Le manque de personnel et le nombre croissant de demandes font exploser les listes d’attente pour les soins transgenres

Deux ans et demi. C’est le temps d’attente aujourd’hui à la plus grande clinique du genre à Gand pour les personnes envisageant une chirurgie d’affirmation de genre, rien que pour l’entretien d’admission. La vie de centaines de personnes reste en suspens. « Cela m’a rendu désespéré. »

Jorn Lelong

Il a fallu plus d’un demi-siècle avant que Cléo Thys (54 ans) ose montrer au monde extérieur qu’elle se sentait femme. Même à ses deux enfants et au cours de ses 29 ans de mariage, elle l’a caché. «Je m’habillais souvent en femme, mais seulement quand je savais que personne d’autre n’était à la maison. Parfois, je devais me changer rapidement et j’oubliais que j’avais encore du fard à paupières. Je pense donc que mon ex-femme avait des soupçons. Mais quand je lui ai finalement annoncé la nouvelle, le mariage s’est effondré.

Il y a deux ans, Thys a rejoint l’équipe genre de l’UZ Gent. Elle a appris qu’il lui fallait attendre un an et demi pour avoir une première conversation. Pourtant, deux ans plus tard, elle n’a toujours rien entendu. « C’est frustrant d’être prêt à affronter cette situation, mais de ne pas pouvoir obtenir d’aide. »

Ceux qui s’inscrivent pour entamer une transition doivent attendre de plus en plus longtemps pour être aidés. À l’UZ Gent, la plus grande clinique de genre du pays, il s’écoulait en moyenne 15 mois en 2022 entre le premier appel téléphonique et l’entretien d’admission avec un psychologue. Quiconque s’inscrit aujourd’hui a déjà dû attendre deux ans et demi. Fin janvier, Thys était sur liste d’attente avec 2007 autres personnes.

Ce délai d’attente plus long est principalement dû au fait que de plus en plus de personnes s’inscrivent. En 2023, il y a eu 845 inscriptions. Plus de deux fois plus qu’en 2017, lorsque l’UZ Gent n’avait pas encore de liste d’attente.

Le personnel joue également un rôle dans le temps d’attente actuel. «Si l’on sait que chaque psychologue supervise au moins 100 personnes, le temps d’attente dû à un collègue temporairement absent augmente rapidement», explique Joz Motmans, coordinateur du Centre de sexologie et de genre à l’UZ Gand. « On se rend évidemment compte que cela a un impact. C’est terrible de devoir dire aux gens que nous ne pouvons pas les aider maintenant. »

Douche froide

Fleur Rynders (59 ans) sait aussi ce que c’est que de prendre une douche aussi froide. Elle se qualifie en plaisantant de « la plus grande menteuse de l’hémisphère occidental », car elle aussi a caché son identité de genre au monde extérieur jusqu’à il y a deux ans. « Je viens d’une famille catholique. Si j’avais dit à mes parents que je me sentais vraiment comme une femme, ils m’auraient envoyée dans un asile.

Même au sein de son mariage, elle a gardé pour elle le sentiment d’être une femme. Il y a deux ans, elle est partie seule en voyage à Kos avec une valise contenant des vêtements pour femmes, pour enfin être elle-même pendant deux semaines.

Finalement, elle n’en pouvait plus et s’inscrivit pour une transition à l’UZ Gent. Deux ans plus tard, elle n’a plus rien entendu. « Honnêtement, ça m’a désespéré. J’ai envisagé d’y mettre fin. Mais heureusement, j’ai trouvé à temps l’aide adéquate.»

Rynders n’a eu d’autre choix que de trouver un psychologue en dehors de l’hôpital. Sur le carte de soins Transgender Info Point répertorie les prestataires de soins spécialisés dans la dysphorie de genre. Ils ont connu un changement remarquable ces dernières années.

«Au début, c’étaient surtout des patients qui souhaitaient une aide psychologique avant de s’inscrire dans une clinique du genre», raconte la psychologue Els Bossant, qui accompagne les personnes trans depuis quinze ans. « En raison des longs délais d’attente, de plus en plus de personnes demandent désormais à entamer leur transition sous ma direction. Et puis je les oriente, par exemple, vers un endocrinologue pour une hormonothérapie.

Des milliers d’euros

À l’UZ Gent, on constate désormais qu’un tiers des personnes inscrites ont déjà franchi des étapes dans leur transition. Rynders a commencé un traitement hormonal et a subi son opération de confirmation de sexe en décembre avec l’équipe genre Vitaz à Saint-Nicolas.

Rynders peut alors s’estimer chanceuse d’avoir pu payer ces frais. Les soins psychologiques sont remboursés à l’UZ Gand et au CHU Liège, car ces hôpitaux relèvent de la convention de soins transgenres. Ce n’est pas le cas dans une équipe de genre différent ou avec des psychologues privés. Une démarche de plusieurs années impliquant des dizaines d’heures avec un psychologue peut rapidement coûter des milliers d’euros.

En outre, l’UZ Gent est le seul hôpital de notre pays où les patients peuvent subir certaines interventions chirurgicales, comme par exemple la construction d’un pénis pour les hommes trans. Les Belges francophones se retrouvent également sur la liste d’attente de Gand. Ils doivent désormais attendre trois ans pour obtenir un entretien d’admission.

Le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit) reconnaît qu’il existe un manque de capacité en matière de prise en charge des transgenres. « Nous avons besoin de nouveaux centres où les patients peuvent se rendre, et nous y travaillons. »

Fin janvier, huit hôpitaux, comme le ZOL à Genk et le ZNA Anvers, ont déposé une demande d’adhésion à la nouvelle convention de soins pour les transgenres. D’ici l’été, il faudra décider vers quelles équipes genre, outre Gand et Liège, les personnes trans pourront s’adresser pour des soins remboursés.

Thys espère également qu’elle recevra d’ici là un appel téléphonique rédempteur. « Mon opération d’affirmation de genre ne peut pas commencer assez tôt. Il est temps pour moi de terminer ce que j’ai commencé.

Toute personne ayant des questions sur le suicide peut contacter la Suicide Line au numéro gratuit 1813 et sur www.zelfbloed1813.be.



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