Le Parlement français donne enfin son feu vert pour inscrire l’avortement dans la Constitution. Mais est-ce que cela change quelque chose en pratique ? Et la Belgique devrait-elle également ancrer ce droit dans la Constitution ? « Il s’agit avant tout d’une chose symbolique », déclare Carine Vrancken, directrice des centres d’avortement Luna asbl.
Pourquoi la France a-t-elle pris cette mesure ?
Vrancken : « À cause de ce qui s’est passé aux États-Unis. Lorsque le droit à l’avortement a été retiré de la Constitution il y a quelques années, cela a provoqué une vague d’indignation dans de nombreux endroits, notamment en Europe. Beaucoup de gens ont alors compris que ce droit pouvait tout simplement leur être retiré. Je soupçonne que c’est encore en quelque sorte une séquelle.
Un jour historique pour tous ceux qui se soucient des droits sexuels et reproductifs, alors ?
« Si l’on considère les choses uniquement du point de vue de la pratique, il s’agit avant tout d’une chose symbolique. C’est bien sûr sympa que les gens fassent ça, mais en réalité cela ne changera pas grand chose si vous êtes une femme en France. Si, en tant que prestataire de soins, je pouvais dresser une liste de souhaits, elle se trouverait en bas. L’ancrage constitutionnel de ce droit a également été discuté au sein du comité scientifique indépendant chargé d’évaluer la législation belge sur l’avortement pendant cette période de gouvernement. Et il a également conclu que des ajustements plus urgents devaient être effectués en premier. Les décideurs politiques qui souhaitent réellement réfléchir aux droits sexuels et reproductifs et à l’avortement doivent avant tout éliminer les obstacles afin que les personnes puissent prendre elles-mêmes la bonne décision en cas de grossesse involontaire. Cela aurait vraiment un impact.
Quels sont ces obstacles ?
« En Belgique, il y a deux priorités absolues. Par exemple, la loi stipule toujours qu’il doit s’écouler six jours entre la première consultation dans un centre d’IVG et l’interruption de grossesse. Depuis plusieurs années, des exceptions ne sont possibles que pour des raisons médicales urgentes. De tels détails ne sont vraiment pas nécessaires dans une loi sur l’avortement. Il est normal que les gens doivent d’abord venir consulter, mais le fait que la loi détermine le temps d’attente avant l’avortement est paternaliste et condescendant. Il y a toujours des gens qui ont des doutes et qui avortent seulement quatre semaines plus tard, voire pas du tout. Mais chaque situation est différente, vous devez donc pouvoir travailler sur mesure pour votre client.
«En outre, il existe encore un petit groupe qui s’installe aux Pays-Bas car le délai légal en Belgique est déjà expiré. Pour eux, traverser la frontière n’est pas seulement une barrière littérale, mais aussi une barrière mentale, car vous faites quelque chose qui n’est pas autorisé dans votre propre pays. Assimiler le terme ici à celui des Pays-Bas ferait vraiment une différence.
N’y a-t-il aucun avantage à modifier la loi française ? Une constitution est beaucoup plus difficile à amender qu’une loi ordinaire, par exemple.
«C’est vrai, même si cela reste possible avec une majorité des deux tiers. Aux États-Unis, l’avortement est une question sur laquelle les deux partis politiques existants ont commencé à se profiler. Il ne s’agit souvent pas de contenu, mais d’idéologie. En Belgique, je ne pense pas que le droit à l’avortement soit sous pression.
«De plus, nous avons déjà eu un changement de loi aussi symbolique en Belgique. Lorsque le droit à l’avortement a été introduit à l’origine, il s’agissait d’un ajout au droit pénal. L’avortement amniotique est devenu légal sous certaines conditions. En 2018, ces conditions ont été supprimées du droit pénal et placées dans une loi distincte. Nos clients ont également subi peu de conséquences dans la pratique.»
Le président français Emmanuel Macron est accusé d’utiliser cela principalement comme un joli coup de campagne pour les élections européennes. Y a-t-il quelque chose à cela ?
« Je pense que oui. En Belgique aussi, je doute que vous, en tant que décideur politique, devriez y consacrer votre temps. Nous disposons déjà d’une loi viable, mais son contenu doit être adapté. En faire un droit fondamental serait une belle cerise sur le gâteau, mais il faut d’abord que le gâteau soit cuit.»