Le Belge Jacques (52 ans) est de retour du front ukrainien après huit mois : « Pour certains, sa mort a été un signal d’alarme, mais j’ai décidé de rester »


Poumons brûlés. perte auditive. Un bras cassé. Pour Jacques Martin (52 ans), tatoueur de Flémalle à Liège, ce furent des mois intenses. Il fut l’un des premiers volontaires belges à se rendre en Ukraine pour combattre. Jusqu’à deux fois. Il est rentré chez lui depuis quelques jours. « Je porterai la douleur pour le reste de ma vie. Mais je suis toujours là. C’est le plus important.

Esther Deleebeeck

3 mars. Les sept premiers volontaires belges partent en Ukraine pour combattre dans la guerre. Parmi eux se trouve aussi Jacques. Le Wallon d’une cinquantaine d’années est envoyé, avec les autres Belges, au centre d’entraînement militaire de Yavoriv, ​​dans la région de Lviv, à moins de 25 kilomètres de la frontière polono-ukrainienne. Tous les combattants étrangers sont entraînés dans ce camp militaire. Bien que Jacques ait déjà acquis de l’expérience, car en 1994, il a déjà combattu dans la Légion étrangère de Croatie lorsque la guerre civile yougoslave y faisait rage.

Peu de temps après, Jacques peut se rendre au front au centre de Lviv avec un premier bataillon, où ils interceptent des saboteurs russes, tchétchènes en l’occurrence. Après cette mission, ils retournent au quartier général de la base militaire. Les choses tournent terriblement mal là-bas le 13 mars. Des missiles aériens russes bombardent le camp et Jacques est blessé. « J’ai été inconscient pendant un moment, je me suis cassé le bras droit et j’ai complètement perdu l’ouïe pendant quatre heures », raconte-t-il. « Appelez cela une naissance dans le feu, le sang et le bruit. Une quarantaine d’autres combattants meurent ce jour-là. C’était des conditions apocalyptiques.

Le quinquagénaire est admis dans un hôpital polonais et renvoyé chez lui par le colonel local pour récupérer. « J’ai repris des forces en Belgique pendant quelques semaines, mais je suis reparti au front le 20 avril », poursuit-il.

Tireur de précision

Après la destruction complète du camp militaire, un grand hôtel de Kiev a été transformé en nouveau quartier général de la légion étrangère. De là, Jacques est envoyé dans de nouvelles missions. « J’ai surtout travaillé comme fantassin terrestre (soldats qui combattent à pied, ndlr) et comme tireur de précision, avec une Kalachnikov ou une mitrailleuse FNC belge », poursuit-il.

«Lviv, Kiev, Zaporijia, Dnipro, Kharkiv et Izyum dans la région du Donbass sont quelques-uns des endroits où j’ai été impliqué dans des combats. A la campagne, dans les bois ou en ville. C’était une tournée « touristique » inconditionnelle de l’invasion russe. Des offensives aux frontières de l’Europe du Nord, à la défense de la centrale nucléaire de Zaporijia, la défense territoriale de Kiev ou les batailles sur la ligne de front de Kharkov. Nous étions considérés comme égaux à l’armée ukrainienne.

Gauche : haut Jacques (52). À droite : Jacques avec quelques soldats de la Légion étrangère du président Zelensky.Vd image

En juillet, Jacques est envoyé avec un bataillon dans la région du Donbass, car les Ukrainiens y gagnent du territoire et peuvent reprendre le territoire sous contrôle russe. « Ce fut le moment le plus intense pour moi personnellement », poursuit-il.

« Environ quatorze Belges étaient inscrits en première ligne, mais juste avant cette mission, quatre des cinq Belges de mon bataillon sont partis pour la maison. Ils se sont arrêtés après qu’un jeune Belge (27 ans), fils d’un prêtre orthodoxe de Charleroi, a été tué par un soldat russe. Pour certains, ce fut un signal d’alarme. J’ai décidé de rester, car des progrès semblaient avoir été faits avec la reprise de Kharkov. Mais ça ne change rien au fait que c’était dur. »

« Nous avons repris beaucoup de terres en très peu de temps en étant en combat constant. On y est arrivé et c’était tout de suite : défendre, tirer un peu plus loin et défendre encore. De juillet à début décembre, notre bataillon a combattu en première ligne sous des bombardements constants, sans interruption. J’ai eu un week-end de congé et nous avons dormi par terre.

Quand je demande à Jacques s’il a lui-même tué des Russes, il me répond : « Bien sûr. Nous en avons tué plusieurs. Mais combien exactement, je ne peux pas dire. Les Russes ont aussi beaucoup pris à nos frères. Chaque mois, le commandant faisait un « contrôle » et c’était très conflictuel. Nous avons perdu la moitié de notre légion.

Insouciant dans une mission suicide

«J’étais conscient des risques, mais une fois que vous êtes impliqué dans ces combats, vous n’y pensez plus et ça continue, assurez-vous de soutenir vos collègues et de sortir en un seul morceau en tant que groupe. Le soutien des autres militaires internationaux a donné une dynamique motivante.

Jacques veut aussi régler un problème au sein de la légion étrangère. « Les combats dans la région du Donbass se sont déroulés dans une atmosphère totalement différente par rapport aux autres villes. Plusieurs bataillons ont rencontré des problèmes avec leurs commandants, qui se sont livrés à des abus, à des vols, à la rétention d’armes et à l’envoi de soldats non préparés dans des missions imprudentes. Beaucoup d’entre eux avaient un passé soviétique. Les soldats ont finalement été utilisés comme chair à canon et envoyés en mission suicide. C’est là aussi que l’horreur est devenue visible. J’ai vu des fosses communes où des centaines de civils étaient enterrés ensemble, et puis vous vous rendez compte de ce que les Russes ont fait. C’était pire de voir tant de civils innocents morts que de voir des soldats mourir au front.

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Jacques, troisième à partir de la gauche sur la photoVd image

Début décembre, Jacques est de nouveau blessé lors d’un bombardement. «J’ai subi une commotion cérébrale, une main cassée et des poumons brûlés, ce qui m’a laissé beaucoup de douleur et d’essoufflement. Mes blessures m’ont laissé à l’hôpital militaire pendant 2,5 semaines. Mais malgré les inquiétudes sur le terrain — le staff médical de l’armée ukrainienne s’occupe vraiment des soldats internationaux, c’est une machine bien huilée — j’étais trop faible et mes poumons brûlés me gênaient trop. J’ai été placé en congé de maladie obligatoire. Un moment précieux que j’avais envie de passer ici avec ma famille et mes quatre enfants (17, 18, 21 et 23 ans, ndlr). J’ai maintenu le contact avec eux via un numéro ukrainien, mais ils ne se sont jamais reposés un jour. Je vais continuer à récupérer ici pendant les trois prochains mois.

Jacques a passé un total d’un peu plus de 8 mois en Ukraine. Le fait qu’il soit maintenant obligé de revenir ici culmine quelque part. «Je porterai la douleur dans mes poumons pour le reste de ma vie de toute façon, mais je suis toujours en vie. C’est le plus important ».

Il est également heureux d’avoir pu fêter Noël avec sa famille. « Ils n’étaient pas d’accord pour que je parte et ils veulent me garder ici, mais ils savent que je vais persévérer. Dès que je serai guéri, je retournerai en Ukraine. Mon cœur est avec mes frères au front en cette fin d’année.

Relier la famille à l’avant

Malgré ses blessures et son rétablissement, Jacques ne reste pas immobile. « Nous avons créé une association avec les anciens combattants internationaux de ce conflit : International War Veterans Ukraine », dit-il.

« La Légion étrangère se compose de plusieurs bataillons et nous sommes alliés avec eux. Les gens peuvent faire appel à nous pour des informations sur la légion, un soutien solidaire, mais aussi pour un contact avec les militaires. Je suis le représentant des combattants de l’UE. La plupart des questions que je reçois maintenant viennent de membres de la famille. Nous les connectons ensuite aux combattants impliqués. Nous construisons également un bureau officiel de la Légion étrangère à Kiev pour, entre autres, organiser de futures conférences et séances d’information sur ce conflit avec les expériences des combattants.

« Si j’ai appris une chose ces derniers mois, c’est que la Légion étrangère est nécessaire. Peut-être que l’Europe devrait penser à créer une armée officielle avec des soldats de différents pays et d’expériences différentes. Pour que ce genre de troupes puisse être mobilisé et que nous n’ayons pas à attendre l’Amérique quand la guerre éclate ailleurs en Europe. Toute cette expérience m’a également donné la certitude de la force de l’Ukraine et de la façon dont nous marquons l’histoire de l’avenir militaire avec ce type d’engagement militaire.

Jacques n’a plus eu de contact avec l’ambassade d’Ukraine à Bruxelles depuis mars, d’où il est alors parti. Donc ils ne savent pas qu’il est de retour. Nous avons demandé à l’ambassade si les combattants de retour sont suivis ici, mais ils confirment également qu’il n’y a en fait aucune communication entre les volontaires et l’ambassade après le départ.



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