« La population de l’est du Congo souffre maintenant. Ils ont besoin de l’aide de la communauté internationale’


Le groupe rebelle M23 aurait provoqué un massacre dans l’est du Congo. Josaphat Musamba Bussy (42 ans) était encore dans la région en septembre pour son doctorat sur les groupes armés qu’il effectue à l’université de Gand. « La cacophonie est complète. »

Pierre Gordts

Que s’est-il passé à Kishishe ?

« Il y a eu des affrontements entre le groupe rebelle M23 et une coalition de forces gouvernementales. Ce dernier tente de repousser le M23 des zones qu’il a prises à l’armée congolaise ces derniers mois. Selon la coalition, le M23 s’est retourné contre la population et a tué des gens après avoir perdu ses propres troupes.

« Différents chiffres circulent sur le nombre de personnes tuées. Au départ, l’armée congolaise parlait d’une cinquantaine de victimes. Peu de temps après, l’agence de presse AFP a mené une enquête à partir de laquelle elle a conclu que 116 personnes étaient mortes. Et il y a quelques jours, la Monusco, force de maintien de la paix de l’ONU, parlait de 131 morts. Pour compléter la cacophonie, le M23 lui-même nie avoir attaqué des civils.

Le M23 s’est dissous après la trêve de paix de 2012. Qui sont-ils et depuis quand sont-ils à nouveau actifs ?

« Les M23 sont d’anciens militaires congolais. Plus précisément, ce nouveau groupe est composé de Congolais d’origine rwandaise. Nous les appelons « rwandophones ». Ce sont des personnes d’ascendance Hutu et Tutsi. Bien qu’il y ait aussi des gens des communautés du Nord et du Sud Kivu (deux provinces de l’Est du Congo, PG), plus précisément Rutshuru et Nyiragongo.

« Le groupe rebelle a en effet été en grande partie chassé du Congo en 2012. Les restes se sont déplacés vers le Rwanda et l’Ouganda. En 2016 et 2017, ils se sont à nouveau réorganisés dans la région. On pourrait dire que l’année dernière est entré dans une deuxième phase de leur retour. Ils ont recommencé à se rebeller contre le gouvernement congolais et essaient de gagner autant de territoire que possible dans l’est du Congo.

Pourquoi font-ils cela ?

« Il existe plusieurs raisons. Le groupe affirme avoir passé un accord avec le gouvernement congolais pour rejoindre l’armée congolaise. Mais cela est totalement hors de question pour le Congo. Afin de forcer le gouvernement autour de la table, le M23 tente de conquérir le plus de territoire possible. De plus, le groupe rebelle dit vouloir défendre les personnes qui ont fui au Rwanda ces dernières années.

M23 lui-même envoie des signaux mitigés. D’un côté ils disent vouloir se retirer, de l’autre ils préviennent qu’ils interviendront si des civils sont attaqués. Que doit-on en faire ?

« Ce n’est pas clair. En effet, ils disent défendre les civils, notamment les civils tutsis. Alors que la plupart de leurs soldats ne sont pas réellement tutsis, mais viennent du Sud-Kivu, par exemple.

« Cette semaine, le M23 s’est dit prêt à se retirer et à négocier avec le gouvernement congolais. Il a déclaré qu’il ne parlerait que si le M23 se retirait des positions qu’il a capturées. Le M23 a alors répondu avec son propre ultimatum, à savoir que le Kenya agirait en tant que médiateur dans ces pourparlers. Il n’est donc pas clair si le groupe veut se retirer ou non.

Patrouilles de l’ONU à Goma.Point d’accès d’image

Selon les Nations Unies, le Rwanda voisin aide le M23. Est-ce correct?

« Oui, c’est en partie vrai. Cela ressort clairement des déclarations des Nations Unies et d’autres sources. Le Rwanda nie officiellement qu’il aide le groupe, mais il le fait.

« Bien que je ne pense pas qu’il soit tout à fait juste que le Congo et les Nations Unies mettent autant l’accent sur ce lien avec le Rwanda. D’abord et avant tout parce que le M23 est composé en grande partie de Congolais. De plus, M23 est un groupe transnational. Elle opère au Congo. Mais certains de ses soldats ont des liens avec les soi-disant Bagogwe, un clan du Rwanda et de l’Ouganda. La communauté internationale et les médias parlent constamment de l’aide rwandaise. Pourquoi ne parlons-nous jamais du rôle de l’Ouganda dans tout cela ? Je lutte avec ça.

Pourquoi?

« Parce que je ne pense pas que cela aide le débat et la situation sur le terrain. Il semble que la communauté internationale nie que les Congolais puissent s’unir et se dresser contre leur propre gouvernement. Alors qu’il existe environ quatre-vingt-dix groupes armés de ce type dans l’est du Congo. Je pense que cela renverse le débat. Tant que nous regarderons cela dans le mauvais sens, nous ne trouverons pas de solution durable avec le M23.

« De plus, le président congolais Félix Tshisekedi profite de l’intensification du conflit contre le Rwanda. Avant que ces conflits n’éclatent, Tshisekedi avait du mal à conserver le soutien de la population congolaise. En entrant en conflit avec le Rwanda, il tente d’acquérir plus de légitimité et de renforcer les liens avec la population locale.

Quelle est la situation de la population locale ?

« J’étais encore dans la région en septembre. La situation humanitaire nous préoccupe sérieusement. De nombreuses personnes ont été déplacées par l’avancée du M23 (ce serait des centaines de milliers de personnes, PG). Certains vivent dans des camps de tentes. D’autres sont chez des parents à Goma (une grande ville de l’Est du Congo, PG) échappé. Et d’autres encore ont déménagé au Rwanda.

« Il est clair que les gens de l’est du Congo souffrent en ce moment. Ils ont besoin de l’aide de la communauté internationale.



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