La France place la Transnistrie à l’ordre du jour des ministres européens des Affaires étrangères et de la Défense, après que la région a explicitement appelé à l’aide de Moscou. Il existe de nombreux parallèles avec l’Ukraine, et le Kremlin s’en réjouit.
«Le seul point positif est la vigilance accrue que cela montre au sein de l’UE», estime l’experte russe Ria Laenen (KU Leuven). Mercredi, le parlement de Transnistrie a publié une résolution demandant l’aide de Moscou. La Gagaouzie, une région autonome de Moldavie, a également emboîté le pas. Officiellement, il s’agissait de demandes de « protection », mais les critiques y ont vu des invitations voilées à une attaque russe contre la Moldavie.
Selon l’agence de presse Reuters, la France mettra le sujet à l’ordre du jour des ministres européens des Affaires étrangères la semaine prochaine, mais aussi de ceux de la Défense, ce qui Le matin n’a pas été confirmée par les cabinets belges.
Laenen : « Nous ne connaissons pas le scénario qui est dans les tiroirs du Kremlin, mais il est clair que l’Europe veut se préparer à différents projets. C’est l’une des leçons de la guerre en Ukraine.»
Conflit gelé
La Transnistrie fait toujours partie de la Moldavie sur le papier, mais dans la pratique, c’est un État non reconnu. La zone située à la frontière de la Moldavie et de l’Ukraine se trouve dans la sphère d’influence russe, avec le marteau et la faucille communistes toujours dans le drapeau rouge-vert. Après l’indépendance de la Moldavie, la Transnistrie a été le théâtre d’une guerre sanglante en 1992, jusqu’à ce que la Russie promette de se retirer.
Depuis lors, le conflit est gelé et la Russie n’a pas pleinement tenu ses promesses. Il y a encore environ 1 500 « soldats de la paix » russes en Transnistrie. Environ la moitié des habitants s’identifient comme Russes, résultat de la russification à l’époque soviétique et de la politique active de Poutine en matière de passeports. Un référendum organisé en 2006 a montré que 95 % des sondés avaient choisi de rejoindre la Russie, même si ce vote n’est pas reconnu internationalement. Il n’est donc pas exagéré de comparer avec la région ukrainienne du Donbass, où des séparatistes pro-russes ont demandé à Moscou leur soutien contre « l’agression ukrainienne » en février 2022. Un jour plus tard, Poutine lançait son invasion.
La Moldavie, pays candidat à l’UE, a demandé à plusieurs reprises l’aide européenne depuis l’invasion de l’Ukraine voisine, mais jusqu’à présent, celle-ci a principalement porté sur un soutien politique et économique. Le fait que la France se tourne désormais vers les ministres européens de la Défense pourrait indiquer qu’un soutien militaire n’est plus exclu.
« Jusqu’à présent, aucune aide militaire importante n’a été fournie pour empêcher une escalade du conflit, mais ce raisonnement a également été avancé depuis longtemps à l’égard de l’Ukraine et pourtant, la guerre y a pris fin », explique Laenen.
Paradis de la contrebande
Laenen considère la demande de protection comme une étape, mais elle ne pense pas qu’il faille s’attendre à une invasion russe de la Moldavie dans un avenir proche. La Russie ne considère pas la capitale moldave Chisinau comme une partie historique de l’Empire russe, comme le serait Kiev.
Mart de Kruif, ancien commandant de l’armée néerlandaise, voit également des raisons stratégiques de penser que les choses n’avanceront pas aussi vite. «Je soupçonne que les Russes préféreraient concentrer leurs capacités sur l’Ukraine. De plus, ils contrôlent déjà la Transnistrie avec leurs soi-disant « soldats de la paix ». Mais je pense que cela reste un pion sur l’échiquier et je crains que la Russie veuille en tirer profit à un moment donné.»
Ce n’est pas une coïncidence si la demande de la Transnistrie intervient juste avant le discours annuel de Poutine au Parlement. La Moldavie a poussé un soupir de soulagement car le dirigeant russe n’a finalement pas mentionné explicitement la Transnistrie.
En revanche, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a tenu un discours peu rassurant lors d’une conférence en Turquie vendredi. « Le régime de Chisinau suit les traces du régime de Kiev », a déclaré M. Lavrov. « Ils suppriment tout ce qui relève de la Russie, pratiquent une discrimination à l’égard de la langue russe et, avec les Ukrainiens, exercent une pression économique sur la Transnistrie. »
Avec ce dernier point, Lavrov fait référence aux taxes élevées que la Moldavie a introduites cette année pour les entreprises de Transnistrie qui importent et exportent des marchandises de l’UE. Ils utilisent l’accord de libre-échange entre la Moldavie et l’UE, mais désormais, comme toutes les entreprises moldaves, ils doivent payer des impôts sur cet accord. La Transnistrie est un paradis notoire pour la contrebande, principalement de cigarettes.
Obstacle
En Moldavie, on considère la résistance à ces mesures économiques comme une « opération psychologique russe », une guerre psychologique. Même sans intervention militaire de la Russie, la demande de la Transnistrie et de la Gagaouzie pourrait avoir un effet déstabilisateur. En octobre auront lieu des élections en Moldavie, où un gouvernement pro-occidental est désormais au pouvoir.
La Transnistrie pose également un problème à l’UE. Le statut flou de la zone constitue un obstacle sur la voie de l’adhésion de la Moldavie à l’UE. À l’égard de la Gagaouzie, Chisinau a adopté une approche plus modérée, la reconnaissant comme une région autonome au sein de la Moldavie, mais ce n’est pas le cas de la Transnistrie. C’est une plaie lancinante entre la Moldavie et l’Ukraine.
« Il est difficile de devenir membre de l’UE sans une pleine souveraineté sur le territoire », explique Laenen. « Il faut que ce soit clair, car il y a toujours cette incertitude : que va faire Poutine avec la Transnistrie ? Cela est difficilement réalisable au sein de l’UE.»