Le monde obscur derrière le visa de travail turc : « Je suis allé moi-même à l’inspection flamande, mais ils ne sont pas intervenus »

Employeurs qui prélèvent 10 000 euros sur les salaires, doubles contrats, marchands de sommeil. Dans leur recherche d’emploi en Flandre, les salariés étrangers doivent parfois faire de lourds sacrifices. « Le problème est que la demande de permis commence toujours par l’employeur. »

Anne De Boeck et Anne Boersma

« Nous examinons les dossiers, mais avons besoin d’indications plus concrètes. » Le ministre flamand du Travail Jo Brouns (CD&V) mène une course contre la montre. La nouvelle selon laquelle les consulats au Maroc et en Turquie ont suspendu plus de 800 visas de travail et de résidence en raison de soupçons de fraude a laissé les ministres compétents à bout de souffle pendant des jours. L’information est fragmentée, les bases de données semblent incomplètes et divers ministères se pointent du doigt.

Il est clair que les choses ont dû mal tourner à un moment donné. Une vaste enquête sur Le matin montre que le système flamand de migration de main-d’œuvre laisse non seulement place à la migration illégale, mais aussi à l’exploitation des personnes vulnérables. Bon nombre de ces problèmes se sont aggravés depuis 2019, lorsque la Flandre a introduit un système assoupli pour les travailleurs migrants dans les métiers en pénurie. Accessible et rapide : le « permis combiné » était destiné à dynamiser le marché du travail.

Faire venir des travailleurs étrangers ici est récemment devenu une grosse affaire. Le nombre de candidatures, notamment en provenance de Turquie, a fortement augmenté ces deux dernières années. La pénurie de main-d’œuvre sur le marché du travail flamand et le malaise économique en Turquie semblent être une combinaison idéale. Les entreprises flamandes recherchent principalement des personnes qui souhaitent effectuer des travaux lourds : ouvriers de la voirie, coffrages, ouvriers pour installer le réseau de fibre optique. Les travailleurs turcs recherchent principalement un emploi et un revenu.

Du même village

« J’ai déjà aidé plus de 100 Turcs et Marocains à venir ici depuis novembre 2021 », raconte Yildiz Turgut, un Turc de 35 ans originaire de Lokeren, spécialisé dans le traitement des demandes de permis avec sa société Expatgate. Turgut est l’un des personnages clés du scandale des licences, bien qu’il clame son innocence. Sur les 800 candidatures examinées, au moins 200 ont été déposées par lui. Il a servi d’intermédiaire.

« Les employeurs qui m’approchent sont presque toujours d’origine turque et parfois marocaine », explique Turgut. « Ils me donnent le nom et le numéro de téléphone d’un employé qu’ils veulent faire venir ici. Habituellement, ils les recrutent dans leur village parental, par l’intermédiaire d’amis et de membres de la famille. Souvent, ce sont des cousins ​​ou des frères. Cela explique pourquoi des dizaines de Turcs d’un même village travaillent pour certaines entreprises flamandes.

Divers documents doivent être fournis pour la demande de permis. Du côté du salarié, il s’agit d’une copie du passeport, d’un extrait de casier judiciaire et d’un certificat médical. Entre autres choses, l’employeur soumet un contrat de travail. Le Service flamand de la migration économique et l’Office fédéral des étrangers vérifient la demande.

Combien ça rapporte ? « Je demande 1 500 à 2 000 euros par demande de dossier », précise Turgut. Ce prix est entièrement à la charge de l’employeur.

10 000 euros

Pourtant, il y a aussi de la place pour les abus. Par exemple, Turgut lui-même admet que « cinq » des personnes qu’il a déjà amenées ici ont disparu du radar. Ils se sont avérés totalement absents à leur arrivée. Peut-être vivent-ils cachés ou ont-ils voyagé dans d’autres pays européens. Cela semble confirmer en partie les craintes de fraude, d’autant plus que 200 demandeurs désormais bloqués ont déjà tenté de voyager via d’autres canaux migratoires.

D’un autre côté, il y a l’exploitation. Par exemple, Fairwork Belgium, une organisation qui lutte contre l’exploitation économique, a connaissance de Turcs et de Marocains qui n’ont pas reçu l’emploi et le salaire promis à leur arrivée en Belgique. Le contrat de travail qu’ils ont signé dans leur pays d’origine, qui a servi à la demande de permis, s’est soudainement avéré être remplacé par un autre.

« Le problème est que la demande de permis commence toujours par l’employeur », explique le coordinateur Jan Knockaert. « Les employés restent souvent dans l’ignorance. Parce qu’ils ne parlent pas la langue, ils sont extrêmement vulnérables. On connaît des cas où l’employeur vient les chercher à l’aéroport, les accompagne à la mairie pour l’inscription puis les aide à ouvrir un compte bancaire. Après cela, l’employeur conserve lui-même la carte bancaire.

Certains employeurs semblent répercuter les coûts du transfert sur leurs employés. Ils travaillent ensuite gratuitement les premiers mois pour rembourser leur « dette ». « J’entends dire que des sommes de 10 000 euros sont parfois demandées », explique Turgut. D’autres promettent un hébergement, mais à l’arrivée, cela s’avère être une grave déception. Par exemple, certains sont installés dans des appartements beaucoup trop petits ou dans des pièces mansardées.

Place aux fautes professionnelles

Le prix de la maison est aussi parfois déduit du salaire, explique Stefaan Peirsman du syndicat ACV. « Des accords doivent être conclus de toute urgence à propos de ces logements. Assurez-vous que les employés obtiennent un contrat de location décent.

Les nombreux témoignages indiquent que le système sonne bien sur le papier, mais laisse également place à la faute professionnelle. C’est pourquoi presque tout le monde demande un contrôle plus strict. Turgut : « Une fois, j’ai signalé à l’inspection flamande parce que cinq employés qui étaient venus se sont plaints de leurs conditions de travail. Savez-vous ce qui est arrivé à cela ? Rien. »



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