Le pape visite le Congo : « Il aurait pu choisir un meilleur moment »


Le pape François entame sa visite tant attendue en République démocratique du Congo. S’il mobilisera de nombreuses personnes, sa visite arrive aussi à un moment douloureux : « Ça fait mal que beaucoup d’argent soit dépensé pour cette visite papale, sachant qu’une grande partie des Congolais doit survivre.

Anne Boersma

Pourquoi la visite du pape au Congo est-elle si importante en ce moment ?

Le pape François, qui a reporté sa visite au Congo en 2022 en raison de problèmes de genou, arrivera ce mardi en République démocratique du Congo. Une visite papale dans le pays remonte à près de quarante ans. Le pape Jean-Paul II a visité ce qui était alors le Zaïre à deux reprises dans les années 1980. Le pays était alors à un tournant, les beaux jours du président Mubutu venaient de passer.

Le Congo est important pour l’Église catholique mondiale, il y a environ 45 millions de catholiques vivant dans le pays. Il faut donc replacer cette visite dans un contexte international, estime l’historien congolais-belge Mathieu Zana Etambala.

Le pape vient avec un message d’espoir et de dialogue. Et cela est nécessaire, car il arrive dans un Congo où une grande partie de la population souffre. La capitale Kinshasa a été frappée par de graves inondations en décembre. Les conflits armés dans l’est du Congo déchirent le pays. De violents combats opposent l’armée gouvernementale congolaise au groupe militaire rebelle M23.

Le fait que le pape se rende au Congo et non au Rwanda est un coup de pouce pour le pays. « Ça piquera le président rwandais Kagame que le chef de l’Église catholique n’arrête pas de lui serrer la main. Il se sentira dépassé », explique Zana Etambala. Le pape se rendra au Soudan du Sud.

Quel est le but de la visite ?

Le pape passera quatre jours dans la capitale congolaise Kinshasa. Il a rencontré mardi le président Félix Tshisekedi et serrera la main des évêques et des prêtres lors de sa visite. Cela est nécessaire, car les évêques sont préoccupés par la situation dans le pays et ce qui est à venir. Les élections approchent dans le pays en décembre.

Les souvenirs ne manquent pas.Point d’accès d’image

Mais l’accent de la visite est mis sur la situation dans l’est du Congo. Le pape ne se rend tout simplement pas dans cette région. Une visite dans la ville de Goma – à la frontière avec le Rwanda – a été annulée pour des raisons de sécurité. Il s’entretient cependant avec les victimes du conflit et les organisations humanitaires.

Le voyage est un acte de solidarité, mais la visite est certainement aussi une offensive de charme du pape, explique la politologue et auteure Nadia Nsayi. De plus en plus de personnes quittent l’Église catholique et deviennent protestantes ou se convertissent à l’islam. « Ce n’est pas seulement une mission de solidarité, mais aussi de géopolitique. Le pape veut consolider le rôle et la place de l’Église catholique au Congo », a déclaré Nsayi.

Les élections sont imminentes. Comment cette visite s’intègre-t-elle dans ce tableau ?

Le mandat du président Félix Tshisekedi se termine en décembre. De nouvelles élections auront lieu le 20 décembre. Le voyage du Pape au Congo ne peut être dissocié de l’histoire politique, dit Nadia Nsayi. Elle s’attend à ce que Tshisekedi fasse certainement référence à cette visite historique du pape dans sa campagne. « Il a également profité du voyage du roi des Belges l’année dernière pour se donner un certain statut interne et international. »

Mathieu Zana Etambala voit cela différemment. « Tshisekedi a déjà été contré par avance par le cardinal congolais Fridolin Ambongo, qui a officiellement déclaré que le pape n’était pas venu rendre service au président. Et le cardinal est un poids lourd dans le pays.

À cet égard, le pouvoir de l’Église catholique dans le pays est grand : l’Église est bien organisée et structurée contrairement à l’État défaillant. Un message peut être diffusé simultanément dans toutes les paroisses, églises et chapelles du pays. C’est quelque chose que l’État ne peut pas faire, dit l’historien. L’Église catholique est également toujours très active dans les domaines de l’éducation et de la santé.

A Kinshasa, ils attendaient avec impatience l'arrivée du pape.  ImageAFP

A Kinshasa, ils attendaient avec impatience l’arrivée du pape.ImageAFP

Le président controversé Tshisekedi – qui n’a pas remporté les élections, mais est devenu président en 2019 – est sous le feu des critiques et pourrait bénéficier d’une bonne presse. La corruption est un problème majeur dans le pays, se classant 169e sur 180 pays dans l’indice de perception de la corruption. Il échoue également – malgré le fait que la RDC dispose d’une grande armée – à faire court sur la situation dans l’est du Congo.

Comment le Pape est-il reçu ?

Une chose est sûre : la visite du roi Philippe au Congo en 2022 ne sera rien comparée à cette visite du pape, assure Zana Etambala. « Je peux vous assurer que le pape mobilisera cent fois plus de monde que le roi. Il est un grand leader moral sur la scène mondiale. En raison de sa situation de santé dégradée, il ne pouvait plus reporter le voyage.

Pourtant, la visite du pape dans le pays est chargée, dit Nadia Nsayi. Surtout maintenant que l’on en sait plus sur les coûts de la visite. « Cela fait mal que beaucoup d’argent soit maintenant dépensé pour cette visite papale, sachant qu’une grande partie des Congolais doit survivre. Et que cet argent n’est pas investi dans l’éducation et la santé. Les Congolais socialement critiques voient donc cette visite comme une tentative d’endormir les gens, pour ne pas avoir à parler des vrais problèmes du pays.

Quoi qu’il en soit, ajoute le politologue, le Congo reste un pays religieux et chrétien. La visite attire certainement beaucoup d’attention, mais : « Le pape aurait pu choisir un meilleur moment. »



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