L’année en un mot : la polycrise


Nom : terme collectif désignant les crises imbriquées et simultanées de nature environnementale, géopolitique et économique

Peu avant les réunions du FMI et de la Banque mondiale d’octobre à Washington DC, l’ancien secrétaire américain au Trésor, Lawrence Summers, a passé en revue la scène mondiale. « Je me souviens de moments antérieurs d’une gravité égale, voire supérieure, pour l’économie mondiale », a-t-il déclaré. «Mais je ne me souviens pas des moments où il y avait. . . autant de contre-courants qu’il y en a actuellement.

Une inflation galopante s’est installée dans le monde développé, a noté Summers, obligeant les banques centrales à resserrer leur politique monétaire plus ou moins simultanément. Pendant ce temps, un choc énergétique causé par l’invasion russe de l’Ukraine frappait particulièrement l’Europe. Et les inquiétudes grandissaient quant à l’orientation de l’élaboration des politiques chinoises, notamment la gestion du Covid-19 par le pays, sans parler des desseins de Pékin sur Taïwan.

Summers pensait que le terme «polycrise», popularisé ces derniers mois par l’historien de l’économie et rédacteur en chef du FT Adam Tooze, «convenait» comme un moyen de capturer un moment historique caractérisé par de multiples crises mondiales se déroulant en même temps à une échelle presque sans précédent.

Tooze n’a pas inventé le mot, cependant. Il semble avoir été utilisé pour la première fois à la fin des années 1990 par les spécialistes français des sciences sociales Edgar Morin et Anne Brigitte Kern, qui l’ont utilisé pour décrire les «crises entrelacées et superposées» auxquelles l’humanité est confrontée, en particulier dans le domaine écologique.

Le terme est revenu plus largement en circulation en 2018, dans un discours prononcé par Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission européenne. Il a rappelé qu’au milieu de cette décennie, l’UE risquait de « passer d’une crise à l’autre sans se réveiller » — de la crise de la dette souveraine, en passant par l’afflux de migrants et de réfugiés fuyant la guerre au Moyen-Orient, jusqu’à Brexit et montée du populisme. Mais depuis, a-t-il déclaré, « nous avons lentement mais sûrement tourné la page de cette soi-disant polycrise ».

À la suite des bouleversements mondiaux causés par la pandémie et de l’intensification de la lutte entre les grandes puissances, la confiance de Juncker dans le fait que l’Europe, ou le monde d’ailleurs, a mis la polycrise derrière eux semble sublimement déplacée.

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