L’auteur du best-seller La Factrice met en scène le nouveau roman dans une fabrique de savon. Agnese et Lorenzo, deux frères très proches depuis qu’ils sont enfants, sont séparés pour trahison. Et ils grandissent sur des chemins différents


DCela doit être vertigineux pour Francesca Giannone de rester en tête des charts avec le premier livre et d’attendre l’effet de la publication du second. Vertige et angoisse de performance se mélangent, la certitude d’un succès sensationnel, celui de Le facteur400 mille exemplaires et les droits acquis par Lotus pour une série télévisée, et l’attente de la nouvelle Demain Demain, je viens d’arriver à la librairie et comme le précédent situé dans un petit village du Salento.

Lectures d'été : six livres à emporter du Premio Strega

Le regard bleu-vert (comme sa mer) de Francesca Giannone est souriantcurieux de ce qui va se passer et presque serein dans un choix apparemment définitif : se consacrer uniquement à l’écriture, après un travail dans la communication et quelques emplois précaires.

Le Salento des années 50 par Francesca Giannone

En Araglie, une ville inspirée en partie par Gallipoli et en partie par OtranteGiannone raconte l’histoire de Agnese et son frère Lorenzotous deux employés dans la savonnerie fondée par leur grand-père, un métier qu’ils aiment et qu’ils veulent continuer pour toujours.

Nous sommes à la fin des années cinquante, l’Italie connaît un boom économiqueles premiers téléviseurs et réfrigérateurs arrivent dans les foyers, la musique reflète la joie et les envies d’ascension sociale. De nombreuses petites entreprises deviennent des entreprises puis de véritables industries. Ce serait aussi le but d’Agnese et Lorenzo, mais la vie interpose ses voyages, ses trahisons, son amour, sa colère et son envie de reprendre ce qui a été injustement enlevé…

Francesca Giannone, Turin 2024 (Photo : Yuma Martellanz)

Amours et ressentiments, évasions et retours tournent sur les pages d’où semble transpirer le parfum des savons créés dans la petite usine.: la Lisse, l’Olive, la Neve et surtout la Marianne, point fort de Casa Rizzo, au parfum de talc, créée par le grand-père pour l’amour de sa femme…

Pourquoi se dérouler l’histoire dans une savonnerie ?
Il n’y a pas de raison spécifique. Je pensais à l’Italie de ces années-là, au développement industriel et je voulais une usine qui ne soit plus un moulin à huile ou une cave. Au Nord il y avait des fabriques de savons, mais aussi dans le Grand Sud. J’ai donc décidé de produire des savons et le personnage d’Agnese est né de cette idée.

Comment l’as-tu vu ?
Minuscule, avec une masse de cheveux impossible. Elle a un flair particulier pour les essences, la capacité de les formuler, elle n’est pas allée à l’école, mais étudie seule les manuels universitaires de son grand-père, elle est autodidacte, une sorte de petit génie.

En effet, il a des compétences en chimie et botanique, biologie et cultures herbacées, il sait utiliser les mélangeurs et les fillers…
J’ai fait beaucoup de recherches pour construire le personnage. Ainsi que pour les affiches publicitaires, celles que Lorenzo dessine et les emballages des produits, mais aussi pour les peintures dont je parle. Ensuite, je les ai tous dessinés… dans ma tête.

Demain, demain de Francesca Giannone, Éd. Nord384 pages 19 €

La vie les sépare, les frères prennent des chemins différents après une double trahison. Agnese, la protagoniste, semble un peu défaitiste…
En réalité, c’est aussi un Bildungsroman. Lorsque nous rencontrons les deux frères, Agnese a 18 ans et Lorenzo 21 ans. Nous les laissons comme une jeune femme et un jeune homme face à la vie d’adulte.

Les protagonistes de Franesca Giannone

Agnese est maladroite, timide, un peu hébétée. Ce n’est que dans le travail qu’elle change complètement, elle devient résolue et décisive. Cependant, c’est un personnage très différent d’Anna Allavena, la facteur.
Anna est mon arrière-grand-mère, qui a vraiment existé. C’est une femme déterminée et confiante. Elle est fière, elle va droit comme un train. Agnese non, elle est pleine d’insécurités et de fragilité, malgré un énorme talent. Elle est maladroite et, à certains égards, il est peut-être plus facile de se reconnaître en elle.

Deux personnages opposés faisant des choix différents ?
En fait, Anna ne veut pas choisir, elle veut avoir à la fois, comme il se doit, un épanouissement familial et professionnel. Et Agnese fera son choix. J’ai voulu transmettre ce message, la liberté de choisir : le chemin entrepris n’est pas jugeable et est toujours légitime, qu’il soit professionnel, ou dédié à la famille, ou les deux.

Il parle de nombreux choix : celui d’Angela, la petite amie de Lorenzo. Celle de Thérèse. Et aussi celui regretté et tragique du père des deux garçons.
D’autres facettes de la vie d’une femme sont représentées. Et comme nous l’avons dit, chaque choix est légitime.

Agnese, cependant, paie le prix de la trahison de son frère.
Eh, Lorenzo fait aussi un gros sacrifice. Il y a toujours un prix à payer, même dans la vie, cela arrive, non ? Comme dans une porte coulissante, on finit tôt ou tard par se demander « mais si j’avais pris cet autre chemin, où serais-je maintenant ? ». Les regrets, tout comme les remords, sont inévitables, tôt ou tard nous devons y faire face. Si le destin, à ce moment-là, vous a amené à faire ce choix que vous pensiez être le bon pour vous, alors vous en assumez également toutes les conséquences.

Y a-t-il pour vous un choix que vous n’avez pas fait et sur lequel vous vous interrogez ?
J’ai étudié les sciences de la communication, j’ai gagné un Erasmus à la Sorbonne à Paris et j’ai décidé de ne pas y aller. De temps en temps, au fil des années, je me suis demandé : et si j’étais allé à Paris ?

De toute façon, ça semble s’être bien passé, non ?
Oui oui…

iO Donna © TOUS DROITS RÉSERVÉS



ttn-fr-13