Le beau monde de l’Ancien Régime rivalisait pour être représenté par elle. Et 350 ans après sa naissance, une exposition dévoile le côté "caché": à Venise, la seule ville qui pouvait lui apporter autant


R.osalba Carriera a représenté les princesses des Habsbourg, un très jeune Louis XV de France, roi du Danemark (« incognito »). Bien sûr, les nobles vénitiennes, mais aussi les ballerines et chanteuses d’opéra les plus célèbres. Et surtout le milieu international sélectionné de ceux qui ont séjourné à Venise ou y sont arrivés pour le Grand Tour.

Biennale d'art de Venise, la scène européenne

Il l’a d’ailleurs fait en gérant lui-même un solide réseau de marchands d’art et de collectionneurs, restant en contact avec les chefs d’État et les dignitaires, pourvoyant à la fortune économique de sa boutique et de sa famille, sa mère et ses deux sœurs. Sans se marier ni devoir se soumettre à l’autorité d’un homme. À cause de ça Rosalba Carrièrené à Venise en 1673 et mort en 1757, est devenu ces dernières années non seulement une présence stable dans les expositions en Italie et à l’étranger, mais aussi un drapeau de l’autonomisation des femmes. Ce label risque cependant de laisser dans l’ombre l’expérience artistique d’un innovateur extraordinaire.

Rosalba Carriera, la révolution du pastel

«Pendant trente ans, il n’eut aucun rival, ni homme ni femme. dans quoi il s’appliquait » déclare Alberto Craievich, conservateur de Musée Ca’ Rezzonico du XVIIIe siècle à Venise. «Deux fois Rosalba il excellait. Au pastella technique pour laquelle ses contemporains l’ont célébrée et pour laquelle elle est surtout connue aujourd’hui, qui l’a conduite à Rome, Paris, Vienne. »

Et aujourd’hui dans des expositions à travers l’Europe: pour le 350e anniversaire de sa naissance, par exemple, à Dresde, où l’Électeur de Saxe Auguste le Fort avait créé « le Cabinet Rosalba » qui abrita jusqu’en 1918 157 œuvres au pastel, une exposition de plus de 100 portraits vient de se terminer. «Mais Rosalba a révolutionné la technique de la miniature avant même cela sur l’ivoire, l’élevant du statut d’artisanat à celui d’art véritable. » La pièce maîtresse de l’exposition Carrière de Rosalba. Miniatures sur ivoire qui vient d’ouvrir à Ca’ Rezzonico.

Autoportrait de la collection de la Galerie des Offices à Florence (Photo par Fine Art Images/Heritage Images/Getty Images)

La chance d’être citoyen de la Sérénissime

Fille d’une dentellière et d’un fonctionnaire de la République toujours en voyage sur le continent, Rosalba a grandi dans un environnement aisé où, avec ses deux sœurs Giovanna et Angela, elle a pu étudier le latin, le français, la musique, la poésie, ainsi que la broderie et peinture. A cette époque, Venise avait déjà perdu une grande partie de la puissance politique qui l’avait distinguée au fil des siècles, mais certainement pas son élégance et sa splendeur. Elle excelle, entre autres, par sa haute qualité artisanale : une spécialité sont les tabatières, dont Rosalba, lorsqu’elle était enfant, peignait le fond avec des figures féminines pas trop raffinées, et des scènes souvent à thèmes érotiques. Surtout, Venise reste une ville avant-gardiste en matière de liberté accordée aux femmes: ils peuvent avoir la tutelle de leurs enfants, hériter, posséder des maisons, des biens ou un magasin. Rosalba n’a donc aucun obstacle à gérer sa vie de manière indépendante, à être son propre manager. Certes, souligne Craievich, elle n’a jamais réclamé plus que ce que les usages de l’époque lui permettaient. «Même lorsqu’il se rendit à Paris en 1720, il était accompagné de sa mère, de ses sœurs et de son beau-frère, pour éviter les scandales et les ragots».

Avec les miniatures sur ivoire, le tournant de sa carrière

Mais comment parvient-il à incarner les nobles de Versailles et le jeune Dauphin ? De sa riche correspondance, il ressort qu’en 1695 elle en a fini avec les tabatières et que grâce à son talent naissant elle était déjà passée à la peinture de portraits miniatures sur support en ivoire. Ce sont ces œuvres (diamètre maximum de 8 à 10 centimètres) qui font décoller sa carrière. Il utilise des coups de pinceau rapides et fluides, qui jusqu’à présent n’étaient utilisés que pour peindre sur toile., pour donner du mouvement à des « gadgets » très convoités qui véhiculent l’insouciance de l’Ancien Régime. L’ivoire translucide dans le teint des portraits et leur donne une délicatesse et un éclat jamais vus auparavant. Ici, Rosalba met à l’épreuve ce trait délicat et « évaporé », comme l’a défini Roberto Longhi, qui exprime le mieux le goût gracieux du rococo. Ce sont les œuvres qui lui rapportèrent le plus, même trois fois le pastel, et qui, alors qu’elle avait déjà commencé une carrière d' »artiste de pâte » en 1705, lui ouvrirent les portes de l’une des académies les plus prestigieuses, celle de San Luca. à Rome.

Les souverains vont chez elle pour faire peindre leur portrait

L’Europe s’ouvre aussi: en 1700, son réseau de contacts comprenait l’électeur de Saxe, qu’il incarna en 1714, le collectionneur et artiste français Louis Vatin. Et Christian Cole, secrétaire de l’ambassade anglaise à Venise, qui se considère comme l’un de ses premiers agents parmi les voyageurs du Grand Tour. La maison à Venise est le point de rencontre des artistes, collectionneurs et marchands d’art où sa renommée s’élève et lui apporte des invitations des cours d’Europe. Mais avant 1720, peut-être parce que son père était encore en vie, elle resta dans la lagune et laissa les souverains venir chez elle se faire peindre leurs portraits : Frédéric IV, roi du Danemark, par exemple, arriva incognito en 1708 dans son atelier. .

Il arrive à Paris à l’invitation de Pierre Crozat, grand collectionneur avec qui il correspond pendant 25 ans, et Elle est immédiatement admise, première femme étrangère, à l’Académie Royale de Peinture de France., il rencontre Jean-Antoine Watteau et bien d’autres artistes de l’époque. Il se rend surtout à plusieurs reprises au Palais Royal pour incarner le très jeune roi Louis XV. Rosalba donne un style vaporeux à la peinture au pastel, diluant les poudres avec de l’eau et excellant une fois de plus dans le souci du détail, qu’elle avait tant pratiqué dans les miniatures : dentelles, perruques, tons chair.

A Paris Rosalba Carriera a réalisé plus de 50 portraits au pastel

Les tissus et les bijoux brillent également grâce à l’utilisation de fonds sombres (les colliers et les boucles d’oreilles sont souvent identiques dans différentes œuvres car Rosalba utilise les siennes comme attirail de scène). Il crée des portraits d’une grande vraisemblance qui captent l’attention de l’observateur, car le sujet regarde toujours droit devant lui, et à partir desquels il semble que l’on puisse deviner son caractère. Tout est rendu avec cette grâce qui amortit l’effet des défauts physiques, ce qui n’épargne pas. À Paris, il réalise plus de 50 portraits au pastel, mais en 1721, il retourne à Venise dans sa maison du Grand Canal. avec ma mère et mes sœurs. Joseph Smith entre dans son réseau de collaborateurs et rend l’atelier encore plus florissant, expédiant les œuvres en Angleterre (ils voyagent avec une carte sainte collée au dos pour les protéger) et en faisant un incontournable des Anglais du Grand Tour.

Les premiers étudiants apparaissent : Marianna Carlevarijs, Feilicita Sartori, Catherine Read. Aucune, cependant, ne l’égale en talent. En 1730, la même année où elle se rend à Vienne pour incarner Amalia de Habsbourg, elle se peint comme une allégorie de l’Hiver, une femme âgée aux cheveux blancs. Quelques années plus tard, le déclin, avec l’aggravation des problèmes de vision, qu’une opération ne parvient pas à enrayer. Elle est décédée, seule et aveugle, à 84 ans.

Une exposition à Venise

Jusqu’au 9 janvier 2024, Ca’ Rezzonico Le Musée de Venise du XVIIIe siècle expose avec Rosalba Carriera des miniatures en ivoire 36 miniatures en ivoire, soit un cinquième de toute la production créée par l’artiste avec ce matériau. Pastels, documents, dessins et gravures provenant de la collection du musée, ou prêtés par des fondations, les musées civiques ou autres institutions enrichissent le parcours artistique. L’exposition se déroule dans les salles d’un musée qui, avec son mobilier, est le premier témoin de cette « civilisation de la conversation » dont Rosalba Carriera fut l’interprète et le témoin.

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