L’actrice iranienne en exil a accompagné Shayda, l’histoire d’une femme maltraitée produite par Cate Blanchett, au festival suisse. A Venise, il présentera Tatami, co-réalisé avec l’Israélien Guy Nattiv. Un choix politique ?


« LELe cinéma m’a permis de me connecter avec le monde entier». Tsar Amir Ebrahimi, comédienne de théâtre à Téhéran, puis comédienne et réalisatrice à Parismais aussi monteuse, directrice de casting, productrice, son histoire au cinéma le voit ainsi.

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Une voie de salut, un destin imprévu, une passion incontrôlable. Protagoniste de Tabou de Téhéran en 2017, en 2022 elle remporte le prix de la meilleure actrice à Cannes avec Sainte Araignée par Ali Abbasi dans lequel elle incarne une détective prête à tout pour attraper un tueur en série de femmes.

Shaydadans lequel elle incarne une femme fuyant un mari violent, film réalisé par Noora Niasari et produit par Cate Blanchett, créée à Sundance puis à Festival du film de Locarno, et c’est Nomination de l’Australie aux Oscars.

À Locarno Zar, en tant que juréa pu faire appel à la «connaissance totale de la machine cinématographique acquise ces dernières années, et pas seulement d’un point de vue technique. Je suis immigré en France, quand je suis arrivé à Paris j’ai dû apprendre à comprendre différentes langues et cultures et à regarder tous les cinémas du monde. C’était ma boîte à outils. Je ne sais pas si cela permet de mieux noter les films, cela permet définitivement de regarder les films d’une manière différente.

Le tsar Amir Ebrahimi et Cate Blanchett à Cannes. (Photo de Victor Boyko/Variété via Getty Images)

Lorsque j’ai interviewé Cate Blanchett il y a quelques mois, elle m’a expliqué que la raison pour laquelle elle avait décidé de participer à la campagne contre les condamnations à mort en Iran était : «Une amie iranienne m’a demandé de participer, j’ai suivi ses instructions». Était-ce à propos d’elle ?
Je suis très reconnaissant envers Cate et pas seulement envers elle. L’année dernière, lorsque les manifestations ont commencé à s’étendre en Iran suite à la mort de Mahsa Amini il était difficile de diffuser la nouvelle et de faire savoir au monde ce qui se passait. Alors nous, cinéastes en exil, nous nous sommes dit que nous avions le devoir de rendre compte du courage des femmes iraniennes. Je ne suis pas sûr que ce que vit le peuple iranien soit clair pour tout le monde, ni quel est l’effet des sanctions, ni quels sont les risques que les femmes prennent dans leur lutte. Cate a apporté une contribution précieuse, les femmes iraniennes deviennent une source d’inspiration pour le monde intérieur. Cate a alors choisi de produire Shayda et elle se sentait sérieusement responsable du film, elle était sur le plateau tous les jours, ça a beaucoup aidé.

Il y a des artistes qui sont aussi des animaux politiques.
C’est quelque chose que nous avons dans l’âme, Cate est une personne engagée, dans les choix qu’elle a fait au cours de sa carrière, son parcours se voit clairement, elle aurait pu choisir des films plus importants, peut-être gagner plus.

Le tsar Amir Ebrahimi à Shayda.

Le tsar Amir Ebrahimi dans Holy Spider

Même son parcours en dit long sur les destins parfois tortueux des artistes : Sainte Araignée, le film qui a changé sa vie est arrivé de manière inattendue, elle n’était que directrice de casting, jusqu’à ce qu’Ali Abbasi se rende compte que personne d’autre ne pouvait le jouer à part elle
Dans ma vie, il y en a eu beaucoup plus et beaucoup moins, mais la somme est somme toute positive. Avant Sainte Araignée a été sélectionné au Festival de Cannes. J’étais désespéré. Rien n’a fonctionné, tout avait pris beaucoup plus de temps que prévu, j’avais installé ma société de production en France, mais le Covid est arrivé peu après. Nous ne travaillions plus, j’étais à court d’énergie et j’avais même 40 ans…. Je me demandais si cela valait la peine de déployer tous ces efforts, après avoir consacré toute ma vie au travail. Je n’ai pas de mari, je n’ai pas d’enfants, j’ai perdu des années à apprendre la langue en France, pour entrer dans ce monde. Alors je me suis dit qu’il fallait que je profite un peu plus de la vie, j’avais un projet : quitter Paris, m’installer dans une petite ville, peut-être au contact de la nature. Puis Cannes a tout changé, peut-être que c’était mon destin de ne pas avoir une vie normale, une famille. Mais au final, peut-être que ma carrière, le cinéma et ma société de production sont mes enfants et que je dois les protéger. Certains de mes amis, rattrapés par mon propre découragement, étaient entre temps rentrés en Iran, la France était trop compliquée pour eux., et si au bout de 5 ans vous n’y êtes pas parvenu, abandonnez. Mais ils sont rentrés dans la catastrophe.

Le tsar Amir Ebrahimi dans Holy Spider.

Votre société de production fait-elle la promotion uniquement de vos propres projets ou d’autres également ?
Je suis arrivée en France parce qu’on m’empêchait de travailler en Iran, mais je ne pouvais pas travailler parce que je ne connaissais pas la langue et parce que la profession est fermée. J’ai donc appris à monter et j’ai commencé à produire, réaliser et vendre de petits documentaires pour la BBC. Cela m’a donné la motivation de créer ma propre entreprise. Et comme j’avais mon propre projet de film, Honneur de la Perse, et personne n’y a cru, alors j’ai dit : « Je vais le faire. » Et maintenant, je veux aider les autres comme moi. Si la France ne nous donne pas l’argent, je le cherche partout dans le monde, j’ai quand même de bons contacts. Pour faire ce métier, il faut être patient, résistant et combattant. Et plus vous êtes multitâche, mieux c’est. Mon cerveau et ma vie fonctionnent ainsi. D’autres pensent qu’il faut se spécialiser.

À la porte de Venise Tatamis co-réalisé avec le réalisateur israélien Guy Nattiv : un choix à contenu politique ?
Je ne me demande jamais de quelle origine est le réalisateur d’un film. Et c’est Guy qui est venu me chercher. Je pensais que j’allais juste y jouer. Mais comme les dialogues sur le scénario ont été fructueux, Guy m’a demandé de le co-réaliser. Bien sûr, cela s’avérera finalement être un choix politique, mais ce n’était pas le principe. Et je sais que choisir il y a un risque et que pour cela je serai critiqué partout dans le monde. Mais je pense que nos deux peuples, iranien et israélien, ont beaucoup en commun, même s’ils ne souffrent pas autant en Israël que nous en Iran. Le film raconte l’histoire d’une athlète sous pression car le destin la mettra peut-être face à un adversaire israélien et, dans ce cas, le gouvernement iranien la forcera à abandonner la compétition. Mais elle décide de continuer et de résister, même si sa famille, qui se trouve en Iran, court des risques à cause d’elle. Pour être libres de changer, nous devons tous prendre des risques, j’ai pris des risques, ainsi que pour moi-même, aussi pour ma famille et pour mes amis qui travaillent avec moi depuis Téhéran. Mais si nous ne le faisons pas, rien ne changera jamais.

Il y aura alors Lire Lolita à Téhéran dans lequel elle joue aux côtés de Golshifteh Farahani, un exilé iranien comme elle, autre film réalisé par un Israélien…
Ce sera un petit rôle, mais je voulais travailler avec Goldshifteh, qui est comme une sœur pour moi. Nous nous connaissons depuis que nous avons quitté l’Iran, mais nous n’avons jamais travaillé ensemble. Je n’ai pas lu le livre, mais je connais l’histoire de son succès international. Le film, à travers l’histoire de la relation entre l’enseignante et ses élèves, raconte l’histoire de l’Iran, ce qui s’est passé après la révolution, l’arrivée des réformistes puis les retours en arrière, et surtout il raconte comment les femmes ont résisté et comment le pouvoir a tenté de les effacer.

Comment est née votre amitié avec Golshifteh ?
Je suis arrivé en France quelques mois avant elle (Zar a dû quitter l’Iran à cause d’une vidéo intime diffusée par un ex-petit ami. Il risquait la prison, les châtiments corporels et l’interdiction de travailler, Golshifteh pour avoir travaillé dans des films français et américains et avoir posé pour un magazine français, éd), c’était notre destin de nous revoir et de partager une histoire aussi similaire. Vous avez joué dans un film américain (Corps de mensonges avec Leonardo DiCaprio, éd), mais personne ne lui avait dit qu’elle ne pouvait pas le faire, et ce choix a finalement été jugé comme un acte d’espionnage. Et pour elle comme pour moi, l’interdiction de travailler en Iran a été déclenchée. En France, nous avons été source d’inspiration les uns pour les autres, nous nous sommes renforcés. Et nous n’avons jamais concouru. Elle a été une star instantanée et m’a tenu la main dans les moments difficiles. Quand, devant elle, lors d’une occasion publique, quelqu’un m’a demandé qui j’étais, j’ai répondu que je ne savais pas, que « je travaillais au cinéma ». Alors Golshifteh m’a pris à part et m’a grondé : « Ne dis plus jamais une chose pareille, tu es une actrice. Depuis, je ne l’ai jamais oublié. Même si je ne travaille pas toujours comme comédienne, si je fais autre chose, je sens qu’au fond de tout, je le suis et que personne ne pourra jamais me l’enlever.

Le tsar Amir Ebrahimi à Shayda.

Votre communauté est-elle solide même si elle est dispersée à travers le monde ?
Nous sommes nombreux, avec des histoires similaires, des exilés, des personnes qui ont perdu leur famille, qui ont vu des proches tués. Nous devrions détester notre pays, mais nous sommes très attachés à nos racines, nous ne les coupons pas. Quand tu pars parce que tu n’as pas le choix, tu souffres, tu détestes l’endroit que tu quittes, mais on continue de l’aimer. Je crois que c’est la puissance de l’Est. Nous sommes moins individualistes, nous nous sentons comme une communauté.

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