cou au-delà 17 000 espèces animales et près de 25 000 plantes présentes, la mer Méditerranée – qui comprend les mers Adriatique, Tyrrhénienne et Ionienne – contient des formes de vie uniques, typiques de cette région. Comme le le phoque moine, les coraux blancs madrepora oculata et Lophelia pertusacapable de construire de véritables récifs sur les fonds marins profonds, ou la patelle ferreuse, un mollusque gastéropode à la belle coquille en forme d’étoile.
Montée des mers : des pronostics difficiles
Aux facteurs dangereux tels que les pollutions anthropiques de toutes sortes, le chalutage, l’exploitation incommensurable des poissons et les effets d’un tourisme excessif ou irrespectueux pour l’environnement, auxquels s’ajoutent les conséquences du changement climatique induit par l’activité humaine. Les pluies, les inondations et les basses températures de mai dernier ne doivent pas être trompeuses.
« Il est difficile de formuler des prévisions précises, mais la tendance générale, au-delà de la variabilité d’une saison à l’autre, est celle d’un été plus chaud, comme cela s’est produit ces dernières années », commente-t-il. Susanna Corti, climatologue et directrice de recherche‘Isaac (Institut des sciences de l’atmosphère et du climat) du Cnr. Pour se faire une idée, l’érudit nous invite à ne pas nous arrêter à une seule saison.
« Nous devons être conscients que le changement climatique a lieu, dont les effets sont une augmentation de la variabilité et des événements extrêmes », précise-t-il. «Des périodes de sécheresse prolongée pouvaient alterner avec des moments extrêmement pluvieux. Il faut agir à temps. Notre territoire est très vulnérable, nous devons penser en termes de planification et de prévention, et pas seulement répondre aux urgences » commente Corti.
Ça sert une double action d’adaptation des activités humaines et d’atténuation, pour éviter que la situation ne s’aggrave davantage. L’Italie possède 7500 km de côtes qui, au cours des cinquante dernières années, ont souvent fait l’objet d’une gestion sauvage, construisant là où elles n’auraient pas dû l’être. Si l’instabilité hydrogéologique existait déjà, elle s’aggrave désormais avec la présence de phénomènes extrêmes.
Concevoir des barrières pour défendre les mers comme en Hollande
Les terres qui s’effondrent ne sont malheureusement pas le seul problème. Vous souvenez-vous du film catastrophe Le Jour d’après, sorti en 2004 ? Dans une scène effrayante, un raz de marée a englouti Manhattan.
« C’est très peu probable, pour l’instant », rassure Corti. « Mais n’oublions pas que des millions de personnes dans le monde vivent le long des côtes. L’élévation du niveau de la mer est un phénomène qui a déjà commencé, plus évident là où la côte est plus basse. Et cela va continuer, même s’il y a beaucoup d’incertitudes quant à sa rapidité. La cause en est la fonte des glaciers, non seulement dans nos montagnes, mais au Groenland et dans l’Arctique, en raison de l’augmentation des températures due au gaz carbonique. »Si nous ne faisons rien, en 2100, les mers monteront d’un mètre », précise-t-il.
«Mais même sans CO2, ils vont encore augmenter. L’atmosphère est plus rapide à réagir, mais les mers sont lentes une fois le processus enclenché. » Dans un scénario optimiste, le niveau augmentera d’un demi-mètre d’ici 2100. Dans une version plus apocalyptique, la croissance sera de 2 ou 3 mètres et plus de terres seront submergées. Même la Méditerranée serait concernée, et il ne s’agirait plus de sauver seulement Venise, mais aussi d’autres régions, par exemple le long de la côte adriatique. Nous devons commencer à penser à l’avenir dès maintenant, en concevant des barrières comme celles qui existent en Hollande pour ses territoires sous le niveau de la mer.
Crabe bleu contre crabe vert
La température atmosphérique augmente, c’est désormais un fait. Selon l’Organisation météorologique mondiale des Nations Unies, nous avons une probabilité de 66 % que d’ici 2027 nous dépassions le seuil de 1,5 degré d’augmentation par rapport à la période préindustrielle. Les eaux de la Méditerranée se réchauffent aussi: d’ici 2100, jusqu’à 3,5 degrés de plus sont attendus, selon le rapport Soed 2020. La tropicalisation de nos mers est déjà en cours. « De nouvelles espèces animales et végétales s’installent et leur présence a des effets sur l’ensemble du système marin en termes d’habitat et biodiversité » explique Alessandra Pugnetti, écologiste marine et chercheuse à l’Ismar (Institut des sciences de la mer) du Cnr.
« Dans la lagune de Venise, une présence importante de deux algues brunes est documentée, les sargasses et les undaria, toutes deux non indigènes et originaires des mers orientales ». Le véhicule de ces migrations est toujours l’homme. L’eau rejetée par les navires, voire les navires eux-mêmes, plutôt que les coquillages importés, aide les algues à s’établir. Ensuite, l’augmentation des températures de l’eau contribue à favoriser sa prolifération. C’est aussi le cas de certains animaux.
«Depuis dix ans, je m’occupe du crabe bleu (Callinectes sapidus) qui est arrivé dans les lagons de la région du Gargano» dit-il Lucrezia Cilenti, biologiste marine et chercheuse Irbim (Institut des Ressources Biologiques et des Biotechnologies Marines) du Cnr. « Les larves de crabe bleu ont trouvé un habitat accueillant. La population croît rapidement : chaque femelle produit de deux à huit millions d’œufs. Ils ont atteint Venise et menacent le plus petit crabe vert indigène».
Cette invasion peut-elle être contenue ? « Nous avons travaillé sur la pêche sélective des femelles et sur la promotion de la consommation de ce crustacé, en organisant des show cooking : la pulpe est savoureuse ». Les températures de l’eau plus élevées attirent les poissons migrant de la mer Rouge. « Le barracuda, le poisson-globe tacheté, le poisson-lapin ont atteint nos mers » ajoute Cilenti.
Une mer plus chaude, en revanche, ne plaît pas à la gorgone, un merveilleux corail méditerranéen rouge ou jaune : il blanchit et meurt.
Certaines plantes migreront vers le nord
« De longues périodes de sécheresse avec des températures élevées ou une inondation modifient l’équilibre marin et affectent tous les organismes vivants », explique Pugnetti. «Nous imaginons notre mer comme un environnement tridimensionnel, une colonne d’eau avec de nombreuses profondeurs et des conditions et densités de lumière différentes, influencée par la température et par les débits des rivières. Ce n’est pas statique : il y a des remaniements qui se font naturellement. Un événement extrême comme une inondation n’a pas seulement un impact sur la température, mais déverse une quantité d’eau chargée de polluants, d’engrais et de matières organiques qui modifient un système déjà complexe et non uniforme. Par exemple, un lagon est différent du large ».
En plus de provoquer les altérations climatiques qui génèrent des phénomènes extrêmes, le dioxyde de carbone est également responsable de l’acidification des océans et de la Méditerranée : un pH plus bas affecte la capacité des coraux, des mollusques et des crustacés pour accumuler du carbonate, qui sert leurs structures ou coquilles. « La Méditerranée est un hotspot climatique », ajoute Corti. « A long terme, la tendance est à l’assèchement général surtout l’été : il pleuvra moins, et d’une région tempérée il deviendra plus aride. L’agriculture et la flore vont changer.
De nombreuses plantes migreront vers le nord. Et nous devrons tenir compte du coin de sel : lorsque les rivières s’assèchent, l’eau salée pénètre dans les estuaires et les deltas, peut s’infiltrer dans les eaux souterraines, rendant les ressources en eau inutilisables pour l’agriculture et asséchant davantage les terres. Il est urgent de mieux connaître ces phénomènes pour ensuite agir. Faire pression, en tant que citoyens, sur les administrateurs et les politiciens. Il n’est pas trop tard, tant que nous bougeons maintenant. De plus en plus, sauver la Méditerranée, c’est aussi se sauver soi-même.
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