Le dernier épanouissement de Van Gogh : une exposition inoubliable à Paris


« Eh bien, en réalité, nous ne pouvons que faire parler nos tableaux », écrit Van Gogh dans une note retrouvée à sa mort le 29 juillet 1890 à Auvers-sur-Oise, un village de la banlieue parisienne. Il y avait déménagé 10 semaines plus tôt depuis l’asile de St Rémy, en Provence, croyant que ses troubles mentaux provenaient en partie du fait de vivre dans le sud et que le nord réparateur et vert l’aiderait.

Un autre attrait était que l’homéopathe Paul Gachet, médecin de nombreux artistes malades, y vivait. Peu de temps après son arrivée, Van Gogh a peint le jardin dense et envahi par la végétation de Gachet, dominé par un cyprès élancé et tordu, un motif provençal favori. Puis il représente le médecin roux, la tête appuyée sur la main dans une pose mélancolique, les traits plissés, avec ce qu’il appelle « l’expression navrée de notre temps ». Des heures plus tard, toujours chez Gachet, il lance « Verre aux œillets », une nature morte inclinée de feuilles épineuses et de somptueuses fleurs bleues et blanches, leur vase transparent vacillant sur une table rase, chaque élément instable.

Peignant souvent deux toiles par jour, Van Gogh a produit 70 œuvres au cours de ces mois prolifiques. Rassemblant la majorité d’entre eux, Van Gogh à Auvers-sur-Oise: Les derniers mois, la itération du musée d’Orsay d’une exposition lancée au musée Van Gogh d’Amsterdam au printemps est sans précédent, inoubliable, extrêmement agréable.

Un vase penché sur une table ronde contient des œillets bleus et blancs
Vincent van Gogh, « Verre aux œillets » (1890) © Alamy

En les voyant ensemble, il est clair que les peintures finales « parlent » un langage unifié et tout à fait convaincant : plus frénétique, condensé, direct, simplifié et expérimental qu’auparavant. L’ambiance est exaltée ; loin de retracer la progression d’un dépressif vers le suicide, les œuvres expriment une joie intense dans la nature, la couleur, la peinture.

Pourtant, l’idée selon laquelle la mort fait partie de la vie est ancrée dans nombre d’entre eux. Dans « Champ de blé avec une faucheuse », la faucheuse coupe le grain, tandis que les gerbes empilées se balançant, attachées au sommet touffeté, ressemblent à des figures féminines : tête, cou, robe. Il n’y a, écrivait Van Gogh, « dans cette mort rien de triste, elle se déroule en plein jour avec un soleil qui inonde tout d’une lumière d’or fin ».

Dès le premier instant à Auvers, Van Gogh a aimé tout ce qu’il a vu. « C’est d’une beauté grave, c’est le cœur de la campagne, distinctif et pittoresque », a-t-il déclaré à son frère Théo. Il était optimiste que des tableaux « se présentent à mes yeux, qu’il faudra du temps pour façonner, mais qui viendront petit à petit ».

Vincent van Gogh, « Jardin à Auvers » (20 juin 1890)

L’impression d’ouverture est celle d’une énergie déferlante et à peine contenue. « Blossoming Chestnut Trees », réalisé le deuxième jour, est une série de coups de pinceau contrastés : ciel en zigzag, courts traits sombres pour le feuillage, longues éruptions blanches de fleurs, barres bleues lâches pour les ombres : un rendu confiant et innovant d’un arbre éclatant. en feuille. Dans « Escalier d’Auvers », il prend les commandes du village comme motif : ses allées sinueuses forment des motifs rubanés, des touches de couleurs vives résonnent en rythme — les jaunes des chapeaux des jeunes filles, une porte cintrée et les marches arrondies ; leurs robes blanches, teintées de vert, et les façades des maisons. Une sinuosité Art Nouveau, flottante, agitée, met le tout en cohésion.

Une force convulsive balaye les maisons trapues des « Chaumières de Cordeville » pour former un dessin tout aussi tourbillonnant : les toits ondulent contre les arbres en spirale et les fioritures des nuages. Dans « L’Église d’Auvers-sur-Oise », la silhouette irrégulière de l’édifice tremble sous un ciel cobalt ; dans ses contours déformés, l’église violette et tordue semble sur le point de sortir de terre, tandis que les sentiers sablonneux qui s’en approchent se dissolvent dans des ruisseaux de peinture.

Deux chemins contournent une église tortueuse et menaçante, le chemin de gauche avec une figure féminine marchant le long
Vincent van Gogh, « L’Église d’Auvers-sur-Oise » (5 juin 1890) © Patrice Schmidt/Musée d’Orsay

Mais la même église se dresse derrière les buissons frisés qui entourent le « Jardin de Daubigny » où, malgré les divers traits animés, tourbillons, points et tiges serrées, l’effet est serein : un espace séduisant avec des fleurs épanouies, un petit portail en bois, un chat qui se faufile à travers. le premier plan. Cela a été peint moins de trois semaines avant la mort de Van Gogh.

Il y a tant de paysages ici parce que Van Gogh cherchait à « me renouveler dans la nature », affirmant ses qualités vitales alors même que sa tristesse devenait accablante. Le 20 juin, au milieu de l’été, il adopte une nouvelle toile « double carré », le format panoramique 50 cm x 100 cm mettant l’accent sur l’aspect englobant de la nature.

Il commence par « Paysage au crépuscule », des poiriers noirs sur un ciel jaunissant, des coups de pinceau épars évoquant une lumière frémissante et déclinante, et « Sous-bois à deux figures » : des troncs de peupliers violacés géométriques, des colonnes emphatiques aux contours épais au-dessus d’une herbe mouchetée de fleurs scintillantes. Entre eux flotte un couple fantomatique, dernière apparition d’un motif qui, selon le commissaire d’Orsay Emmanuel Coquery, « imprègne l’œuvre de l’artiste comme un regret poignant ».

Des 13 doubles carrés, une douzaine de paysages horizontaux et un portrait vertical, de la fille de Gachet au piano, l’Orsay en rassemble 12 dans un ensemble éblouissant et unique. Van Gogh ne les a jamais vus ainsi, mais la présentation convaincante de l’Orsay suggère que son intention était peut-être de les exposer ensemble sous forme de frise, un ensemble décoratif traitant de sujets similaires de manière nuancée. Cinq, peints en perspective haute dans la plaine au-dessus d’Auvers, déroulent la séquence de la récolte du blé. Cela aurait été tout à fait radical. Monet commençait sa série de peintures pionnières le même été – ses « Meules de foin », qui, écrit Pissarro, « respirent le contentement ».

Bateaux colorés au bord d'une rivière, une femme au chapeau est assise dans l'un et un homme et une femme se préparent à embarquer dans un autre
Vincent van Gogh, « Rive de l’Oise à Auvers » (après le 17 juin 1890) © Institut des Arts de Détroit

Ce n’est pas le cas de Van Gogh. Il était désormais résigné : « le drame d’une tempête dans la nature, le drame du chagrin dans la vie, est le meilleur ». « Champ de blé aux corbeaux », avec son étrange perspective de multiples points de fuite créés par les trois chemins à travers les champs, fragmentant l’espace, et sa couleur saturée extrême outremer/jaune, est éclairé par les traits circonflexes fulgurants des oiseaux. « Wheatfield Under Thunderclouds », plus épuré, évoque de puissants courants d’air alors que les tempêtes déferlent sur les plaines.

« Ce sont d’immenses étendues de blé sous un ciel trouble et je n’ai pas hésité à essayer d’exprimer la tristesse, l’extrême solitude », a expliqué Van Gogh, mais paradoxalement « ces toiles vous diront ce que je ne peux pas dire avec des mots, ce que je considère ». sain et fortifiant de la campagne ».

De telles lettres rassurent sa famille et, tout au long de l’exposition, les tableaux en double carré surprennent et varient dans leur registre émotionnel. Peint en quelques jours à la mi-juillet, « Gerbes de blé » agrandit les figures de foin de « Faucheuse » – des personnages dansants, hochant la tête ou se penchant comme s’ils posaient pour le peintre, dans une tonalité jaune chaude, projetant des ombres lavande – tandis que dans le nostalgique « Pluie — Auvers-sur-Oise », lignes graphiques représentant des averses d’été, lumière arachnéenne, infusent subtilement le paysage.

Peinture abstraite de racines d'arbres noueux, en bleu, vert, marron et noir
Vincent van Gogh, « Racines d’arbres » (27 juillet 1890) © Musée Van Gogh, Amsterdam

Chaque paysage à double carré innove formellement, culminant dans la peinture finale de l’ensemble, le gros plan « Racines d’arbre », réalisé le matin du dimanche où l’artiste s’est photographié. La peinture est grumeleuse, nouée comme une racine, les troncs bleu vif sont d’une teinte résolument expressive plutôt que figurative, et la composition sans horizon de lignes entrelacées et d’arabesques fantastiques frise l’abstraction. « Ma vie . . . est attaqué à la racine même », a écrit Van Gogh alors que son état mental se détériorait ; néanmoins, même dans ce dernier enchevêtrement d’empâtements, le soleil pénètre les sous-bois.

Au 4 février, musée-dorsay.fr



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