du pastis. Macron « n’a plus le courage, l’audace ou la force de dire ‘Nous allons sauver la civilisation française' », a déclaré de Villiers la semaine dernière après qu’un enseignant ait été tué dans le nord de la France par un homme d’origine tchétchène, qui aurait a crié « Allahu Akbar! » lors de l’incident.

Sauver la civilisation française semble être le moteur de de Villiers. Se décrivant comme « un petit gamin qui courait dans la campagne », il a déclaré vouloir retrouver cette sensation avec le Puy du Fou. Il a commencé à la fin des années 1970 en mettant en scène une pièce de théâtre historique mettant en scène la région dans laquelle il a grandi, une région qu’il identifie au son du « coq, de l’enclume et des cloches de l’église », comme il l’écrit dans une histoire de 280 pages vendue en vente. au parc pour 17,90 €.


Les reconstitutions au Puy du Fou proposent pour emmener les visiteurs dans un voyage patriotique. Une attraction piétonne est située dans les tranchées de Verdun. Les choses ne se terminent pas bien pour son personnage principal Louis, un soldat français ordinaire dont les lettres à sa femme, Thérèse, nous guident dans notre promenade à travers des dortoirs infestés de rats et de faux gaz moutarde. Les soldats prient à la lueur des bougies, quelques croix parmi leurs maigres possessions. Louis fait ses adieux avec un «vive la France! » qui résonne lorsque le public sort et regarde sa tombe.

Plus tard, je retrouve le roi Clovis, cette fois dans une représentation de son baptême vers l’an 500. Ensuite, il y a des spectacles qui semblent confiner au fantasme religieux, comme celui sur l’invasion viking d’un village gaulois vers l’an 1000, qui est stoppée. par Saint Philibert sortant de son sarcophage.

L’ambiance s’assombrit à la tombée de la nuit. La Cinéscénie, avec son affirmation, contestée par de nombreux historiens, selon laquelle ce qui s’est passé pendant les guerres révolutionnaires et les massacres en Vendée peut être qualifié de génocide, est la plus grande attraction du Puy du Fou, rassemblant environ 13 000 personnes à la fois.

Nous sommes environ une heure après le début du spectacle en plein air de la soirée lorsqu’un hologramme apparaît dans le ciel nocturne. C’est un gros plan d’une petite fille de 10 ans maximum. Elle fuit les révolutionnaires français dans les années 1790. Ils ont tué sa famille et traquent désormais tous les monarchistes qui résistent. C’est une vision de la révolution plus anti-républicaine que celle dont je me souviens de mes années d’école dans un lycée français. Mais comme les milliers de familles autour de moi, je me retrouve à l’accepter. Soudain, il y a un coup de feu. Du sang jaillit de sa poitrine et elle est morte.

« Je ne suis pas sûre que ce soit approprié pour les enfants », marmonne une mère en sortant. Mais dans l’ensemble, la foule est extrêmement enthousiaste – même si, que ce soit par le message ou par les pièces pyrotechniques spectaculaires et les plus de 2 000 acteurs, tous bénévoles locaux, il est difficile de le dire.

« Au final, les spectacles constituent un discours assez cohérent, à la fois élogieux du catholicisme et éloge de la monarchie », estime le médiéviste Florian Besson, l’un des quatre historiens qui ont collaboré à un livre, Le Puy du Faux, critiquant le parc à thème l’année dernière. Besson soutient que le Puy du Fou véhicule subtilement des messages idéologiques en les répétant spectacle après spectacle. Sa principale préoccupation est que le Puy du Fou présente un continuum historique de la nation française, remontant à plusieurs siècles. Pour lui, cela est inexact mais véhicule également une idée politique : selon laquelle « les descendants des Gaulois sont les vrais Français ».


Dans un faux village du début du siècle, plein de boulangeries et de confiseries pittoresques, je rencontre Nicolas de Villiers, l’un des sept enfants de Philippe, président et directeur artistique du parc.

Nicolas a été impliqué dans le parc toute sa vie. Il est apparu pour la première fois dans l’un des spectacles de son père alors qu’il était bébé dans les bras de sa mère, puis a exécuté des acrobaties à cheval. Désormais, il préfère parler des arts du spectacle plutôt que de la politique. Mais, affable et enthousiaste, il est clair que l’inculcation d’une certaine forme de sentiment patriotique est au cœur de la raison d’être du Puy du Fou. « Si vous êtes français et que vous avez le sentiment en regardant nos émissions que quelque part au fond de vous… . . il y a une forme de fierté de qui on est, nos défilés vont la réveiller, mais de façon lumineuse », dit-il.

Le jeune de Villiers est le développeur de nouveaux projets pour le parc. Il s’agit notamment d’un projet à Shanghai, désormais mis en doute après que la construction ait déraillé à cause de la pandémie. L’équivalent du Puy du Fou que Vladimir Poutine voulait ériger en Crimée, après l’annexion de la région ukrainienne par la Russie, n’a jamais vu le jour, même si le président russe a invité Philippe de Villiers à une séance photo en 2014. Mais une nouvelle émanation en Espagne a été créée. a bien fonctionné et pourrait encore être suivi par d’autres en Europe, estime Nicolas.

Je me demande dans quelle mesure la popularité du parc suit une tendance sociétale plus large vers une politique nationaliste plus répandue en France. Le Puy du Fou semble exploiter la nostalgie qui est devenue un riche filon pour les politiciens de droite. Zemmour, en particulier, s’est accroché à la « décadence » de la France actuelle lors de sa campagne électorale de l’année dernière, s’attardant sur la prétendue gloire passée du « pays dont vos parents vous parlaient ». Je demande à Nicolas si le Puy du Fou cherche à promouvoir des héros aux traits particuliers, pieux chrétiens par exemple. Je mentionne les soldats en prière dans les tranchées. « Il y a des historiens qui mènent une bataille idéologique et qui voudraient effacer cette réalité historique », coupe-t-il.

Durant les deux jours que j’y ai passés, j’ai eu du mal à trouver d’autres personnes qui remettaient en question les choix du Puy du Fou. Les visiteurs viennent majoritairement de France, avec seulement environ 15 pour cent de touristes étrangers. Beaucoup savent qui est Philippe de Villiers et qu’il est lié au parc. Beaucoup sont des visiteurs assidus et enthousiastes. «C’est un peu biaisé peut-être, un peu anecdotique», estime Danielle Gauthier, une région parisienne de 77 ans venue effectuer une tournée des seniors. « Je ne suis pas venue réviser des cours d’histoire », dit-elle en haussant les épaules en dégustant une gaufre géante avec une amie.

Alors que je me dirige vers la sortie, je dois rire en croisant une famille qui essaie de presser ses enfants. Le petit garçon gémit. « Non, tu ne peux pas ! Vous avez déjà vomi une fois », dit un parent exaspéré. On ne sait pas si le débat porte sur un hot-dog ou une glace. Mais pendant un bref instant, cela ressemble à nouveau à un autre parc à thème.

Sarah White est correspondante du FT en France

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