Le nouveau disque de Kendrick Lamar n’est pas n’importe quel disque. C’est une plaie ouverte


Traumatismes familiaux. Pères absents. Péché originel. Le bilan mental de la parentalité. Un ardent désir d’authenticité et de perfection spirituelle. Monsieur. Moral et les grands pas, le premier disque régulier de l’empereur américain du hip-hop Kendrick Lamar en cinq ans, ne déçoit pas le psychothérapeute moyen. La pochette de l’album en dit long : Kendrick Lamar dans une chambre avec sa fille au bras. Sa petite amie est assise sur le lit et tient un nouveau-né. Kendrick regarde suspicieusement sur le côté, peut-être une fenêtre. Sous sa ceinture se trouve un revolver. Sur sa tête est une couronne d’épines.

« Jouer à ‘Baby Shark’ avec ma fille / regarder les requins dehors en même temps », rappe Lamar dans « Worldwide Steppers », « La vie de père protecteur, je tuerais pour elle ». Lamar se rend compte qu’un jour il devra passer le flambeau. « Mon fils Enoch, c’est la deuxième partie / quand j’expirerai mes enfants feront de plus hautes vallées »† L’attention presque obsessionnelle de Lamar sur la famille et la famille serpente à travers les nouvelles chansons de Monsieur. moral† Il appelle plusieurs fois sa petite amie Whitney par son nom et la dépeint comme une force silencieuse, une pierre angulaire. De temps en temps, on entend sa voix onctueuse émerger, en tant que narratrice. Le plus jeune fils de Lamar, Enoch, figure à nouveau plus tard, au milieu d’une confession déchirante dans laquelle le rappeur affiche ses préoccupations mentales et avoue à son enfant qu’il a rampé hors d’une vallée profonde : « Vous devriez savoir que je suis un peu décalé / Combattre les démons qui étaient dehors / Mieux connu sous le nom de moi-même, je suis un demi-dieu / Chaque pensée est créative, parfois j’ai peur de mon esprit ouvert. »

Kendrick Lamar.Statue Renell Médrano

Dans le cas de Lamar, ce genre d’aveux dans les chansons n’est pas nouveau. Depuis le début de sa carrière, le rappeur californien a été plus vulnérable que ce à quoi la communauté hip-hop est habituée de la part de ses représentants les plus influents. Sur son magnum opus Pimper un papillon Lamar a disséqué ses doutes et ses insécurités et a même révélé des pensées suicidaires. Pas étonnant que le nouveau disque commence par un murmure sombre de Lamar : « J’ai traversé quelque chose / Mille huit cent cinquante-cinq jours / Ayez peur. » Les 1 855 jours font référence à la période écoulée depuis son précédent album MINCE., qui en 2017 a confirmé son génie. Pendant ce temps, il est devenu père deux fois, créant la bande originale du film Panthère noireil a remporté un Pulitzer et a consolidé son statut de Bob Dylan de la génération Y : un poète brillant, sociable et socialement critique avec un impact à travers les genres et les âges.

blessure ouverte

sur Monsieur. Moral et les grands pas il se tend à nouveau un miroir sans pitié. Le titre de l’album abrite la contradiction en chacun de nous : le chevalier moral et le pécheur implacable, le bienfaiteur et le morveux égocentrique, l’ange et le trafiquant de drogue. Le voyage qu’entreprend Lamar pendant dix-huit chansons tente de concilier et de relativiser ces extrêmes. Il le fait d’une manière inégalée, audiblement inconfortable, souvent au fond de son cratère le plus profond. Monsieur. moral n’est pas n’importe quel enregistrement. C’est une plaie ouverte.

Dans « Father Time », il cible le type de pères comme le sien : handicapés émotionnellement, maussades, incapables d’aimer. Il évoque avec désinvolture la méfiance d’une génération d’hommes afro-américains envers les soins psychologiques. « L’homme ne devrait jamais montrer ses sentiments / être sensible n’a jamais aidé », ça sonne. Dans ‘Mother I Sober’, où Beth Gibbons de Portishead croonne avec douceur, il cite les abus sexuels et la stigmatisation qu’ils laissent derrière eux. Un soupir plus tard, il avoue comment il essaie de surmonter ses propres préoccupations mentales. Avec de la méditation, de la contemplation, de la patience et beaucoup de silence, cela s’avère. « Transformation, puis réciprocité, le karma doit revenir / me guérir, secrets que je cache, enfouis dans ces mots. » Au passage, il cite l’auteur allemand et influenceur spirituel Eckhart Tolle, qui apparaît également comme échantillon ailleurs sur le disque.

oreilles rouges

Cet album thématiquement lourd ne s’arrête pas là. Addiction au sexe, masculinité toxique, transphobie : Kendrick utilise avec avidité le format du double album et remplit le disque de thèmes qui ont dominé le discours politico-social ces dernières années. Dieu merci, les producteurs très ingénieux et les musiciens invités encadrent cette abondance intellectuelle d’une manière sans précédent. Avec des grooves épileptiques et jazzy comme dans ‘United in Grief’, par exemple, avec des beats lourds comme dans ‘N95’, avec du gospel et de l’électronique abstraite, avec des miniatures de piano disco et minimalistes. Les chanteurs et rappeurs invités servent également à merveille la poésie de Lamar. Vous écoutez avec des oreilles rouges l’âme veloutée de Sampha et les superbes raps de Ghostface Killah, Kodak Black et Baby Keem.

A sa base se trouve Monsieur. Le moral et les esquives un rituel de purification. Nettoyer et guérir. Faites la paix avec les essais et les erreurs. Ajustez l’ego et optez pour la perspective micro. « Désolé de ne pas avoir sauvé le monde, mon ami / j’étais trop occupé à reconstruire le mien », Lamar avoue à la fin. Il n’a aucune idée du nombre de mondes qu’il sauvera de la destruction avec ce chef-d’œuvre exceptionnel.

‘M. Morale & The Big Steppers’ est sorti *****

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