La mer comme tombe est vague, réconfortante et parfois pratique

Peut-être un jour les corps des cinq hommes qui se sont écrasés le 18 juin avec leur navire de haute mer près de l’épave du Titanic seront-ils retrouvés. Pour le moment, ils ont, comme on l’appelle, un tombe de marin.

Un mot aux multiples nuances. C’est abstrait et vague quand il s’agit de personnes « restées en mer », sans en connaître tous les détails. La mer entière est leur tombeau. « La fin en mer n’a pas sa place », a écrit le philosophe allemand Andreas Weber. « Celui qui y disparaît est mort là où les eaux se balancent. »

Rituel

L’absence de corps peut empêcher les personnes endeuillées de clore leur deuil. Mais l’idée d’une telle tombe de marin peut aussi réconforter : être absorbé par quelque chose de grand et de pur. « La mer va-t-elle m’envelopper et me transpercer / M’intoxiquer jusqu’à ses plus grandes profondeurs », écrivait JJ Slauerhoff dans La tombe d’un honnête marin (1936).

La « tombe du marin » est aussi l’ancien rituel de l’inhumation en mer. Pensez : Lijsken, le second cuisinier malade du navire VOC Nieu-Hoorn sous le skipper Bontekoe. « J’avais [voor mijn moeder] rapporter un joli sou de ce voyage… », dit-il d’une voix rauque quelque part au-delà du cap de Bonne-Espérance. Un peu plus tard, le drapeau flotte en berne et Lijsken est cousu dans une bâche « et solennellement confié aux flots en chantant un psaume ». Quand le prochain mort du scorbut – « Un, deux, trois, pour l’amour de Dieu » – va dans la mer, « on a vu le ventre blanc d’un requin briller sous l’eau ».

Le mot « sépulture de marin » n’est entré en usage qu’au XIXe siècle, en anglais comme tombe de marin, puis en néerlandais. Toute personne qui meurt en mer se rend désormais à terre dans la chambre froide. Vous pouvez (parfois) le choisir vous-même. En 2012, Neil Armstrong, ex-aviateur naval et premier homme sur la lune, opte non pas pour le cimetière d’Arlington, mais pour un enterrement marin (de ses cendres dans une urne).

Oussama ben Laden et Abou Bakr al-Baghdadi, respectivement chefs d’al-Qaïda et de l’État islamique, ont également reçu une tombe de marin

Il est interdit de donner à un corps une dernière demeure dans les eaux néerlandaises, mais les Britanniques ont traditionnellement pu le faire dans une entreprisequi fournit également le cercueil lesté, avec cinquante trous pour empêcher la boîte de flotter à cause de l’air emprisonné.

Oussama ben Laden et Abou Bakr al-Baghdadi, respectivement chefs d’Al-Qaïda et de l’État islamique, ont également reçu une tombe de marin après avoir été enlevés, pour éviter que leurs tombes ne deviennent un lieu de pèlerinage sur terre.

Un navire qui emmène ses passagers dans les profondeurs s’appelle aussi la tombe d’un marin. Si c’est un navire de guerre, il a même un statut protégé. D’où l’agitation lorsque des naufrageurs illégaux se sont avérés en 2016 avoir nettoyé les épaves de navires de la marine néerlandaise, coulés par les Japonais lors de la bataille de la mer de Java et le dernier lieu de repos de 900 membres de la marine. Profanation de tombes.

Ce mot est souvent tombé sur le pillage du Titanic. Depuis la découverte de l’épave en 1985 des milliers d’objets, de la cloche d’un navire, de la vaisselle et des bijoux aux valises et même à une lettre d’adieu. En tout cas, plusieurs sens s’y sont réunis la semaine dernière : les visiteurs de la tombe de ce marin en ont trouvé un pour eux-mêmes.



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