ET L’aventure tragi-comique de Nicola, par profession aucune et toutes : menteur pathologique, il s’invente des identités précieuses pour conquérir le cœur des filles. Les mensonges enflent pour le submerger. Mais avant le bang il va pouvoir vivre trois vies imaginaires : en tant qu’écrivain, chef d’orchestre et médecin complété d’un roman à publier (celui qui n’a jamais rien écrit), en concert à l’Opéra (celui qui ne connaît pas la musique) et les soins aux patients (celui qui n’est même pas diplômé).
Une histoire paradoxale certes, mais comme un miroir qui grossit mais ne déforme pasparce que, dit l’auteur, au fond nous mentons tous: « Chacun se représente de manière différente, pensons à la façon dont même les souvenirs sont souvent manipulés pour donner une image plus « appropriée » de lui-même » dit-il Ermanno Cavazzoni, ancien professeur d’esthétique à l’Université de Bologne et auteur de nombreux romans: avec La galaxie des fousa été finaliste à Campiello 2018 et à son plus connu, Le poème des fous, Federico Fellini s’est inspiré du sujet du film La voix de la lune. Avec une veine surréaliste et dystopique, Cavazzoni enquête sur les individus, nous racontant comment chacun, hors des rails qui le standardisent, procède de manière incompréhensible pour les autres.
Commençons par Nicola : qui est-il ?
Il combine de nombreuses expériences, histoires personnelles ou nouvelles. Le dernier en date, le cas de Samuel Artale, qui s’est longtemps fait passer pour un rescapé d’Auschwitz : pendant 15 ans, il a sillonné les écoles en racontant « son » histoire, à certains égards pour une bonne fin, mais une imposture colossale, cultivée pour le point où il n’y a pas de retour en arrière.
Nicola, écrivez-vous, n’est pas mal, c’est une faiblesse…
Oui, une faiblesse qui le domine : le mensonge qu’il dit à Mirta, celui d’être l’écrivain dont la fille lit le livre dans le bus, a une fin : il veut la connaître pour être aimé, combler la solitude de une vie jamais construite. Mais le mensonge grossit et comme une avalanche accumule d’autres faux-semblants. Il finira par demander à un éditeur de publier un livre qu’il n’a jamais écrit. Et puis il prétendra être un chef d’orchestre et aussi un médecin, avec des patients.
A travers ses mensonges macroscopiques veut-il seulement vivre un présent moins angoissé ?
Il veut vivre une entente. Il emballe des mensonges aux deux filles Mirta et Ester pour dire ce qu’elles veulent entendre. Il veut entrer en relation, et donc avec les autres personnages qu’il rencontre.
Eux aussi racontent des petits mensonges…
Tout le monde ment, et tout le monde ment différemment.
Il y a un grand menteur dans chaque?
On ne peut s’empêcher de penser à certains profils sociaux.
Eh bien… Il y a des mensonges pour dissimuler, peut-être pour cacher un amant. Et celles qui redéfinissent une identité, avec lesquelles on se recrée, comme pour devenir une autre personne, certainement meilleure. C’est un mélange de fragments de vérité et de grands fantasmes. Beaucoup s’inventent un passé glorieux, ou de grands événements. Certaines pages de couverture, par exemple, regorgent de prix et de mentions honorables, les programmes reçoivent un « tweak » ad hoc : nous voulons tous paraître plus brillants
Est-ce plus grave de mentir aux autres ou à soi-même ?
Mieux vaut utiliser le mot inquiétant. Se recréer, construire un monde en sachant que ce n’est pas vrai, c’est avoir un moi incertain, mentir devient nuisible. Mentir aux autres peut être une défense.
Vous avez collaboré au scénario de La voix de la lune de Fellini : y a-t-il aussi de la poésie dans le mensonge ?
Disons qu’en littérature le menteur est plus intéressant que le sincère, il y a plus d’imagination. Fellini se considérait comme un grand menteur. Et il m’a toujours dit qu’il valait mieux dire des mensonges farfelus. Par exemple, s’ils lui demandaient de participer à un prix ou l’invitaient à l’université pour lui donner un diplôme honorifique (il les refusait toujours), il disait qu’il ne fallait pas répondre par un petit mensonge mais dire « Je dois partir pour l’Alaska ». déplacer complètement l’interlocuteur. Et d’autre part Fellini dans de nombreux films a construit Mastroianni comme un grand menteur. Toute la comédie italienne est donc basée sur des menteurs.
Pour en revenir à Nicola, quand il va manger à la soupe populaire, agrémenté d’une fausse barbe, il est convaincu de ne pas en donner aux clochards : oui, aux bourgeois dehors, mais à l’intérieur de la soupe populaire, non. Pouvez-vous expliquer pourquoi?
Il m’est arrivé de faire un travail autour du thème des sans-abri, même parmi eux il y a des personnages qui constituent une sorte d’aristocratie, qui méprisent presque les autres à un niveau inférieur. Dans chaque secteur de la vie humaine, il y a toujours une idée d’appartenir à un groupe des meilleurs. Cela semble paradoxal, mais partout il y a une volonté de hiérarchie.
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