P.J’ai d’abord pensé à Irène Jacob dès qu’elle a entendu de la Prix ​​du Club Léopard au Fête de Locarno? «Es-tu sûr que cette reconnaissance est pour moi?», rit-il avec sa grâce ineffable. Il a travaillé avec des directeurs suprêmes – depuis ses débuts avec Louis Malle dans Au revoir les gars (1987) aux chefs-d’œuvre de Krzysztof Kieślowski (La double vie de Veronicaen 1991, et Pellicule rouge en 1994) jusqu’à Michelangelo Antonioni, Wim Wenders, Paul SchraderTheo Angelopoulos – et pourtant elle est authentiquement émerveillée : mesurée, sensible et intelligente comme les personnages qu’elle incarne.

Irène Jacob : « Mon Kieslowski »

« Poussière de galaxie »

«Le métier d’acteur n’est pas un métier solitaire, un film est un projet collectif» s’empresse-t-il d’expliquer l’actrice multilingue (italienne incluse), qui a refusé un blockbuster comme Proposition indécente. Sérieux et engagement l’ont amenée à présider une fondation historique du cinéma français : leInstitut Lumière. «Il sera projeté à nouveau sur la Piazza Grande Pellicule rouge: Kieślowski et Jean-Louis Trintignant seront avec nous depuis les étoiles» dit-il.

La référence est poétique, mais Irène connaît le sujet. Fille d’un physicien théoricien du CERN, dans sa polyvalence, il anime le podcast Regardez le ciel autrement: dans chaque épisode, avec les conseils d’un expert, il révèle des secrets et explique des phénomènes méconnus. «Je sais que le firmament nous ressemble. Nous sommes faits de poussière d’étoile. Notre mystère est aussi grand que celui que nous contemplons la nuit, face aux galaxies. »

Irène Jacob à Cannes. (Getty Images).

« La raison ne suffit pas »

La directrice du festival, Giona A. Nazzaro, avait alors raison de la définir comme « l’une des présences les plus mystérieuses et les plus sublimes de l’écran ».
(des rires) Les définitions appartiennent à d’autres, mais je suis convaincu que la raison ne peut pas tout comprendre : il y a une zone qui reste invisible.

« Le miracle »

Cela semble spirituel.
Je soutiens toute spiritualité qui parle d’amour, qui apporte espoir et ouverture. En cela, l’art a une fonction essentielle : il peut « ouvrir les fenêtres » en grand, il est un véhicule d’imagination dans un monde dans lequel nous avons tendance à nous rétrécir, les frontières de l’âme et les frontières géographiques sont fermées. Dans notre société, il y a une tendance à se polariser, à se « fixer », à ne pas accepter le changement… Malheureusement, cela ne fonctionne pas ainsi : la vie est une question d’évolution, de transformation. Je ne prétends pas qu’il soit facile d’avancer vers l’inconnu, c’est toujours inquiétant, mais c’est aussi le miracle de l’existence.

Comment le temps vous a-t-il changé ?
Plus que de m’avoir changé, cela a changé les priorités, cela les a rendus flexibles : tantôt ils sont orientés vers le travail, tantôt vers l’amour, tantôt vers les enfants, tantôt vers les parents… Être en couple depuis longtemps demande du renouveau, cela demande de l’imagination. Et c’est pareil pour le travail.

Irène Jacob dans « Rendez-vous avec Pol Pot ».

Comment choisissez-vous les projets ?
Le plus important, c’est sans aucun doute le réalisateur. J’accepterais n’importe quel rôle avec quelqu’un que je respecte et en qui j’ai confiance.

«Le bonheur de l’enfance»

Vous souvenez-vous du moment où l’étincelle du métier d’acteur a éclaté ?
Le plus grand bonheur de mon enfance m’a été offert par Charlie Chaplin, un artiste extraordinaire qui m’a vraiment inspiré. Puis, enfant, j’aimais imiter ma grand-mère et ma mère : « Hé, regarde, je peux être toi ! » Je rigolais. Et dans ma famille, ils trouvaient ça drôle… A 12 ans j’ai rejoint un groupe d’amateurs, à 15 ans j’ai commencé à la télévision suisse (elle a quitté la France pour s’installer à Genève étant enfant en suivant son père, éd), poursuivant ses études de théâtre jusqu’à la sortie du Conservatoire ; à 18 ans, je suis allé à Paris pour suivre des cours à l’école Salle Blanche.

Irène Jacob avec son mari Jérôme Kircher et son fils Samuel. (Getty Images).

Et les débuts ?
Je jouais du violon et du piano, Malle cherchait quelqu’un qui connaisse les notes de Au revoir les gars… Kieślowski, en revanche, avait besoin d’un chanteur pour La double vie de Veronica (elle a été récompensée à Cannes comme meilleure actrice féminine, éd). Aujourd’hui, on me confie souvent des récitatifs d’opéra… J’aime la musique (j’ai même enregistré des disques avec mon frère) : avec la natation, c’est ce qui m’aide à maintenir mon équilibre.

Pas de yoga, pas de pleine conscience ?
Ma pleine conscience, ce sont mes enfants (Paul et Samuel, de son mari, l’acteur Jérôme Kircher, éd), des amis, le sourire d’un inconnu, une lumière particulière à un moment de la journée…

Les deux fils acteurs

Irène Jacob avec son fils Paul. (Getty Images).

Dans quel état d’esprit avez-vous affronté la soirée des César, les Oscars français, avec vos garçons « adversaires » dans la catégorie « meilleur espoir masculin » ?
C’est finalement Raphaël Quenard qui a gagné, mais la récompense pour tous deux a été de profiter de cette belle aventure. Cela les motivera.

Ils étaient nominés pour deux rôles troublants : Paul se métamorphose en Le règne animal; Samuel séduit sa belle-mère Encore un été.
Et il semble qu’hier, ils étaient des enfants ! (sourit) Pour Le règne animal J’ai pleuré toutes mes larmes : l’histoire est celle d’un jeune de seize ans qui doit se lancer dans son propre chemin, aussi terrifiant soit-il… Quel frisson!

N’êtes-vous pas effrayé par les aspects négatifs du métier : la précarité, l’incertitude ?
Non, je suis ravi ! Bien sûr, il faut une forte volonté, le « besoin » de s’immerger dans des scénarios pour se sentir vivant… Si vous le choisissez pour la gloire, le succès vous condamne au malheur : même si vous y parvenez, ce n’est jamais un acquis définitif.

Comment avez-vous réussi à concilier maternité et carrière ?
Encore une fois, comme le cinéma, c’est quelque chose qu’on ne fait pas seul. Je suis reconnaissante envers mon mari : nous avons fait des numéros d’équilibriste ensemble, en alternance sur les plateaux ou en emmenant les enfants avec nous lors des tournées de théâtre. Ils n’ont pas trop de mauvais souvenirs… (des rires) Maintenant qu’ils sont grands et indépendants, je me sens plein d’énergie pour relever de nouveaux défis.

Irène Jacob à Rome

Il a récemment bravé la canicule au Cambodge pour tourner Rendez-vous avec Pol Pot par Rithy Panh…
Je suis honoré d’avoir été choisi pour incarner Elizabeth Becker, qui en 1978 a été invitée par le chef sanguinaire des Khmers rouges – le seul journaliste occidental – à visiter le pays. Elle était fermée depuis trois ans, personne de l’extérieur n’avait la moindre perception du génocide qui se déroulait et elle en a été témoin. Rendez-vous pour Rithy (elle était adolescente pendant le cauchemar de la révolution), ce n’est pas un simple film : c’est une tentative de réconciliation avec la mémoire. Un peu comme le spectacle théâtral Maison pour Amos Gitaimême si dans son cas l’espoir futur dans la possibilité d’une coexistence s’ajoute à la réconciliation avec le passé.

Maison sera présenté par nos soins en octobre, al Festival Romaeuropa. Que pouvez-vous nous dire?
C’est l’histoire de dix ans d’une maison (l’histoire vraie d’une vraie maison), à Jérusalem-Ouest : elle appartenait à un médecin palestinien, et après la guerre de 1948 elle fut réquisitionnée par le gouvernement israélien. Je joue le rôle du propriétaire actuel : à l’écoute de la voix de chaque habitant, de la souffrance, vous avez une vision du conflit dans sa complexité. Sur scène se trouvent des musiciens israéliens, palestiniens, français et iraniens : c’est en soi un geste concret significatif, la maison devient une métaphore de la possibilité d’un dialogue. Je ne me fais pas l’illusion qu’une pièce de théâtre ou un film peuvent changer le monde, mais ils peuvent conserver des traces de mémoire : si l’on ne se souvient pas – ou ne sait pas – de ce qui s’est passé, le déni et le refus subsistent, qui alimentent les conflits. Mais d’abord, réalisé par Gitai, je serai à la Mostra de Venise en Pourquoi la guerresur la correspondance entre Einstein et Freud.

«Moi à 80 ans»

Irène Jacob dans « Maison » d’Amos Gitai.

Sa grâce est frappante. Aptitude naturelle ou réussite ?
(sourit) Michel Serrault, le grand acteur, disait qu’il faut toujours aimer ce qu’on fait, que ce soit juste faire du vélo… (des rires) Savoir être reconnaissant pour ce que l’on a et pour les personnes que l’on rencontre vous prédispose à la bienveillance. Nous sommes si petits, nous sommes si petits…

Le passage des années vous inquiète ?
Quand quelqu’un dit : « Comme ça fait peur d’avoir 80 ans ! », je réponds : « Eh bien, si à 80 ans j’étais amoureux et occupé par un projet merveilleux, je serais tout simplement heureux ! ». Ce n’est pas une question d’âge, c’est ce que vous associez à cet âge. Personne n’est si vieux qu’il ne puisse pas ouvrir une nouvelle page de sa vie et l’écrire…

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