La triste histoire des chars belges : « Notre Leopard était toujours un char fantastique. Celui qui n’avait pas été radié depuis longtemps ‘

Vous ne pouvez pas donner ce que vous n’avez pas. Et donc la Belgique ne fait pas don de chars à l’Ukraine. Une douloureuse leçon d’histoire.

Jérôme Van Horenbeek

A quarante kilomètres au nord de Hanovre, au milieu des tristement célèbres plaines allemandes, se trouve la zone d’entraînement militaire de Bergen-Hohne. C’est l’un des plus grands terrains d’entraînement d’Europe. Et c’est le lieu où l’armée belge fera ses adieux solennels à son dernier char Leopard en septembre 2014.

« Un moment d’émotion », se souvient le général à la retraite Hubert De Vos. En 2014, alors commandant de l’armée, il a eu l’honneur de tirer le tout dernier coup. La coquille vide se retrouve plus tard sur son bureau à Evere. « Le Leopard a été un ami fidèle tout au long de ma carrière militaire. Nous l’avons commencé ensemble dans les années 70 et nous l’avons terminé ensemble. Il était peut-être temps pour moi, mais pas pour le Leopard. (des rires) C’était toujours un char fantastique. Un qui n’a pas été radié depuis longtemps.

En 1967, le Leopard (version 1) entre dans l’armée belge. Nous sommes six ans après la construction du mur de Berlin, cinq ans après la crise des missiles de Cuba et deux ans après le début du Vietnam : la guerre froide bat son plein. Le scénario d’horreur dans les capitales européennes est qu’un jour l’Union soviétique choisit une attaque frontale contre son ennemi capitaliste. Donc sur nous. Comment? Via une charge de char littéralement écrasante à travers les plaines allemandes jusqu’au cœur du continent. Et la meilleure arme antichar de l’époque est… un char.

Pendant des décennies, le Leopard a fait son travail pour la Belgique : garder les Russes dans leur chambre et raconter aux miliciens des histoires dures sur la façon dont ils ont été une fois « écrasés » par le monstre d’acier (gisant dans un fossé) lors d’un exercice. Mais le mur tombe et l’Union soviétique implose. La fin de l’histoire est proclamée et l’Europe commence à récolter les dividendes de la paix. La Belgique en tête. La conscription est suspendue en 1992. Le nombre de chars – une fois plus de 330 – est également réduit. Plus de la moitié sont vendus. Dont environ quatre vingt au Brésil.

Le point de rupture se situe au tournant du siècle, lorsque le gouvernement violet du Premier ministre Guy Verhofstadt opte pour une approche radicalement différente. Une armée lourdement équipée n’est plus à la mode, dit-il. « Lourd » signifie « coûteux », c’est donc fini pour les chars, les anti-aériens et l’artillerie lourde. « Le budget a chuté et nous avons dû faire un choix cohérent. C’est pourquoi, à l’instar des brigades américaines Stryker, nous avons opté pour une armée « médiane » et « légèrement » équipée », explique le général Marc Thys, actuel numéro 2 des armées et également « tankie ». « Les chars sont la pointe de la lance. Mais ils ne sont d’aucune utilité si vous n’avez même pas d’argent pour le puits.

Percer

Merci et à bientôt, dit la Belgique aux Léopards. Ils seront remplacés par des véhicules Piranha et Dingo à roues plus légers. Une erreur, comme le montre aujourd’hui la guerre en Ukraine. Comme l’a dit le chef de l’armée néerlandaise : une armée sans chars, c’est comme un dentiste sans perceuse. Bien que nous ne devrions peut-être pas être trop stricts.

« En Belgique et ailleurs en Europe, l’idée était qu’il n’y aurait jamais – ou certainement pas dans l’immédiat – une autre guerre classique sur notre propre continent. Pas de Seconde Guerre mondiale, encore moins une Première Guerre mondiale comme aujourd’hui en Ukraine », déclare Jo Coelmont, général à la retraite et chercheur principal à l’Institut Egmont. C’est un ancien officier de l’armée de l’air, ce qui lui donne une certaine distance émotionnelle. « La guerre, c’était quelque chose de l’étranger. En 2001, vous avez eu le 11 septembre, puis l’Irak et l’Afghanistan. Obtenir un char là-bas est délicat. Ça ne rentre pas dans un C-130, ça doit être fait par bateau.

Rétrospectivement, tout le monde a raison, dit Coelmont, mais au début de ce siècle, la haute armée recevait des compliments constants sur le travail belge lors des missions à l’étranger. Ce sont surtout des missions de maintien de la paix. Pendant longtemps, il semble n’y avoir aucun problème. « Au Kosovo, nous avions encore nos Léopards avec nous, mais c’était surtout comme moyen de dissuasion psychologique. La suppression progressive des finances des forces armées – avec le ministère de la Défense comme équilibre budgétaire ultime – n’a pas fait des chars une priorité. Et cela a semblé juste pendant longtemps. Jusqu’ici. »

De Vos est plus précis dans son évaluation : « Après la chute du Mur, la Belgique politique s’est efforcée d’absorber rapidement les dividendes de la paix. Les politiciens ont suggéré que nous ne devrions effectuer que des missions de maintien de la paix « bon marché et peu dangereuses ». Vœu pieux. Plus encore : cela s’est avéré être une bévue, si bien que nous sommes maintenant exposés avec nos fesses. Toute l’Europe, c’est vrai. Le pays des chars, l’Allemagne, est également passé de plus de 2 500 chars modernes à quelques centaines. Mais la Belgique n’a plus rien, pas même une réserve d’entraînement. Notre savoir-faire a disparu. La reconstruire prend des années.

Pas superflu

Pendant un moment, un renouveau semble se dessiner. En 2011, les Pays-Bas ont demandé à la Belgique de constituer ensemble un bataillon de chars. La fièvre de l’épargne frappe également au-dessus du Moerdijk et les propres Léopards de l’entreprise (version 2) apparaissent. Le chef de l’armée néerlandaise espère les sauver grâce à une coopération avec la Belgique. L’ancien patron de l’armée Charles-Henri Delcour y est favorable et militairement l’affaire semble conclue, mais le ministre Pieter De Crem (CD&V) résiste. Il y a aussi quelques philosophes sur l’annulation d’un certain nombre de Piranhas. Rompre le contrat s’avère trop coûteux.

En 2012, Delcour sort frustré. De Crem rejette le général comme un mangeur de fer. « On joue dans un autre contour », répond-il à l’époque. « Nous avons de nouveaux besoins et nous devons faire plus avec moins. Je n’ai pas peur que nos voisins du nord, de l’est ou du sud nous attaquent immédiatement. On travaille dans un contexte différent et cela demande des qualités particulières. Les Pays-Bas vendront tous leurs Léopards en 2014, à commencer par un bataillon de chars germano-néerlandais deux ans plus tard.

Thys souligne que le haut de l’armée n’a jamais considéré le char comme superflu. La menace russe n’a jamais été sous-estimée, dit-il. « J’ai un livre à la maison avec le titre Guerre froide 2.0. Cela a été écrit en 2008. Et je conseille à tout le monde de regarder le discours de Margaret Thatcher sur Vladimir Poutine sur YouTube. Un discours de 2000 est celui, dans lequel elle dit ne trouver « aucune trace d’humanité » en lui. Thys : « Juste pour dire : de nombreux experts savaient depuis longtemps que les rêves impérialistes de Poutine étaient dangereux.

Aujourd’hui, la société belge OIP possède encore une vingtaine de Léopards abandonnés de l’armée belge. Ils étaient vendus il y a dix ans 37 000 euros pièce (les chiffres cités par la ministre Ludivine Dedonder dans cet entretien semblent erronés). Le rachat des Léopards coûtera probablement plusieurs fois plus cher. Et puis l’ensemble de la tourelle et du canon doit encore être adapté pour être déployable en Ukraine. La facture s’élèverait à 3 à 4 millions d’euros – chacun. Douloureux.



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