La lutte pour répondre à la demande croissante d’énergie nucléaire


L’énergie nucléaire revient à la mode. Les objectifs du gouvernement en matière de carboneutralité ainsi que le désir d’une plus grande sécurité énergétique après l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont conduit à une recrudescence de nouveaux projets dans le monde ces dernières années.

Mais augmenter la capacité nucléaire n’est pas chose facile. Les projets à travers le monde ont été semés de retards et de dépassements de budget, le Financial Times révélant la semaine dernière que la France faisait pression sur le Royaume-Uni pour qu’il l’aide à combler les déficits budgétaires du projet Hinkley Point C en Angleterre, construit par EDF.

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) affirme que les projets nucléaires lancés entre 2010 et 2020 ont en moyenne trois ans de retard, même si elle prévoit que la production d’énergie nucléaire atteindra un niveau record l’année prochaine et devra plus que doubler d’ici 2050.

Les problèmes techniques, la pénurie de personnel qualifié, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement, la réglementation stricte et le refus des électeurs sont les principaux facteurs auxquels les développeurs et les gouvernements sont aux prises.

Problèmes techniques et de construction

Lorsqu’EDF a confirmé la semaine dernière que la construction de la centrale nucléaire de Hinkley Point C dans le Somerset, en Angleterre, serait retardée d’au moins deux ans supplémentaires, soit au plus tôt en 2029, elle a imputé la responsabilité à des problèmes techniques : la complexité de l’installation des systèmes électromécaniques et des canalisations complexes.

EDF espère que la construction de plusieurs projets à grande échelle l’aidera à surmonter ces problèmes techniques, lui permettant d’apprendre par la pratique et de résoudre les problèmes de conception.

Aux États-Unis, Georgia Power devrait achever d’ici quelques semaines les travaux du deuxième des deux gigantesques nouveaux réacteurs nucléaires qui sont à l’avant-garde des plans américains de reconstruction de leur industrie de l’énergie nucléaire.

Mais l’expansion de Plant Vogtle a pris sept ans de retard et a coûté plus du double du prix initial de 14 milliards de dollars en raison d’une série de problèmes de construction, mettant en évidence la complexité des mégaprojets nucléaires.

Subventions gouvernementales et géopolitique

Ces complexités, ces coûts élevés et ces longs délais de construction – ainsi que les risques d’accidents nucléaires – font de l’énergie nucléaire une perspective intimidante pour de nombreux investisseurs. En conséquence, le secteur est fortement subventionné par les gouvernements. De nombreux fournisseurs de réacteurs destinés à des projets à grande échelle appartiennent à l’État et travaillent aux côtés du secteur privé pour construire la centrale complète.

Mais les pays ont également une limite au montant qu’ils sont prêts à dépenser. EDF, désormais entièrement détenue par l’État français, limitera sa participation dans sa prochaine centrale britannique, Sizewell C, à 20 pour cent.

L'équipe d'ingénierie d'EDF utilise la plus grande grue du monde pour soulever un dôme en acier de 245 tonnes jusqu'au premier bâtiment réacteur d'Hinkley Point C.
L’équipe d’ingénierie d’EDF installe le dôme en acier de 245 tonnes sur le premier bâtiment réacteur d’Hinkley Point C © EDF/AFP/Getty Images

La plupart des nouveaux réacteurs construits dans le monde sont fournis par la Russie et la Chine, ce qui leur confère un pouvoir de négociation géopolitique. Les réacteurs chinois et russes représentent 70 pour cent de ceux actuellement en construction, a indiqué l’AIE.

La société russe Rosatom fournit plusieurs nouveaux réacteurs à la centrale nucléaire indienne de Kudankulam. L’Inde prévoit de tripler sa puissance nucléaire d’ici 2031 avec 19 nouveaux réacteurs. Mais dans le passé, le pays a eu du mal à accroître sa capacité nucléaire, avec des projets en proie à des retards tandis que les entreprises étrangères ont été découragées par des règles de responsabilité stricte.

Le gouvernement du Premier ministre Narendra Modi, qui déclare vouloir que l’Inde devienne le troisième producteur mondial d’énergie atomique après les États-Unis et la France, a cherché à augmenter le financement disponible pour les projets et à encourager les investissements dans de petits réacteurs modulaires.

Certains pays sont confrontés à une réticence des électeurs à l’égard de l’énergie nucléaire. Au Japon, la résistance politique locale à la réouverture des réacteurs nucléaires reste forte après la catastrophe de Fukushima en 2011. Le sujet est également un paratonnerre politique en Australie après que l’énergie nucléaire a été interdite en 1998, à une époque d’opposition publique significative à l’exploitation minière de l’uranium et au nucléaire. essai.

Complications de la chaîne d’approvisionnement en uranium

Pourtant, l’Australie est fortement impliquée dans la chaîne d’approvisionnement nucléaire en tant que producteur majeur de minerai d’uranium, essentiel à la production d’énergie nucléaire.

Le Kazakhstan était le plus grand producteur d’uranium au monde en 2022, suivi du Canada, de la Namibie et de l’Australie, selon les données de la World Nuclear Association. L’instabilité politique et les difficultés de production au Kazakhstan ont fait grimper les prix et ont profité aux producteurs concurrents en Australie ces derniers mois.

Les chaînes d’approvisionnement pour l’enrichissement de l’uranium sont également tendues. Près de la moitié de la capacité commerciale mondiale d’enrichissement se trouve en Russie.

Des pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni tentent désormais de briser la domination russe. En janvier, le gouvernement britannique a annoncé qu’il investirait 300 millions de livres sterling pour développer la production britannique de Haleu, ou uranium faiblement enrichi à haute teneur, utilisé dans de petits réacteurs modulaires.

Guerre mondiale des talents

Les investissements intermittents dans de nouvelles centrales nucléaires dans de nombreux pays ont rendu plus difficile pour l’industrie de former du personnel expérimenté et de résoudre les problèmes techniques.

Trouver des ingénieurs possédant les compétences adéquates constitue un problème particulier. La fermeture des réacteurs japonais suite à la catastrophe de Fukushima a entraîné un ralentissement du nombre de nouveaux ingénieurs rejoignant des conglomérats industriels tels que Mitsubishi Heavy Industries et Hitachi.

Une vue aérienne de la centrale nucléaire de Fukushima Daichi
Un tsunami a détruit les systèmes de refroidissement des réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima Daichi en 2011, déclenchant une fusion. © Kyodo/Reuters

La France a déclaré avoir besoin de 100 000 personnes supplémentaires dans le secteur, des soudeurs aux électriciens, d’ici 2030 et des problèmes de personnel similaires ont été constatés ailleurs, notamment au Royaume-Uni. « Il y a une lutte pour les talents dans l’ensemble du secteur de l’énergie », a déclaré Linda Pålsson, responsable de l’énergie au sein du cabinet de conseil AFRY.

Solutions futures

Les gouvernements continuent d’essayer d’inciter le secteur privé à apporter son aide. Les États-Unis et la Suède ont déployé des garanties d’État sur le financement des promoteurs immobiliers afin d’encourager le soutien du secteur privé.

Plusieurs entreprises privées sont impliquées dans la course au développement de nouveaux réacteurs plus petits, dont les promoteurs espèrent qu’ils pourront être construits plus rapidement et à moindre coût que les projets nucléaires à grande échelle en construction aujourd’hui. Cela va de la société britannique Rolls-Royce à la société américaine Westinghouse, détenue par le géant canadien de l’investissement Brookfield aux côtés du fournisseur d’uranium Cameco.

Des investisseurs privés, dont Bill Gates et le directeur général d’Open AI, Sam Altman, soutiennent des start-ups développant de petits réacteurs modulaires, les premiers d’une nouvelle génération de réacteurs nucléaires.

Ingénieurs travaillant sur des équipements au CEA Cadarache à Saint-Paul-les-Durance, France
Ingénieurs de l’institut de recherche en énergie CEA Cadarache. Le centre mène des études expérimentales sur des petits réacteurs modulaires © Nicolas Tucat/AFP/Getty Images

D’autres pays suivent la voie politique. La France a cherché à se positionner comme l’une des puissances nucléaires occidentales et a pris l’initiative de négocier des concessions dans ce secteur au sein de l’UE.

Parmi les réussites figurent l’obtention d’un traitement plus favorable pour l’énergie atomique dans le cadre de réformes visant à attirer les investissements et l’obtention d’exclusions dans une réforme de l’électricité visant à orienter davantage de subventions publiques vers les centrales nucléaires existantes. Paris espère également convaincre la Banque européenne d’investissement de financer le secteur nucléaire.

En fin de compte, les efforts visant à plaider en faveur de davantage d’énergie nucléaire interviennent à un moment où le secteur de l’énergie connaît d’énormes changements, avec des investissements dirigés vers des technologies concurrentes telles que les énergies renouvelables, l’hydrogène et les batteries.

Les explosions budgétaires et les retards ne contribuent guère à rassurer les investisseurs potentiels sur le fait que le nucléaire est un pari judicieux. Pour que la renaissance du nucléaire perdure, elle devra devenir à la fois plus rapide et moins coûteuse.

Reportages supplémentaires de Sarah White, Edward White, Benjamin Parkin, Leo Lewis, Jamie Smyth, Song Jung-a, Nic Fildes, Raphael Minder et Chloe Cornish



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