La mélancolie n’est pas la dépression, c’est la liberté de se sentir triste


tuIl était une fois la mélancolie à la mode. Poètes romantiques et aristocrates anglais, un peu snobistes, se font peindre le portrait dans des poses mélancoliques, le regard désolé perdu dans le vide. Au Moyen Âge, on croyait que les personnes mélancoliques étaient nées sous le signe de Saturnealors considérée comme la planète la plus éloignée de la terre, associée au froid, à l’obscurité mais aussi à la créativité et à l’imagination.

La mélancolie n’est pas la dépression

Et aujourd’hui? Bien au contraire. On classe les mélancoliques comme déprimés, on leur propose des flacons de pilules anti-tristesse et des stabilisateurs d’humeur. Demande: on doit forcément être heureux quand le monde va dans une direction complètement différente? Alain de Botton, écrivain irrévérencieux et souvent à contre-courant, dans Variété de mélancolie (Guanda) s’est donné pour tâche de réévaluer une émotion « qui n’est pas de la colère, qui n’est pas de l’amertume, qui n’est pas du pessimisme, ni du cynisme », allant jusqu’à déclarer : «La position de la mélancolie est finalement la seule sensée« .

Lorsqu’en 2008, à Londres, il fonde School of life, un collectif de psychologues et de philosophes qui traite du bien-être, il pense avant tout à l’intelligence émotionnelle, un antidote à l’intelligence artificielle, mais ensuite il a découvert que le blues méritait qu’on s’y attarde. Ils sont nombreux : religieux, amoureux, sentimentaux, adolescents, personnels, géographiques, artistiques, et elle a décidé d’expliquer pourquoi il faut les comprendre, les vivre sans honte. Discours difficile, en temps de bonheur obligatoire à afficher sur les réseaux sociaux, des selfies avec des grimaces et des photos retouchées pour cacher les rides et les humeurs…

« A grande échelle » – prévient de Botton – « toute une culture peut être victime d’une forme de douleur niée, déguisée en bonne humeur, s’engageant dans la célébration de la vigueur et du succès et laissant de côté ce qui dans nos vies est vulnérabilité. « .

Vagabond au-dessus de la mer de brouillard, vers 1817, peinture à l’huile sur toile du peintre romantique allemand Caspar David Friedrich, réalisée en 1818 et conservée à la Hamburger Kunsthalle de Hambourg

Une angoisse qui donne de la valeur à la créativité

Quelqu’un le remarque, même dans le monde apparemment frivole de la mode. Le le styliste Gilberto Calzolari, champion de l’upcycling (la couette en nylon utilisée pour recouvrir les motos se transforme en poncho-cape, le sac à dos du parachutiste en jupe moulante) livre un discours intéressant sur sa mode, « un romantisme mélancolique envers ce qui ne sera plus, mais aussi un sentiment d’énergie » .

Il voit la valeur de la mélancolie. Beaucoup, en revanche, l’ont découvert pendant le confinement, accompagné d’un sentiment de perplexité, alors ils ont eu du mal à l’accepter. Tout le monde ne l’a pas pris comme Ramin Bahrami, pianiste iranien, grand interprète de Bach : « La mélancolie se souvient de la beauté que nous avons vécue, les moments heureux. Et cela ne cause pas de tristesse, au contraire… L’album Melancholy a à voir avec le moment historique que nous vivons. Pendant longtemps j’avais ressenti un état de mélancolie qui s’abritait en moia-t-il poursuivi, il me semblait que je vivais isolé avant même le confinement, dans un monde où la frénésie, les conflits et les tensions étaient rois ».

Un sentiment aussi pour les célébrités

Même certaines stars de la pop se plongent dans la mélancolie sans problème. Dans Ma chère mélancolie (2018), et Fin de semaine il raconte ses ex (notamment Selena Gomez et Bella Hadid), son parcours introspectif, le sentiment de perte, les déceptions. Puis il est devenu trop célèbre et trop riche, signe que certaines angoisses sont vraiment appréciées. En fait nous sommes entourés de mélancoliedu commissaire malmostoso Rocco Schiavone à l’avocat Tommaso Mélancolique (également dans le nom) créé par Diego De Silva, le prochain protagoniste d’une fiction qui tient beaucoup à Rai, pour arriver à Homme chauve-souris de Robert Pattinson, avec Bruce Wayne vivant tristement sa mission de super-héros, son statut d’orphelin milliardaire, son incapacité à se faire comprendre dans la ville crépusculaire et corrompue de Gotham City. Presque trop pour une BD.

Charlotte Gainsbourg, 50 ans entre transgression et mélancolie

Charlotte Gainsbourg, 50 ans entre transgression et mélancolie

Le magnifique Belfast autobiographique de Kenneth Branagh est une ode à la mélancolie (Oscar du meilleur scénario original). Dans un noir et blanc limpide, il évoque son enfance, les émeutes des années 60, la diaspora des Irlandais d’Ulster avec les yeux du petit Buddy, et dédie le film « à ceux qui sont partis, à ceux qui sont restés et à ceux qui Sont perdus. « 

Benedetta Porcaroli : la mélancolie est pour moi

Les artistes sont probablement mieux équipés. Benedetta Porcaroli, comédienne talentueuse qui brille dans notre minuscule star system (son dernier film est L’Ombre du jour), avoue : « La mélancolie est mon sentiment préféré, je pense qu’ils me choisissent pour ça ». Elle dit qu’elle était une enfant introvertie, avec un trait de mélancolie : elle ne le combat pas, même si elle aimerait jouer dans une brillante comédie. Et, comme il y a dix ans, quand, grâce à l’essai de Susan Cain, les introvertis ont été réévalués, l’heure de la mélancolie pourrait sonner.

On pourrait se réconcilier avec certaines des nombreuses mélancolies recensées par Alain de Botton. Il y a celle du dimanche soir, liée à la réflexion sur le jour férié conclu et sur le travail du lundi que peut-être nous n’aimons pas, et il y a celui du voyage, «Quand dans les lieux les plus anonymes, aéroports, gares, on nous donne l’occasion de rencontrer des facettes de notre caractère que nous avons répudiées. Nous ne sommes pas obligés de faire semblant ».

Un jour de pluie, un film, une chanson peuvent faire naître ce sentiment. Mais la mélancolie n’est pas la dépression

La mélancolie est cette joie de se sentir triste

Et il y a celui qui maintient le couple ensemble. La chambre des souvenirs affectueux Elisa Forte le raconte, au théâtre à Rome avec Modern Love – # 3° épisode, Melancholy Light de Francesco Proietti : « Il vous emmène regarder la mer, dans des moments de solitude. Vous faites face à un problème, puis vous vous souvenez qu’il y a une personne importante dans votre vie qui vous manque et que vous avez hâte de lui parler. Il réunit des couples qui sont ensemble depuis longtemps, et dans cette sensation ils se retrouvent. C’est un vent, un positif, une belle mélancolie. Quand tu n’essaies plus (et arrive aux protagonistes du show) quelque chose se casse, et en fait ils décident de rompre, tout en restant amis. Pas que rompre soit si simple… ».

Pour Elisa Forte, la mélancolie est une pièce où elle entre à la recherche de bons souvenirs, comme celui de sa grand-mère : « Je faisais des choses avec elle, cultivais des fleurs, me promenais au bord de la mer. Il a vécu longtemps, 92 ans, et la pensée de nos moments ensemble me réchauffe le cœur « . Mais peut-être que la meilleure définition est celle de Victor Hugo: «La mélancolie est la joie de se sentir triste», un sentiment difficile à saisir qui naît des fantasmes d’un amour jamais vécu ou d’un rêve resté dans le tiroir. Nous ne devons pas en avoir peur. En effet, suggère Alain de Botton, « on pourrait organiser des soirées mélancoliques, des occasions mondaines au nom paradoxal : plus de bonheur ostentatoire, seulement des personnes particulièrement vulnérables et sincères assises pour avouer combien il est difficile d’être humain ».

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