L’ancien président de la Commission européenne et « père de l’euro » Jacques Delors (98 ans) est décédé


Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne, fondateur de l’euro et homme politique de gauche en France, est décédé mercredi à l’âge de 98 ans, a annoncé sa fille Martine Aubry.

Éditorial

« Il est décédé mercredi matin dans son sommeil à son domicile à Paris », a indiqué Aubry, le maire socialiste de Lille.

Delors était un homme politique éminent qui a joué un rôle clé dans la création de l’Union européenne. De 1985 à 1995, il a été président de la Commission européenne. Le marché unique européen a été créé à cette époque. Il a également jeté les bases de la monnaie commune, l’euro, introduite en 1999.

La mort de Delors signifie dire au revoir à un homme politique qui est entré dans l’histoire comme l’un des initiateurs de l’achèvement du marché intérieur européen et l’un des architectes du traité de Maastricht, qui a donné forme à l’Union économique et monétaire (UEM). . Mais malgré son statut de visionnaire, Delors s’est révélé avant tout être un diplomate habile tout au long de sa carrière.

Delors comme ministre français de l’Économie en 1982.ImageAFP

Racines à Torhout

Né à Paris en 1925, dans une famille originaire de Torhout, en Flandre occidentale, Delors a débuté sa carrière professionnelle à la Banque de France, la banque nationale française. C’est là qu’il a gravi les échelons jusqu’à ce qu’il soit élu député au Parlement européen en 1979. Il avait rejoint le Parti socialiste (PS) quelques années plus tôt. Cela lui donnerait l’aura d’un homme politique qui n’était pas intégré au système de partis traditionnel, mais qui ne pouvait donc pas compter sur le réseau dont disposaient les autres membres du PS.

Delors acquiert une véritable renommée politique à partir de 1981, en tant que ministre des Finances dans le premier gouvernement du président François Mitterrand. Après une politique budgétaire expansionniste infructueuse, trois dévaluations du franc français et une menace de sortie du Système monétaire européen (SME), le gouvernement n’a pu remettre l’économie sur les rails qu’avec une politique budgétaire plus stricte. Delors fut l’artisan de ce tournoi de la rigueur en 1983. Ce changement de cap a donné à Delors la renommée nécessaire pour être nommé nouveau président de la Commission européenne un an plus tard.

Immédiatement après sa nomination à la présidence de la Commission, le Français cherchait un projet majeur pour relancer ce qui était alors la Communauté économique européenne. Il a opté pour l’achèvement du marché intérieur, en partie parce que c’était le seul domaine dans lequel les dix États alors membres de la CEE étaient sur la même longueur d’onde. Ils estimaient tous qu’il y avait trop d’obstacles à leurs échanges mutuels.

Delors en 1991 avec le chancelier allemand Helmut Kohl.  ImageAFP

Delors en 1991 avec le chancelier allemand Helmut Kohl.ImageAFP

intégration européenne

Les négociations ont abouti à la signature de l’Acte unique européen en 1986, qui non seulement promettait la libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux d’ici le 1er janvier 1993, mais donnait également un nouvel élan à l’intégration européenne. Cela a été fait en élargissant les pouvoirs du Parlement européen, mais aussi en réformant la procédure décisionnelle au sein des Conseils des ministres européens. Dans divers domaines politiques, l’exigence de l’unanimité a été remplacée par la prise de décision à la majorité qualifiée. De cette manière, l’équilibre des pouvoirs dans le processus décisionnel européen s’est en partie déplacé en faveur de la Commission, car davantage de propositions ont été approuvées qu’auparavant.

La nouvelle procédure a été créée pour garantir l’adoption en temps opportun d’un total de 297 propositions législatives nécessaires à l’achèvement du marché unique. En ce sens, Delors doit être considéré comme l’homme politique qui a donné au marché intérieur sa forme définitive, mais aussi comme le diplomate qui a senti que le contexte politique était propice à la réussite du projet.

Delors avec la Première ministre britannique Margaret Thatcher en 1989. Image AFP

Delors avec la Première ministre britannique Margaret Thatcher en 1989.ImageAFP

euro

Delors a fait preuve de la même agilité lors du lancement de l’Union économique et monétaire (UEM). Le projet d’une telle politique coordonnée entre les États membres européens remontait au début des années 1970, mais Delors estimait également que le moment était venu. Dans le « rapport Delors », le président de la Commission a recommandé de réaliser l’UEM en trois étapes, l’introduction d’une monnaie unique étant une éventuelle étape finale. Mais il a fallu attendre la chute du mur de Berlin en 1989 et la réunification de l’Allemagne par le chancelier allemand Helmut Kohl pour que la décision soit prise d’introduire l’euro à partir du 1er janvier 1999. Cette intégration approfondie a été ancrée dans le traité de Maastricht en 1992.

Malgré sa concentration sur les dossiers économiques, Delors a toujours gardé un œil sur les aspects sociaux de la politique européenne au cours de sa carrière de président de la Commission. Socialiste, mais aussi religieux, Delors a pu bâtir son palmarès grâce à sa bonne coopération avec les dirigeants chrétiens-démocrates tels que Kohl, le Premier ministre luxembourgeois Jacques Santer et le Belge Philippe Maystadt, qui en tant que ministre fut successivement responsable des Affaires économiques et des Finances. Wilfried Martens a salué Delors dans ses mémoires comme « la personnification du renouveau de la pensée européenne ». À ce jour, Delors est le seul président de la Commission à avoir accompli trois mandats. En 1993, il accepte de rester en fonction pendant deux années supplémentaires afin que le mandat de la Commission coïncide désormais avec celui du Parlement européen.

Peu après sa retraite, Delors a fondé à Paris le groupe de réflexion Notre Europe, qu’il a présidé de 1996 à 2004. À Bruges, il a également été président du Collège d’Europe pendant cinq ans. Après sa carrière, Delors assume un rôle d’observateur. En 2004, par exemple, il a exprimé son scepticisme quant à l’élargissement de l’Union européenne à dix États membres. Il s’est prononcé en faveur d’un modèle européen confédéral, dans lequel les pays candidats pourraient rejoindre la « famille » européenne, mais pour l’instant sans participation au marché intérieur. L’Europe n’est en fait pas prête pour une expansion aussi importante, a-t-il soutenu.

Ceux qui disaient que l’union monétaire et l’introduction de l’euro conduiraient automatiquement à une union politique ont également eu vent de Delors. Il ne croit pas à cette évolution, même s’il estime qu’une union politique est indispensable.



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