P.trop de créatures ! (en compétition un Venise 80 et en salles à partir du 25 janvier) commence comme Anna des miraclesdevient Frankenstein et se poursuit comme une histoire d’épanouissement féminin (également l’intraduisible « autonomisation »). Quant aux minutes d’applaudissements qui accompagnent les chroniques de chaque avant-première auprès du public, pour Emma Stone, on parle déjà d’une nomination aux Oscars. Aussi? Non. Parce que la construction de Belle Baxter, personnage tiré de roman d’Alasdair Gray et traduit pour le cinéma par le réalisateur grec Yorgos Lanthimosest – pour utiliser une expression usée – un tour de force d’agréable irrévérence.
Une jeune femme ramenée à la vie par un scientifique qui à son tour a été recousumédecin Godwin Baxter (Willem Dafoé), qui avec une naïveté nulle découvre et attaque les conventions bourgeoises. Des plus universelles (ou du moins ça essaie) à celles des bonnes manières, de la réponse donnée, de l’enfant qui crie et de ce qui ne va pas si on veut le battre (et pourquoi pas, il le faisait déjà en 1981 Athéna Cenci dans À l’ouest de Donald).
Emma Stone à Venise 80 avec Pauvres créatures !: jamais aussi nu, jamais aussi bizarre
Avec ses cheveux lâchés dans une époque victorienne qui ressemble à une pâtisserie futuriste perverseEmma Stone marche avec difficulté, a une syntaxe bizarre, crache de la nourriture et gémit dans des robes en dentelle et des volants aux renflements inouïs, découvre l’usage alternatif du concombre et accepte toutes les impositions de son créateur Godwin (si Dieu le veut ; par exemple le mariage à un de ses élèves). Mais rêvez, regardez à travers les rideaux et voyez la ville depuis le toit.
Pendant longtemps, on ne sait pas où Lanthimos veut en venir, si c’est Pauvres créatures ! n’est qu’un essai de style virtuose sur un marginal placé dans une vitrine. Puis, avec l’arrivée de Mark Ruffalo (Duncan Wedderburn)un avocat qui décide de libérer Bella dans le monde (« Je t’épouserai », dit-elle à son petit ami, « mais d’abord je vais à Lisbonne, j’ai chaud pour Duncan »), tout devient clair : c’est en gros, un passage à l’âge adulte où l’on rit beaucoup.
Où à chaque étape du voyage du couple temporaire, la pauvre créature acquiert des informations sur la culture et les coutumes. Sur la laideur de la vie, des pauvres aux bordels où les femmes se vendent mais mènent des luttes socialistes. Et plus il apprend, plus Duncan devient fou et pleure, lui qui pensait avoir une poupée innocente entre les mains. il se retrouve à lui arracher des mains les livres de Ralph Waldo Emerson. Livres que Martha lui tend – une Hanna Schygulla ressuscitée. Ce sont des moments irrésistibles du court-circuit entre la compagne de voyage rude et bornée, et celle qui raisonne sur la notion de cynisme.
Le rôle de l’extraterrestre, de l’étrange, du monstre, semble être un fait naturel pour Emma. Une des raisons réside dans la longue gestation du projet Pauvres créatures !, commencé avec Yorgos en 2017 (c’est leur troisième projet). Un autre concerne la caractéristique non indifférente d’avoir la bonne physicalité, les yeux écarquillés à droite (raison d’une blague dans une édition des Golden Globes).
Bien qu’en comparaison avec les performances – tout aussi anormales – de Caleb Landry Jones dans ChienHomme de Luc Besson (dépassé hier à la Mostra), Stone paie le prix du conte de fées face au monde le plus agréable des drag queens, ainsi qu’un certain caractère élémentaire de l’émancipationsa Bella est un personnage vivant dont il sait transmettre plus d’une dimension. Modèle de franchise et d’humanité, freak mais anti-freak parce que mal aligné avec la normalité qui règne. Créature emprisonnée, puis relâchée, puis emprisonnée mais selon ses règles.
Et sa vengeance n’en est pas moins satisfaisante du fusil à canon tronqué Douglas/Caleb. Il est un peu tôt pour dire si cela lui suffira de remporter une Volpi Cup le troisième jour du Salon. (l’actrice n’est pas venue au Lido à cause de la grève du SAG-Aftra). C’est aussi tôt pour un Oscar, mais vous savez, la campagne de nomination ne s’arrête jamais. En effet, cela commence avec la Mostra de Venise.
Le casting de Pauvres créatures ! se compose de : Emma Stone, Mark Ruffalo, Willem Dafoe, Ramy Youssef, Christopher Abbot, Suzy Bemba, Jerrod Carmichael, Kathryn Hunter, Vicki Pepperdine, Margaret Qualley et Hanna Schygulla.
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